Entretiens entre Marguerite Duras et François Mitterrand, deux amis de longue date
25 février 1986
03m 55s
Réf. 00304
Notice
Résumé :
A l'Elysée, Marguerite Duras, l'une des grandes romancières du XXe siècle, réalise une série d'entretiens avec son ami devenu Président, François Mitterrand.
Type de média :
Date de diffusion :
25 février 1986
Personnalité(s) :
Éclairage
A la veille des élections législatives de 1986, François Mitterrand, au plus bas dans les sondages, cherche à reconquérir un électorat lettré de gauche. Il décide alors de réaliser une série de cinq entretiens avec son amie Marguerite Duras pour L'Autre journal de Michel Butel, qui inaugure ici sa nouvelle formule hebdomadaire. Ces entretiens à bâtons rompus mettent en avant la personnalité et l'esprit de François Mitterrand. Les échanges sont spontanés et naturel. L'absence de calibrage de l'entretien, permis par l'absence quasi-totale de contraintes de format de L'Autre Journal, apporte une touche supplémentaire d'authenticité. Les sujets abordés sont très divers : la guerre, la mort, le pouvoir, la Nièvre, l'enfance, le racisme, l'Amérique de Reagan (dont Duras est une admiratrice). François Mitterrand convoque également de grands auteurs parmi lesquels Thucydide, qu'il cite : "Tout homme va toujours jusqu'au bout de son pouvoir".
Marguerite Duras et François Mitterrand sont liés d'amitiés depuis plus de quarante ans. Ils se rencontrent pendant la Seconde Guerre mondiale. Après s'être évadé d'un stalag, François Mitterrand entre au gouvernement de Vichy, au Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre sous la direction de Maurice Pinot, un pétainiste anti-collaborateur. Ensemble, ils créent le groupe de résistants baptisé "Rassemblement national des prisonniers de guerre" qui fournit des faux papiers afin de favoriser les évasions. A partir de février 1943, François Mitterrand, sous le pseudonyme de Morland, se rapproche de l'Organisation de Résistance de l'Armée. Après avoir été décoré de l'ordre de la Francisque en juillet, grâce au parrainage de deux de ses amis de la Cagoule, Mitterrand entre définitivement en clandestinité et se rend à Londres où il rencontre le général de Gaulle. C'est à ce moment-là que François Mitterrand rencontre Marguerite Duras. Elle n'est alors ni résistante ni collaboratrice. Elle occupe un poste administratif en charge du papier pour l'édition. Avec son mari, Robert Antelme, elle crée le groupe de résistants de la rue Dusapin, où la famille a un appartement. Ils y organisent des réunions et logent des résistants de passage. Mais le 1er Juin 1944, la Gestapo arrête Robert Antelme, sa soeur Louise, Paul Philippe et Minette de Rocca-Serra (ces trois derniers meurent en déportation). Mitterrand-Morland et Duras échappent de peu au coup de filet. Marguerite Duras tente par tous les moyens de faire libérer son mari et sa belle-soeur, y compris en fréquentant un membre de la Gestapo nommé Delval contre l'avis d'Edgar Morin alors proche de ce groupe. En 1945, François Mitterrand et Dionys Mascolo, l'amant de Marguerite, partent à la recherche de Robert Antelme qu'ils retrouvent moribond à Dachau. En 1947, Robert Antelme écrit un livre sur cette expérience concentrationnaire : L'Espèce humaine. Marguerite Duras publie quant à elle La Douleur en 1985 sur l'interminable attente du retour de son mari.
Après la guerre, les relations entre François Mitterrand et Marguerite Duras se distendent. François Mitterrand devient député de la Nièvre en 1946. Marguerite Duras entre au parti communiste autonome qu'elle quitte avec fracas en 1950. Elle s'engage régulièrement dans le débat public : elle signe le Manifeste des 121 pour l'insoumission pendant la guerre d'Algérie, elle participe au comité des écrivains-étudiants en 1968 et elle signe le Manifeste des 343 pour la pénalisation de l'avortement. Elle passe les années 70 à dire : "Que le monde aille à sa perte, c'est la seule politique" (Claire Devarrieux, "Marguerite Duras, une fidèle du réseau Mitterrand", Libération, 4 mars 1996). Mais en 1981, elle devient "mitterrandienne" : "Parce que c'est une personne à part entière. Il n'a rien derrière. Il n'a pas d'argent. C'est une sorte de seigneur. De sa personne il est seigneurial, je trouve". Ces deux amis semblent se suivre même dans la mort. Il décède le 8 janvier 1996 à 79 ans. Elle perd la vie le 3 mars 1996 à 81 ans.
Les entretiens qu'ils réalisent entre 1985 et 1986 pour L'Autre journal sont publiés en version papier. Ces entretiens sont très mal accueillis par le public et la critique : l'admiration explicite de Marguerite Duras et l'emphase de François Mitterrand agacent. François Mitterrand ne parvient pas à éviter la cohabitation en 1986. En 2006, ces entretiens sont publiés pour la première fois en version sonore par l'Institut François Mitterrand en collaboration avec Frémeaux et associés.
Marguerite Duras et François Mitterrand sont liés d'amitiés depuis plus de quarante ans. Ils se rencontrent pendant la Seconde Guerre mondiale. Après s'être évadé d'un stalag, François Mitterrand entre au gouvernement de Vichy, au Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre sous la direction de Maurice Pinot, un pétainiste anti-collaborateur. Ensemble, ils créent le groupe de résistants baptisé "Rassemblement national des prisonniers de guerre" qui fournit des faux papiers afin de favoriser les évasions. A partir de février 1943, François Mitterrand, sous le pseudonyme de Morland, se rapproche de l'Organisation de Résistance de l'Armée. Après avoir été décoré de l'ordre de la Francisque en juillet, grâce au parrainage de deux de ses amis de la Cagoule, Mitterrand entre définitivement en clandestinité et se rend à Londres où il rencontre le général de Gaulle. C'est à ce moment-là que François Mitterrand rencontre Marguerite Duras. Elle n'est alors ni résistante ni collaboratrice. Elle occupe un poste administratif en charge du papier pour l'édition. Avec son mari, Robert Antelme, elle crée le groupe de résistants de la rue Dusapin, où la famille a un appartement. Ils y organisent des réunions et logent des résistants de passage. Mais le 1er Juin 1944, la Gestapo arrête Robert Antelme, sa soeur Louise, Paul Philippe et Minette de Rocca-Serra (ces trois derniers meurent en déportation). Mitterrand-Morland et Duras échappent de peu au coup de filet. Marguerite Duras tente par tous les moyens de faire libérer son mari et sa belle-soeur, y compris en fréquentant un membre de la Gestapo nommé Delval contre l'avis d'Edgar Morin alors proche de ce groupe. En 1945, François Mitterrand et Dionys Mascolo, l'amant de Marguerite, partent à la recherche de Robert Antelme qu'ils retrouvent moribond à Dachau. En 1947, Robert Antelme écrit un livre sur cette expérience concentrationnaire : L'Espèce humaine. Marguerite Duras publie quant à elle La Douleur en 1985 sur l'interminable attente du retour de son mari.
Après la guerre, les relations entre François Mitterrand et Marguerite Duras se distendent. François Mitterrand devient député de la Nièvre en 1946. Marguerite Duras entre au parti communiste autonome qu'elle quitte avec fracas en 1950. Elle s'engage régulièrement dans le débat public : elle signe le Manifeste des 121 pour l'insoumission pendant la guerre d'Algérie, elle participe au comité des écrivains-étudiants en 1968 et elle signe le Manifeste des 343 pour la pénalisation de l'avortement. Elle passe les années 70 à dire : "Que le monde aille à sa perte, c'est la seule politique" (Claire Devarrieux, "Marguerite Duras, une fidèle du réseau Mitterrand", Libération, 4 mars 1996). Mais en 1981, elle devient "mitterrandienne" : "Parce que c'est une personne à part entière. Il n'a rien derrière. Il n'a pas d'argent. C'est une sorte de seigneur. De sa personne il est seigneurial, je trouve". Ces deux amis semblent se suivre même dans la mort. Il décède le 8 janvier 1996 à 79 ans. Elle perd la vie le 3 mars 1996 à 81 ans.
Les entretiens qu'ils réalisent entre 1985 et 1986 pour L'Autre journal sont publiés en version papier. Ces entretiens sont très mal accueillis par le public et la critique : l'admiration explicite de Marguerite Duras et l'emphase de François Mitterrand agacent. François Mitterrand ne parvient pas à éviter la cohabitation en 1986. En 2006, ces entretiens sont publiés pour la première fois en version sonore par l'Institut François Mitterrand en collaboration avec Frémeaux et associés.
Félix Paties
Transcription
Présentateur
A la limite de la politique et de la littérature, maintenant, un évènement de presse ; la longue interview de François Mitterrand qui répond à Marguerite Duras. C'est L'Autre Journal qui publie aujourd'hui la première partie de cet entretien dans le numéro un de sa nouvelle formule hebdomadaire. Alors l'entretien est intéressant à plus d'un titre, et d'abord parce qu'il reflète un complicité évidente, celle qui unit le Président et l'écrivain; et Chantal Bretz a pu assister avec une équipe de Soir 3 aux premières minutes de cette rencontre.Journaliste
Elle, Marguerite Duras, lui, François Mitterrand. Michel Butel, le directeur de L'Autre Journal, a demandé à Madame Duras d'être son envoyée très spéciale auprès du Président pour une série d'entretiens qui s'achevait ce matin.François Mitterrand
Mais en fait qu'est-ce que vous voulez...Marguerite Duras
Je veux que que vous parliez de l'AfriqueFrançois Mitterrand
Oui aujourd'hui ? Mais...Marguerite Duras
Je voudrais que vous me parliez de l'AfriqueFrançois Mitterrand
Mais... l'Afrique...Vous voulez que je vous parle de sa géographie ?Marguerite Duras
De votre amour de l'Afrique.François Mitterrand
De son histoire ?Marguerite Duras
De votre jardin secret.François Mitterrand
Des questions comme ça, toujours... Vous embrassez toujours l'univers... Faut quand même prendre un chemin pour y pénétrer... Bon alors c'était...Marguerite Duras
C'est bon l'Afrique [incompris].François Mitterrand
Je vous ai raconté l'autre jour qu'à mon baccalauréat... Vous procédez souvent comme ça. Il était une heure et quart, tout le monde avait faim. Le professeur de... d'histoire, l'examinateur.... il regarde sa montre. Visiblement hein, ça l'embêtait d'avoir encore un collégien à interroger. Alors il me dit... euh.... Parlez-moi de Napoléon ! Nous avons cinq minutes. C'est la pire condition, hein, pour traiter un sujet. Par quoi commencer ? Bon alors... L'Afrique, mon amour de l'Afrique ? Bon d'abord j'ai appris que l'Afrique, physiquement...Journaliste
L'écrivain et le Président se sont rencontrés régulièrement depuis l'été dernier. C'est ici, au domicile de Marguerite Duras, que s'est déroulé le premier entretien publié cette semaine par L'Autre Journal. Ils ont parlé de la Résistance. Pour elle, le temps de la douleur dans l'attente d'un mari déporté ; pour lui François Mitterrand, le chef de son réseau de Résistance, un temps très fort de l'action. On attribue volontiers à François Mitterrand l'image du Sphinx. Est ce que vous le voyez ainsi ?Marguerite Duras
[Rires] Je ne sais pas. Non. Pas du tout. Non non. C'est vrai qu'il a un côté très... Il le dit lui-même d'ailleurs... très mystérieux, très solitaire, personnel comme on dit. Un côté très fort. Mais... qui est également présent quand on le connaît. Quand nous parlons, je... et même à ce qu'il dit... je... je sens qu'il y a des choses qu'il a envie de dire... qu'il ne dit pas volontiers. Et qu'il... il éprouve un certain bonheur à les dire. Et si vous voulez, c'est mon bonheur à moi.... de le provoquer à parler. On ne les a pas voulus comme ça les entretiens. Chaque fois on a un peu débordé par ce qu'on a dit. Et chaque fois c'est François Mitterrand lui-même qui dit "on va se revoir" parce qu'aujourd'hui, on s'est amusé. Et c'est comme ça, c'est de cette façon-là qu'il est arrivé à dire des choses... essentielles à mon avis.(Musique)
François Mitterrand
Donc, on va se laisser conduire par la conversation, hein?Marguerite Duras
Bon, d'accordFrançois Mitterrand
Bon, faites comme vous voulez, c'est moi qu'on interroge.Marguerite Duras
Oui, on va commencer par la première, qui est très simple. L'été à Paris. Est ce que vous aimez l'été à Paris ?(Musique)