Léo, mineur

09 décembre 1965
04m 35s
Réf. 00247

Notice

Résumé :

Dans le Nord à Hasnon, une famille de mineurs avec quatre générations de femmes vivent sous le même toit. On rencontre Léo, le mari d'Alina. Il coupe du bois puis il mange seul. Il raconte son emploi du temps. Après son rapide repas, il part travailler à la mine. Il ne rentrera qu'à 23h et dînera, à nouveau, seul.

Type de média :
Date de diffusion :
09 décembre 1965
Source :

Éclairage

Cet extrait est issu du magazine des années soixante d'Eliane Victor Les Femmes aussi, qui présente, dans le Bassin minier à Hasnon dans le Nord, une famille de mineurs avec quatre générations de femmes qui vivent sous le même toit. Alina est mariée à Léo et mène une vie monotone et étouffante dans un monde clos, sous le regard des voisins.

Pendant la forte croissance économique des Trente Glorieuses, extraire 10 tonnes de charbon par jour permet à un bon piqueur de garantir à sa famille une certaine aisance et de faire cohabiter dans le même foyer trois générations, sa mère, son épouse et ses enfants. La cuisine est "moderne", le fourneau fonctionne une bonne partie de la journée, sans cesse mobilisé pour préparer les repas d'une famille aux horaires décalés. La visite quotidienne de la voisine montre que la mère dispose de temps libre pour discuter.

Totalement à l'écart de toute convivialité dans son foyer, Léo est en marge. Il mange seul, pour se remplir, rentre la nuit, après un trajet en car, quand la maisonnée est endormie. Il dort quand elle se réveille, mange et part à la mine en pleine matinée alors que les enfants sont à l'école. Sa mère prépare les repas, son épouse, que l'on aperçoit brièvement, s'occupe des enfants et Léo est seul. Il n'est presque jamais à la lumière naturelle, sauf lorsqu'il coupe le bois pour le fourneau, devant la maison, le dimanche ou avant ses repas et le départ pour la mine. Depuis 25 ans, Léo travaille six jours sur sept, son travail est harassant, ses horaires lui interdisent toute vie familiale et toute vie sociale.

Son seul lieu de sociabilité et d'échanges parait être la mine et le fond. 48 heures par semaine, il est exposé aux cris des porions et au bruit assourdissant des machines. Le poids de son marteau piqueur, dépourvu du système hydraulique nécessaire pour évacuer la poussière et limiter les risques de silicose (ce système ne sera jamais généralisé en France), les positions de travail imposées par la situation du filon, tout concourt à faire de sa journée de travail un véritable enfer. Cette journée s'achève lorsque le porion crie l'heure de la remontée. Dans la mine, Léo comme tous les piqueurs ont sans doute la charge la plus lourde, ils représentent l'aristocratie du fond. Le marteau piqueur, la présence de soutènements massifs en acier et le transport mécanique du charbon montrent que l'installation est moderne. En revanche, on note l'absence de haveuse électrique permettant l'abattage et le chargement automatique du minerai, le transport de la houille reste mécanique.

L'enfer du fond n'est pas rendu plus doux par ces équipements. La remontée dans les nacelles, puis la cigarette et la douche constituent les seuls moments de détente après la dure journée. La poussière de charbon s'est immiscée partout, la douche est nécessaire. Ce confort est récent, il résulte de la modernisation tardive et inachevée des mines françaises après la bataille du charbon. Avant l'installation des douches à la mine, le mineur se lavait chez lui. Sa femme lui préparait un baquet d'eau chaude, dans la buanderie, il se lavait, se changeait et laissait ses vêtements salis par le charbon avant de rentrer dans la partie habitable du foyer. Signe de la modernité, Léo rentre chez lui dans des vêtements propres, son bleu de travail reste au vestiaire. La vie de Léo n'est pas plus gaie pour autant. Encore jeune, usé par 25 ans de mine, ce père de famille ne voit ses enfants que le dimanche. Il croise son épouse. Un trajet en bus achève ses journées et il regagne chaque nuit la maison familiale où personne ne l'attend. Le linge sèche, témoin d'une activité qui s'est déroulée en son absence. La table est dressée, son repas est prêt, il peut "se remplir" pour affronter le lendemain une autre journée de travail...

Béatrice Touchelay

Transcription

(Bruit)
Ange Casta
Léo a 42 ans, il extrait 10 tonnes de charbon par jour.
(Bruit)
Ange Casta
C’est le premier qui mange dans la famille madame [Colombo] ?
Intervenante
Oui, c’est le premier parce que c’est lui qui part le premier Et les autres, les enfants vont arriver de l’école, comme aujourd’hui c’est jeudi, ce n’est pas la même chose, ils sont partis jouer. Mais les enfants, ils rentrent à midi 10, midi et quart, alors l'père peut pas attendre que les enfants reviennent de l’école, pour lui manger. Après, il faut qu’il mange en vitesse, si ça n’est pas descendu comme il faut pour lui partir. Comme ici, il est déjà en retard de 10 minutes. Après, les enfants vont pouvoir mettre leur table pour les enfants, et nous on attend de la visite. Alors quand la visite est partie, bah on se met à manger.
Ange Casta
Ah, vous avez une visite tous les jours ?
Intervenante
Oui, tous les jours.
Ange Casta
Qui c’est cette visite ?
Intervenante
C’est une dame ici en face.
Ange Casta
Une voisine ?
Intervenante
Jacqueline.
Ange Casta
C’est Jacqueline ?
Intervenante
Oui.
Ange Casta
Vous avez fini ?
Léo
Oui, j’ai fini.
Ange Casta
Pas de dessert ?
Léo
Non, pas de dessert.
Ange Casta
Jamais ?
Léo
Jamais.
Ange Casta
Pourquoi, vous n’aimez pas ça ?
Léo
Parce que ça ne me plaît pas, enfin, c’est pour remplir, puis c’est tout.
(Bruit)
Ange Casta
Vous partez dans combien de temps là dans 10 minutes, 5 minutes ?
Léo
5 minutes.
Ange Casta
Vous travaillez 6 jours par semaine ?
Léo
6 jours.
Ange Casta
48 heures ?
Léo
Oui, sauf le dimanche.
Ange Casta
Oui, c’est ça, 48 heures ?
Léo
48 heures.
Ange Casta
Et ça depuis combien de temps ?
Léo
25 ans.
(Bruit)
Ange Casta
Quand Léo rentre le soir, il est tard, presque minuit.
(Bruit)