Une famille polonaise

13 octobre 1973
05m 35s
Réf. 00231

Notice

Résumé :

Rencontre avec les Gosciniak, une famille d'origine polonaise à Noyelles-sous-Lens. La grand mère, femme de mineur, d'origine polonaise, ayant elle-même travaillé à la mine, évoque son arrivée en France et dans le Pas-de-Calais. On raconte quelques anecdotes sur l'arrivée en France et les relations avec les Français. Images d'un mariage polonais qui se rend à l'église en cortège. Des musiciens accueillent les mariés.

Type de média :
Date de diffusion :
13 octobre 1973
Source :

Éclairage

Au travers d'une réunion de famille qui rassemble trois générations, ce reportage présente les principales caractéristiques de l'histoire de cette émigration mais aussi de son évolution. Il ne s'agit plus de travailleurs venus d'un État voisin, mais des gens venus de beaucoup plus loin, sans lien préalable avec la région d'accueil ni même pour la majorité d'entre eux, avec le métier de mineur. Les premiers Polonais arrivent en France dès 1909 à Barlin dans le Pas-de-Calais, puis en 1910 à Lallaing, Guesnain et Wallers, travaillant ainsi dans les Compagnies des mines de Vicoigne-Noeux-Drocourt, Aniche et Anzin. Les Houillères apprécient le travail effectué par les Polonais, leurs compétences et leurs ardeurs à la tâche. Mais ces derniers déplorent les conditions de travail et l'accueil que leur réservent les autres ouvriers. C'est après la Première Guerre, entre 1919 et 1930 que l'émigration polonaise devient massive afin de reconstruire le pays meurtri par le conflit mondial tant en perte humaine que matérielle.

La mère de famille qui est au centre de cet interview est arrivée avec ses parents en France en 1922, lors de la première vague de migrants venus dans le cadre de la convention signée, entre la France et la Pologne, le 3 septembre 1919. Celle-ci garantit l'égalité des salaires avec les Français, à niveau de qualification égal. Une convention additive signée le 14 octobre 1920 assure aussi l'égalité en matière de soins, d'indemnités d'accidents du travail et de régime de retraite. Or ce point était peu important pour les Polonais, qui signant un contrat d'un an, renouvelable, ne pensaient pas s'éterniser en France. Juste le temps d'épargner la somme qu'ils leur faut pour retourner vivre décemment en Pologne. C'est généralement au dépôt de Toul dans la région de Lorraine que se faisaient les arrivées en trains et l'orientation vers les lieux de travail. Les Polonais étaient ensuite envoyés dans les Compagnies avec lesquelles ils avaient signé un contrat d'embauche. La plupart d'entre eux ont été dirigés vers le bassin du Nord-Pas-de-Calais, d'autres sont envoyés, comme c'est le cas pour cette mère de famille, vers les mines du centre et du sud de la France (Montceau-les-Mines, Saint-Étienne, Carmaux). L'attraction du Nord se renforce et 30% des Polonais vivant en France, au début des années 1920 sont installés dans les environs de Béthune. S'il donne satisfaction, le mineurs polonais obtient l'attribution d'une maison des Houillères et peut faire venir les siens dès 1924 lorsque la reconstruction est achevée. Les Polonais du Pas-de-Calais sont majoritairement des mineurs (93% au recensement de 1926, encore 88% à celui de 1931). Parmi les femmes, ce sont surtout des jeunes filles qui travaillent et en surface à des emplois sans qualification. La loi interdit depuis le 13 décembre 1889 le travail au fond de la mine aux femmes. Celles-ci sont donc occupées au tri du charbon (les "cafuts") et à l'entretien des lampes (lampistes). Dans ce reportage, à partir de son mariage, cette femme est devenue femme au foyer et a été comme beaucoup de ses consœurs, veuve très tôt. Son mari est mort de la silicose.

La question de l'intégration est au centre des préoccupations de l'interviewer : cette adaptation semble réussie car sa fille et sa nièce sont mariées à des Français. Cependant, avant 1914, les mineurs locaux acceptent mal ces étrangers et parle même d'invasion. Les Polonais aussi, ils vivent entre eux et entendent préserver leur identité nationale ainsi que leurs traditions. On remarque, dans cet interview, la force des traditions liées au pays d'origine à travers les images d'un mariage polonais et la confection d'un gâteau traditionnel le placek. Peut on parler d'intégration lorsque l'on sait qu'à Sallaumines, une des communes évoquées, les Polonais représentaient déjà 40 % de la population en 1926 ?

Sylvie Aprile

Transcription

Jacques Garat
Et maintenant une photo de famille. Près de moi en effet, Madame Gosciniak, nous sommes venus chez vous. Madame, vous allez nous présenter tout le monde pour commencer.
Gosciniak
Oui, Monsieur, voilà mon fils, ma belle-fille.
Jacques Garat
Il s’appelle comment votre fils.
Gosciniak
Mon fils, Joseph Gosciniak, ma belle-fille, ma fille, mon gendre.
Jacques Garat
Elle s’appelle comment votre fille ?
Gosciniak
Ma fille, elle s’appelle Cécile Gosciniak. Mon gendre, il s’appelle Noël Milan.
Cécile Gosciniak
Il s’appelle Milan
Jacques Garat
Oui, c’est un Français qui a adopté une belle-mère polonaise.
Gosciniak
Oui, Monsieur. Mes petits-enfants et un petit copain français ici de mes petits-enfants, et une nièce, qu’elle est venue nous rendre visite, et mon neveu et encore une nièce. Et il s’appelle Wozniak. Et Madame là, elle a épousé un Français qui s’appelle Leroy, donc elle s’appelle Madame Leroy.
Jacques Garat
Je crois que tout le monde aura compris. Cette émission que nous faisons sur le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais n’aurait pas été complète ; si nous n’avions pas passé quelques instants avec les Polonais ou les Français d’origine polonaise.
Gosciniak
Oui.
Jacques Garat
Vous êtes arrivée en France quand, comment ? Racontez-nous votre histoire.
Gosciniak
En 1922, je suis arrivée avec mes parents, j’avais 9 ans à Montceau-les-Mines. Et j’allais à l’école là-bas jusqu’à 12 ans. Après, on est venu ici dans le Pas-de-Calais avec mes parents naturellement, et j’ai commencé à travailler à 13 ans à la mine de fosse 4 à Sallaumines
Jacques Garat
Qu’est-ce que vous faisiez ?
Gosciniak
Ramasseuse des cailloux. C’était une toile et il y avait du charbon et puis il y avait des cailloux, il fallait trier. Après, je travaillais à la lampisterie, et je faisais l’interprète en même temps.
Jacques Garat
Et puis vous êtes mariée, il faut le dire.
Gosciniak
Je suis mariée à un Polonais, et malheureusement, il est décédé il y a quinze ans.
Jacques Garat
Votre mari était mineur.
Gosciniak
Un mineur du fond, 35 années de fond.
Jacques Garat
Et il est mort de silicose.
Gosciniak
Silicose.
Jacques Garat
Madame Gosciniak, elle disait, je crois qu’on peut revenir là-dessus si vous le voulez bien. Elle disait il y a un instant qu’elle était interprète. Et je crois que la grosse difficulté qui existait pour vos compatriotes qui arrivaient de Varsovie et tout le pays, c’était l’obstacle de la langue.
Intervenant
C’est exact, justement c’est pour ça qu’ils n’ont pas été peut-être tout à fait admis au début parce qu’ils ne pouvaient pas s’exprimer. Mais à la longue, ils ont très bien compris, en ayant la possibilité de s’exprimer, l’entente était très cordiale entre les Français et les Polonais.
Jacques Garat
Est-ce que votre père vous a raconté ? Enfin, est-ce que vous avez vécu justement cette entrée en France ? Est-ce que vous avez senti une réticence ?
Joseph Gosciniak
Oui, on en a même d’ailleurs des anecdotes assez savoureuses si on peut dire, dont l’une qui vient de ma grand-mère, parce que lorsqu'ils sont arrivés, ils sont arrivés à Verdun. Et évidemment, dans ces pays à cette époque-là, il y avait quelques produits qui étaient inconnus, entre autres les bananes et les oranges, entre autres les frites. Et grand-mère quand elle est arrivée à la gare de Verdun, elle a été se faire servir un paquet de frites parce qu’elle avait faim. Et elle a demandé dans son..., comment vous dire, dans l’espèce de langage qu’elle avait appris sur la route pour venir, de mettre beaucoup de sucre. Evidemment, quand elle s'est apperçu que c’étaient des pommes de terre, elle a jeté le paquet, elle s’est d’ailleurs rattrapée après! Mais quand même, je voudrais rejoindre ce que disait mon cousin Edmond, on a été bien adopté par les Français ; et à tel point que j’étais dans un collège à Hénin-Liétard et j’ai eu entre autres un de mes camarades de collège, mais qui parlait polonais aussi bien que moi, et il s’appelait Laurent.
Jacques Garat
C’est un Français qui avait appris le polonais par contact.
Joseph Gosciniak
Eh oui, il était dans une cité à Sallaumines, dans la rue Danet où il y avait plus de Polonais que de Français. Evidemment, il y a eu le retour des choses, où il y avait moins de Polonais ils apprenaient le français Et de l’autre côté, c’était pareil.
Jacques Garat
Qu’est-ce que vous nous avez préparé là ce soir ?
Cécile Gosciniak
C’est du placek.
Jacques Garat
Qu’est-ce que c’est le placek ?
Cécile Gosciniak
C’est du gâteau sec qui peut remplacer la brioche le matin.
Jacques Garat
Ça c’est typiquement polonais hein ?
Cécile Gosciniak
Ah oui.
Jacques Garat
C’est bon, Monsieur ?
Intervenant
Ah oui, très bon.
Jacques Garat
Dites-moi, nous avons vu dans les rues de Noyelles, de Noyelles-sous-Lens un mariage entre un jeune homme et une jeune femme d’origine polonaise.
Cécile Gosciniak
Oui, d’ailleurs c’était ma cousine qui se mariait. Et alors, les mariages polonais, au départ, le premier garçon d’honneur va chercher les invités avec la demoiselle d’honneur. ils vont chercher les invités, chacun à leur tour. Et ils viennent avec une bouteille d’alcool et on boit un petit verre d’alcool à chaque fois. On vous dirait que le garçon d’honneur, il n’est pas très frais à la fin. Mais enfin, chaque invité arrive, chaque invité arrive Il y a des musiciens qui sont là et ils jouent toujours un morceau pour accueillir des invités.
Jacques Garat
Une vieille mélodie polonaise ?
Cécile Gosciniak
Oui, ça fait pleurer beaucoup de gens, mais enfin, c’est sympathique, tout le monde l’a conservé, parce que vraiment, c’était bien.
(Musique)
Jacques Garat
Je voudrais vous poser une dernière question Madame Gosciniak. On voit bien souvent que lorsque des étrangers arrivent dans un pays, tout ne se passe pas très facilement. Mais en fin de compte, l’arrivée des Polonais en France, en fin de compte c’était plutôt une belle histoire ?
Gosciniak
Oh bien sûr, bien sûr, nous c'était pour ainsi dire que de la misère, pour ainsi dire, on est venu ici pour le bon pain blanc. Et je voudrais bien voir encore mes arrière-petits-enfants.
Jacques Garat
Mais, on viendra, on viendra
Gosciniak
J’espère que vous viendrez dans 20 ans, je vous donne rendez-vous.
Intervenante
Oui.
Jacques Garat
Peut-être même pas.