La bataille du charbon : le prix à payer

17 septembre 1945
03m 36s
Réf. 00364

Notice

Résumé :

Après la projection d'un document des Actualités Françaises datant de 1945 sur la "bataille du charbon", vantant les efforts à faire pour la production charbonnière malgré la déficience des moyens d'extraction, Louis Lethien, un des mineurs témoins des Mémoires de la mine, réagit : les mineurs vont payer la "bataille du charbon" de leur santé (progression de la silicose).

Type de média :
Date de diffusion :
02 décembre 1981
Date d'événement :
17 septembre 1945
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Ce document est un extrait du remarquable documentaire réalisé par Jacques Renard en 1980 pour l'Institut National de l'Audiovisuel. Il rassemble des témoignages d'anciens mineurs.

Dans un premier temps, on montre un document des Actualités Françaises intitulé "Chez les gueules noires", faisant référence à la bataille du charbon et qui relate la venue du ministre Robert Lacoste à Lens le 17 septembre 1945 pour défendre un effort supplémentaire (1). Nous sommes à peine deux mois après l'appel de Monsieur Thorez à Waziers qui lance la bataille du charbon. On remarque la fameuse affiche "Mineurs, le sort de la France est entre tes mains". Cette affiche rend hommage à l'engagement des mineurs tout en exerçant sur eux une forte pression morale. Et par ailleurs, on annonce l'objectif à atteindre : "100 000 tonnes de charbon par jour". Mais comme le souligne le commentaire, les mineurs effectuent un "effort gigantesque" depuis septembre 1944 alors que "l'outillage des mines est déficient", ils ont accepté de travailler le dimanche (dès janvier 1945).

Et face à ces immenses difficultés, il faudrait rajouter les problèmes de ravitaillement. Effectivement , le mineur est celui qui, en France, a fait le plus de sacrifices et il attend toujours les effets bénéfiques de ces efforts et des promesses d'un statut du mineur (qu'il devra attendre jusqu'en avril 1946).

En septembre, la situation sociale n'est pas bonne. Malgré les efforts de la CGT et du Parti communiste pour les étouffer, des grèves revendicatives continuent. Ce que ne montre pas le montage des Actualités Françaises, c'est que c'est devant une foule houleuse que Robert Lacoste vient défendre au nom du gouvernement la production des 100 000 tonnes. Il réclame, en fait, de passer de 30 000 tonnes à 140 000 tonnes. Il faut tout le poids d'Auguste Lecoeur, maire communiste de Lens et de Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT pour maintenir l'exaspération des milliers de mineurs rassemblés pour l'occasion. Ce dernier conclu : "la franchise et le courage du discours du ministre méritent respect, l'intérêt du peuple réclame l'augmentation de la production, l'effort n'est pas demandé au nom du comité des Houillères mais au nom de la Nation".

Le commentaire-témoignage de l'ancien mineur Louis Lethien qui suit, comporte donc un jugement nuancé. Il rappelle que les mineurs ont participé à la "bataille de la production" de façon volontaire. Ils agissaient sur la base de motivations patriotiques (rétablir l'économie française) et politiques (répondre aux appels à la mobilisation formulés par le PCF et par la CGT). Mais il pointe aussi les drames de la silicose.

L'évocation de l'augmentation des cas de maladie de la silicose, contracté au cours la période de la "bataille de la production", est un sujet particulièrement sensible. Si la silicose est un fléau ancien de la mine, les statistiques évoquent une augmentation de la maladie après la guerre avec un millier de cas nouveau chaque année dans les années 1950. Cette augmentation pourrait être le résultat de deux facteurs qui se conjuguent. D'une part, le développement de l'usage des marteaux piqueurs dans les années 1930 a considérablement accru la poussière dans les exploitations souterraines de charbon (une image de la première partie montre cette poussière) avant que n'interviennent dans les années cinquante les nouveaux engins de taille (haveuses, rabots) et les techniques d'aspersion d'eau qui limitent les effets de la poussière. D'autre part, l'engagement corporel des mineurs dans l'effort de production était très important et, en attendant les effets de la mécanisation et des modernisations, ils suppléent les déficiences mécaniques par un effort physique plus intense, au risque d'inhaler plus de poussières. Ceci est d'autant plus dangereux pour la santé que les organismes sont affaiblis par les pénuries alimentaires.

(1) Dans le documentaire de Jacques Renard, la date de 1947 indiquée à l'écran n'est donc pas exacte.

Philippe Mioche

Transcription

(Musique)
Journaliste 1
Du charbon, du charbon, la France se chauffera t-elle, l’industrie pourra-t-elle fonctionner, les roues tourner, les métiers travailler, c’est de la mine que tout dépend. Les hommes du pays noir ne sont pas avares. Le pays leur a demandé un effort gigantesque, ils l’ont fait. Pourtant, leur métier n’est pas doux, pourtant leur situation au lendemain d’une guerre de six ans n’est pas enviable. Et dans ces circonstances difficiles, le charbon sort. Il sort pour l’industrie, il sort aussi pour les foyers domestiques qui vont en recevoir. L’outillage des mines est déficient, le quart du personnel a disparu et cependant la production monte. Le mineur est l’homme qui, en France, a fait à la cause générale le plus de sacrifice. Il a accepté de travailler le dimanche, il a sacrifié ses congés, il a travaillé plus vite et plus fort. La production journalière qui était de 614 kilos par homme et par jour en 44, est montée en Juillet à 850 et cette semaine, dans certains puits, à 1300 kilos. Ce sont ces hommes qu' à Lens, le mnistre de la Production, Monsieur Lacoste, est venu féliciter et encourager.
Robert Lacoste
C’est parce que l’on a tiré le charbon de nos mines que nous pouvons, à l’heure actuelle, au lieu de donner 30000 tonnes de charbon par mois aux usines qui fabriquent les matériaux de construction, le ciment, les briques, les tuiles, le plâtre ; au lieu de donner 30000 tonnes, nous allons en donner 140000 et ainsi nous allons multiplier presque par cinq les quantités de ciment, de brique, de tuile, de plâtre et d’autres matériaux de construction qui vont sortir de nos usines. Cela, est-ce que ça n’apportera pas un secours précieux aux centaines de milliers de sinistrés.
Tadeusz Chudzinski
Ils savaient qu’ils travaillaient pour nous quoi, pour les usines du Nord et du Pas-de-Calais, aussi bien que pour le restant de la France. Et moi, je pense personnellement que ces gens-là, ils savaient pourquoi ils travaillaient. Et ces gens-là donnaient tout ce qu’ils avaient dans le ventre, vraiment, c’était du travail formidable mais, mais, mais, il y a toujours un mais, au détriment de leur santé.
Jacques Renard
C'est-à-dire ?
Tadeusz Chudzinski
C'est-à-dire que bon ben, à ce moment là tout l’abattage se faisait au piqueur, au piqueur et avec des moyens de transport couloir oscillant ou bien par bande. Il fallait tout charger à la pelle, alors. Il y avait des tailles où il y avait 25 bonhommes, 25 bonhommes, abattage au piqueur, chargement à la pelle. Il n’y avait pas d’injection, d’infusion d’eau dans la veine, dans le massif, il n’y a rien du tout, donc ça décalait une poussière incroyable. Un tant soit peu qu’il y avait un petit peu de courant d’air, et ben, les gens, on ne les reconnaissait pas à la remontée. Ils étaient tellement noirs qu’on ne les reconnaissait pas. Et à force de travailler là-dedans, il y a beaucoup de gars, des jeunes, des jeunes bien sûr, qui ont été privés de nourriture pendant la guerre, pendant l’occupation tout ça, ben ils sont tombés malades, malades, silicosés, enfin tout un tas des trucs quoi.