Les mineurs marocains à Noyelles-sous-Lens

25 janvier 1979
04m 32s
Réf. 00228

Notice

Résumé :

Reportage à Noyelles-sous-Lens où 117 mineurs marocains sont logés par les Houillères dans de petites maisons basses à l'écart de la ville. Recrutés sur des contrats prévoyant 18 mois de travail, la plupart ont renouvelés leur contrat. Félix Mora qui a recruté 66 000 Marocains dans le sud Maroc, explique les conditions de ce recrutement : les visites médicales, l'arrivée en France à Lille-Lesquin, etc. Immigrés peu intégrés, les mineurs marocains sont un élément économique indispensable dans le cadre de la récession minière.

Type de média :
Date de diffusion :
25 janvier 1979
Source :
FR3 (Collection: Ensemble )
Personnalité(s) :

Éclairage

La troisième vague méditerranéenne est la vague marocaine, dont le véritable essor commence dans les années 1950. Appelés dans le Nord-Pas-de-Calais ils sont paradoxalement venus selon l'expression "pour fermer les mines". Les raisons de l'émigration marocaine n'est pas différente des autres courants migratoires (1). Elles sont essentiellement économiques. Les incidences de la colonisation, les activités agricoles et l'élevage du bétail sans cesse remis en cause par la sécheresse, l'insuffisance des structures traditionnelles, le chômage endémique, le niveau de vie insuffisant sont autant de facteurs poussant les marocains à "tenter leurs chances" en France. L'objectif est de gagner plus d'argent, car ils ont plusieurs personnes à charge. Ils transmettront une partie de l'argent gagné à la famille restée au pays.

Les marocains forment une immigration d'appoint. Jeunes ruraux le plus souvent célibataires et illettrés (ce qui posera des problèmes de communication au fond du fait de la barrière de la langue), provenant du Sud marocain et, dans une moindre mesure, du Nord-Est du pays et du littoral atlantique, ils sont recrutés sur la base de contrats de courte durée (généralement 18 mois) : cette organisation permet à l'entreprise de se doter d'une main d'œuvre flottante et flexible qui facilite la récession à moindre coût pour faire face aux à-coups de la production dans le cadre du déclin programmé des mines (plan Jeanneney en 1959, plan Bettencourt en 1968) qui est entrecoupé de courtes périodes de relance. Sur les 70 000 venus en France, seule une partie d'entre eux restent à l'expiration de leur contrat, celui-ci leur interdisant le plus souvent de changer d'activité. Les Marocains sont d'ailleurs alors considérés comme des travailleurs de seconde zone. L'intégration des marocains ne se posait pas puisqu'ils étaient recruté pour une courte période. Seulement à la fermeture des mines, peu de marocains veulent rentrer au Maroc. Ils réclament leurs droits à la retraite et à être reconnus comme les autres travailleurs. Ce n'est qu'en 1980, après une longue grève, qu'ils obtiennent le statut de mineur assorti de ses avantages en matière sociale (logement, sécurité sociale, etc). Le reportage nous les montre dans leur habitat collectif, leur mobilier limité a un lit et une armoire sur laquelle trône la valise du retour. En parallèle, le reportage donne la parole à Felix Mora, qui explique les modalités du recrutement. Cet ancien militaire, est devenu recruteur pour les Houillères du Nord-Pas-de-Calais. Depuis 1956, il a parcouru la vallée de Souss pour trouver de la main d'œuvre au Maroc (2). Les bureaux de recrutement qu'il dirige sont installés dans les locaux des autorités locales pour donner un caractère officiel à ces démarches. Les représentants du pouvoir central sont également présents. Félix Mora recrute au final 78 000 marocains.

Trois visites médicales sont les principales étapes de ce périple qui les mène de Marrakech à Casablanca puis à l'aéroport de Lille-Lesquin avant l'entrée à la mine. Elles ont essentiellement pour but de tester la résistance physique à la chaleur et au travail de force de ceux qui vont ensuite être destinés aux tâches les plus rudes de l'abattage et l'extraction du charbon au fond. D'autres critères sont importants: ils doivent être âgés de 20 à 30 ans, peser 50 kg minium et avoir une acuité visuelle correcte.

(1) Marie Cegarra, Olivier Chovaux, Rudy Damiani et al., Tous gueules noires, Histoire de l'immigration dans le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, collection Mémoires de Gaillette, Éditions du Centre Historique Minier, Lewarde, 2004.

(2) Marie Cegarra, la Mémoire confisquée. Les mineurs marocains dans le nord de la France, Septentrion, Lille, 1999, 150 pages.

Sylvie Aprile

Transcription

(Musique)
Gérard Decq
Entre Valenciennes et Mazingarbe, on trouve 28 cités comme celle-ci. Ces petites maisons basses abritent ici à Noyelles-sous-Lens 117 ouvriers marocains. Recrutés par les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais, ils travaillent à la mine, sont logés dans les maisons des Houillères et vivent au rythme de la mine. Ces maisons groupées ont été construites spécialement pour eux, car ils constituent une catégorie très particulière de travailleurs immigrés. Recrutés dans le Sud marocain, ils sont employés par les charbonnages qui leur ont proposé des contrats précis ; indiquant à la fois le salaire et surtout la durée de l’engagement, 18 mois pour le premier contrat. Certains sont venus pour 18 mois et sont repartis, mais la plupart des mineurs marocains ont renouvelé leur contrat. Depuis 2 ans, le recrutement des travailleurs immigrés est interdit par le gouvernement français ; mais l’effectif des mineurs marocains reste stable, ils sont 4 000 dans le Nord-Pas-de-Calais. Pour tenter de les comprendre, il faut revenir quelques années en arrière et se souvenir du voyage inattendu qu’ils ont fait.
(Musique)
Félix Mora
Nous effectuons, si vous voulez, une visite de pré-sélection au niveau du bled qui n’a aucun caractère médical. Par contre, immédiatement après que l’intéressé ait été déclaré par la mission apte ; il subit – et ce, aux frais des Houillères – une visite médicale à Marrakech dans l’hôpital provincial.
Gérard Decq
Ce sont des médecins marocains ?
Félix Mora
Ce sont des médecins marocains. Partant de là, les candidats retenus médicalement repartiront dans leur bled sans avoir pour autant engagé de frais. Et dès que nous aurons le résultat de la visite médicale de ces médecins, nous informerons les autorités marocaines de leur établir leur passeport. Et seulement, à partir de ce moment-là, ils subiront la visite médicale à Casablanca dans le cadre de l’Office national d’immigration.
Gérard Decq
Et ensuite, ils arriveront à Lille Lesquin ?
Félix Mora
Ensuite, ils arriveront à Lille Lesquin, et au niveau des Houillères, ils subiront une troisième visite médicale et ceci dans le cadre de la médecine du travail où un dossier sera établi.
(Bruit)
Gérard Decq
Ils ne sont pas vraiment intégrés à la population locale, pourtant ils sont ici depuis plusieurs années. Vivant entre eux à 4 ou 6 par logement, ils n’ont pas réellement appris le français, excepté quelques-uns. Et la communication reste limitée malgré les possibilités de formation proposées par les Houillères.
Intervenant 1
J’ai travaillé maintenant ici 8 ans.
Gérard Decq
Ils pensent donc rester encore combien de temps ?
intervenant 2
En France, on a les houillères nationales. Donc, il pense si le bon Dieu donnera un encouragement comme il espère, qu’il continuera que jusqu’à ce qu’il prend sa retraite, voilà ce qu’il pense.
(Musique)
Gérard Decq
Qu’elles soient récentes ou construites il y a une vingtaine d’années, les maisonnettes se ressemblent toutes. Elles comprennent un mobilier simple, chaque mineur disposant d’un lit et d’une armoire. Ils vivent à deux par chambre et ne semblent pas trop gênés par l’absence d’indépendance. Dans chaque logement, les mineurs se regroupent pas affinité et s’organisent comme ils l’entendent pour préparer les repas et entretenir le logement.
(Bruit)
Gérard Decq
Pour les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais, les mineurs marocains sont très précieux, ils sont environ 4 000 et représentent donc le quart des ouvriers de fond. Dans les années 60, on a compté jusqu’à 13 000 Marocains, ils constituent donc un élément économique non négligeable. On ne les considère pas comme des ouvriers indispensables ; mais tout le monde s’accorde pour dire que sans eux, la production charbonnière régionale ne pourrait pas se maintenir à son niveau actuel.
(Bruit)