Un couple d'immigrés italiens dans le bassin minier
Notice
Un couple d'immigrés calabrais témoignent de leur vie dans le milieu de la mine en France. Lui est mineur. Ils ne veulent pas que leur fils devienne mineur ; elle explique (en italien) qu'il sera mécanicien ou électromécanicien. Elle, elle regrette son pays : "ici il fait froid, on se croirait toujours en hiver".
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Éclairage
Les italiens constituent l'un des groupes d'émigrés les plus important après les Polonais, les Algériens et les Marocains. Avant 1914, il n'y avait pratiquement pas d'italiens dans le Nord-Pas-de-Calais. Les seuls italiens présents dans la Région (900 au recensement de 1911) sont concentrés dans la région lilloise et sur la côte, alors qu'à la même époque, ils sont plus nombreux en France travaillant dans les mines et les carrières du Sud-Est et en Lorraine. La faible présence des italiens dans le Bassin minier s'explique en particulier par la proximité, du Nord-Pas-de-Calais, des frontières belges et l'importance des travailleurs locaux, fixaient par le patronat par les avantages sociaux mis en place (logement, fourniture du charbon). C'est véritablement la Première Guerre mondiale qui va entraîner un premier contingent d'italiens dans les mines du fait des lourdes pertes humaines et matérielles subies en France, particulièrement dans le Nord-Pas-de-Calais, mais également en Belgique, privant ainsi le Bassin minier de ses mains d'œuvre premières.
Le couple d'italiens interviewé appartiennent à la deuxième vague d'immigration italienne arrivée entre 1945 et 1962. Le manque de travail en Italie et un salaire trop faible voir misérable ne permettant pas aux travailleurs italiens de s'assurer des conditions de vie décentes, sont les principales raisons de cette immigration. Par des affiches et des films de propagande, les mines françaises font savoir qu'elles recrutent de la main d'œuvre. Le travailleur italien doit au préalable passer une visite médicale dans un des bureaux de l'Office national de l'immigration en Italie. Si ce dernier est apte, il signe le contrat de travail qui lui accorde le statut du mineur. Le Nord-Pas-de-Calais a essentiellement recruté des italiens du Sud (Campaniens, Calabrais, Siciliens) en raison d'une consigne non écrite donnée aux médecins recruteurs : privilégier les hommes de petites tailles à cause de la faible épaisseur des veines.
Ce reportage tranche avec les clichés qui présentent la famille et l'intégration des migrants italiens. Si le mari, témoigne de sa satisfaction d'être en France et reprend un discours assez conventionnel, sa femme, loin de l'image de la matrone italienne, parle avec moins de retenue s'exprimant tour à tour en français et dans un italien mâtiné de dialecte. Outre la nostalgie du pays auquel s'ajoute sa détestation du climat nordique où l'hiver dure toute l'année (sic), elle n'hésite pas à dire ses insatisfactions. Elle affirme surtout une volonté : son fils ne sera pas mineur comme son père. C'est par l'école qu'elle espère qu'il échappera à cet avenir et qu'il deviendra mécanicien. Venus de régions agricoles peu industrialisées, les mineurs italiens, contrairement aux Polonais venus souvent par étape des régions minières d'Allemagne ou bénéficiant déjà de l'expérience familiale, ont été plongés dans un monde du travail qui leur était totalement étranger. Pour cette raison , ils sont moins appréciés par l'encadrement que les Polonais. Beaucoup d'italiens ont du mal à s'adapter au travail de la mine et ne terminent pas leur contrat signé pour 5 ans. Les italiens fuient la mine pour les travaux au jour, dans d'autres secteurs d'activités, en changeant de région voir en tentant de regagner l'Italie. Deux raisons expliquent ces problèmes d'adaptation : la déception des conditions de logement (logés dans des baraquements provisoires en bois ou en tôles) et de travail. Habitués à de longues journées de travail, le plus souvent au grand air, beaucoup sont terrifiés par la descente sous terre, l'obscurité, le bruit et le danger omniprésent. De plus, il n'y a pas de fusion entre les deux vagues d'immigration italienne du fait de leurs différences d'origine géographique et générationnelle, ce qui renforce l'inadaptation des mineurs italiens.
A la question du journaliste sur l'existence d'un nouveau prolétariat étranger au fond de la mine, la réponse de sa femme est, encore une fois, plus tranchée que celle de son mari. Si celui-ci considère qu'il y a toujours des Français et des étrangers qui y travaillent ensemble, elle est plus péremptoire, affirmant qu'il n'y a au fond que des Polonais, des Algériens, des Marocains et des Italiens, car les Français ne veulent plus y descendre. Cet interview de 1965 témoigne bien d'un tournant désormais irréversible pris par les mines du Nord qui deviennent de plus en plus un monde de mineurs venus d'ailleurs.