Les polonais du Nord-Pas-de-Calais

19 juin 1975
05m 52s
Réf. 00220

Notice

Résumé :

Présentation de la communauté polonaise vivant dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Les Polonais sont venus massivent travailler dans les mines. Si 600 000 personnes sont d'origine polonaise, il en reste encore 20 000 de nationalité polonaise. Tous entretiennent des liens avec la culture et les traditions polonaises. Ainsi un brasseur, M. Staniewski, importe des bières qui rencontrent un réel succès. La communauté dispose de leurs propres journaux comme Narodowiec installé à Lens depuis1924. A Vaudricourt un pensionnat catholique enseigne obligatoirement le polonais et défend la culture et les traditions. Le père Stolarek dit être français et défend l'idée d'un particularisme à l'image de ceux des différentes régions françaises.

Date de diffusion :
19 juin 1975
Source :

Éclairage

Durant l'entre-deux-guerres, plus de 500 000 Polonais émigrent en France dont 220 000 dans le Nord-Pas-de-Calais (1). Recrutés pour la plupart par les compagnies minières pour répondre aux besoins de la Reconstruction, les Polonais composent jusqu'à 1/3 des mineurs du bassin du Pas-de-Calais et plus des 2/3 des effectifs employés au fond (2). Par endroits, les Polonais représentent 25% de la population totale et souvent davantage comme ici à Marles-les-Mines rebaptisée la "Petite Pologne". Ce reportage est l'occasion d'évaluer l'importance numérique de la communauté polonaise cinquante ans après son arrivée massive dans notre région. La concentration de la colonie polonaise du Nord-Pas-de-Calais, la plus importante de tout le pays, engendre la reconstitution d'un milieu national polonais et favorise, de facto, le développement d'une intense vie associative qui maintient l'identité et les valeurs nationales et constitue en cela un frein à son intégration. En effet, les Polonais de la première génération refusent très largement de se faire naturaliser mais, parmi les deuxièmes et troisièmes générations, beaucoup optent pour la nationalité française ou le devient de fait. La plupart conservent cependant un attachement viscéral à leurs racines entretenu par un encadrement religieux et un régime scolaire particuliers qui entretiennent leurs spécificités. Intégrés à la société française mais pas encore totalement assimilés, ils se regroupent au sein des cités minières où ils sont majoritaires et trouvent, parmi les commerces tenus par leurs compatriotes, tout ce dont ils ont besoin à l'image de M. Staniewski, un brasseur qui importe ses produits directement de Pologne et ravitaille ses coreligionnaires qui disposent également de leurs propres journaux parmi lesquels Narodowiec, (le "National" en français), quotidien créé en Allemagne en 1909 et implanté à Lens en 1924. En 1975, date à laquelle est réalisé le reportage, le tirage de ce quotidien rédigé exclusivement en polonais et connu de toute la diaspora polonaise oscillait entre 20 000 et 25 000 exemplaires après avoir culminé à 57 000 exemplaires par jour dans les années 1950 (3). Celui-ci passe de mains en mains et contribue indiscutablement au maintien et à la transmission de la langue maternelle. La polonité, ce sentiment d'appartenance à la communauté polonaise, s'exprime non seulement dans le cercle familial mais aussi au sein d'associations telle la chorale Millenium de Marles-les-Mines/Auchel/Calonne-Ricouart où, à travers le chant, se transmettent et se perpétuent les valeurs et les traditions polonaises ou encore par le biais de l'Institut Saint-Casimir de Vaudricourt, près de Béthune, tenu par des prètres polonais, qui dispensent une formation en langue polonaise à des internes âgés de 9 à 20 ans et par lequel sont passés des générations de jeunes garçons. Interrogé sur son sentiment d'appartenance à la communauté polonaise, le père Stolarek dit être français et se défend de tout communautarisme. Comme beaucoup, il est fier de sa biculturalité au même titre que peuvent l'être les Lorrains, les Alsaciens ou encore les Basques.

1) Janine Ponty, Polonais méconnus. Histoire des travailleurs immigrés en France dans l'entre-deux-guerres, Publications de la Sorbonne, 1988, p.427.

(2) Janine Ponty, ouvrage cité, p.428.

(3) Informations recueillies auprès de Maximilien Litkowski, rotativiste au Narodowiec de 1969 à 1989 lors d'un entretien réalisé le 30 décembre 2013. Exclusivement rédigé en polonais, le journal ne sut pas amorcer le tournant du bilinguisme. Faute de lecteurs, Narodowiec cessa de paraître en 1989 après 65 ans de présence au cœur du bassin minier.

Willy Jendrowiak

Transcription

(Bruit)
Gérard Decq
Deux personnes d’âge respectable bavardant en polonais, c’est assez courant dans les localités du Bassin minier. Dans la plupart des cas, les Polonais sont venus dans le Nord de la France pour travailler à la mine. En 1968, ils étaient 11 000 dans l’agglomération de Lens, 7 000 dans la région de Douai, près de 6 000 autour de Bruay-en-Artois. Ils sont environ 20 000 dans le Nord-Pas-de-Calais à avoir conservé leur nationalité. Les 600 000 Français habitant la région sont d’origine polonaise. Ils sont, dans la grande majorité, nés en France. Les vagues d’immigration des Polonais se situent à l’entre-deux-guerres, et aussitôt après la guerre de 39-45. Certains des immigrants ont entrepris des démarches pour se faire naturaliser, et leurs enfants, en tout cas, ont pu facilement opter pour la nationalité française. Ces Français d’origine polonaise affirment clairement, nous sommes français, mais ils s’efforcent également de conserver entre eux des liens particuliers. Ils s’intéressent beaucoup à la Pologne, à sa culture, son folklore, et beaucoup souhaitent y effectuer un voyage. Ils se regroupent au sein d’associations culturelles, mais aussi commerciales. Ainsi, l’Union des commerçants et artisans d’origine polonaise qui travaille depuis cinq ou six ans avec la Pologne et importe des produits polonais.
Staniewski
Lorsque j’effectue un séjour en Pologne en 1970, j’étais fortement intéressé pour importer les bières de Pologne. Vu que j’importais déjà les bières de Belgique et d’autres bières, que j’avais des bières de l’Allemagne, du Luxembourg, de Hollande, pourquoi pas la nôtre ?
Gérard Decq
Les gens qui sont de souche polonaise vous l’achètent à votre avis parce qu’elle a un goût particulier ou plutôt parce qu’elle leur rappelle la Pologne ?
Staniewski
Je vous dis justement qu’il y a les deux parties. Il y a d’abord ceux, les sentimentaux, qui achètent la bière parce que, soit ils sont de souche polonaise, soit ils ont un sentiment très profond envers la Pologne ; et qui se sentent aussi habitués à cette bière et qui la trouvent extrêmement bonne à l’heure actuelle. Il y a aussi les connaisseurs qui la trouvent réellement bonne, puisque réellement ça convient à leur goût.
(Bruit)
Gérard Decq
Un quotidien entièrement rédigé en langue polonaise est imprimé à Lens. Narodowiec tire à 25 000 exemplaires, il est lu par la majorité des familles polonaises de la région. Il est distribué dans toute la France et la quasi-totalité des pays de l’Europe de l’ouest. Fondé en Westfalie en 1909, ce journal est venu s’installer à Lens en 1924, suivant ainsi de près la première vague d’immigrants polonais dans le Nord-Pas-de-Calais. La direction définit son journal comme l’organe de l’émigration polonaise, elle le qualifie de quotidien démocrate catholique.
(Bruit)
Gérard Decq
A Vaudricourt dans le Pas-de-Calais, un pensionnat privé accueille une cinquantaine de jeunes gens de 9 à 20 ans. Cet établissement, dirigé par des pères polonais, ouvre ses portes aux associations laïques ou non qui souhaitent y organiser des rencontres. Dans ce pensionnat privé, les internes apprennent obligatoirement le polonais.
(Bruit)
Gérard Decq
Les parents, qu’ils soient d’origine polonaise ou non, peuvent y placer leurs enfants à cette unique condition. L’intégration des familles polonaise s’est faite rapidement. On ne parle plus de quartier polonais dans les cités minières. Mais dans de nombreuses familles, les parents conversent aussi bien en français qu’en polonais. Et certains souhaitent que leurs enfants apprennent la langue de leurs grands-parents.
Konrad Stolarek
Il me semble que pour tous les Polonais qui sont déjà maintenant bien encadrés dans la vie française, cette chose est très importante, de cultiver les traditions de leurs ancêtres. Et c’est pour cela justement que nous voulons rayonner un peu la culture polonaise, et donner et conserver les trésors de nos traditions polonaises.
Gérard Decq
C’est-à-dire que vous n’acceptez l’intégration à la France qu’aux 3/4.
Konrad Stolarek
Ça veut dire que nous sommes ici en France depuis longtemps déjà, plus de 50 ans. Et nous nous sentons Français plutôt que Polonais ; mais avec certaines différences, comme par exemple les Lorrains, les Alsaciens, les Basques qui sont tout à fait reconnus comme Français ; mais avec les traditions différentes que toutes les autres régions françaises.
Gérard Decq
Préserver les traditions, favoriser le développement de la culture franco-polonaise, c’est l’objectif de plusieurs associations, dont celle de Marles-les-Mines. L’association d’éducation populaire Millénium s’efforce d’intéresser les jeunes, afin qu’après leurs parents ; les enfants continuent à se réunir dans la bonne humeur et les chants folkloriques polonais.
(Musique)