Portrait de François Mitterrand avant les législatives

25 janvier 1973
11m 39s
Réf. 00200

Notice

Résumé :
Un peu plus d’un mois avant les législatives des 4 et 11 mars 1973, un portrait, construit autour d’une interview et marqué par le témoignage de son frère Robert, est consacré, lors du journal télévisé de la mi-journée, à François Mitterrand. La trajectoire, les passions et l’actualité politique du leader socialiste sont alors évoquées.
Date de diffusion :
25 janvier 1973
Source :
ORTF (Collection: JT 13H )
Lieux :

Éclairage

En juin 1971, lors du congrès d’Epinay-sur-Seine, François Mitterrand prend la tête du Parti socialiste, qu’il vient de rejoindre avec sa petite CIR, sur la promesse d’approfondir la stratégie d’union de la gauche qu’il avait esquissée entre 1965 et 1967. Un an plus tard, un contrat de législature, nommé programme commun de gouvernement, est signé entre socialistes et communistes, bientôt rejoints par les radicaux de gauche.

Avant les législatives des 4 et 11 mars, tout à sa volonté de bipolariser le jeu politique et d’incarner la gauche, François Mitterrand réinscrit, dans ce portrait qui lui est consacré, sa trajectoire personnelle dans l’histoire de celle-ci. La première partie n’étant pas connue, il peut la romancer et s’inventer une sensibilité socialiste naissant dès son adolescence quand ses biographes établiront plus tard que ses timides engagements d’alors le portaient nettement à droite. Il est, en revanche, exact qu’il n’a pas multiplié les adhésions à des partis politiques, n’appartenant à partir de 1947 qu’à l’Union démocratique et socialiste de la Résistance puis au PS (la CIR étant une fédération de clubs). Cependant, son « socialisme », comme celui de l’UDSR, bien qu’il ancrât sa formation au centre-gauche durant les dernières années de la IVe République, resta longtemps fort tempéré, sinon ambigu et il ne trouva son véritable positionnement qu’après 1958 dans l’opposition résolue au général de Gaulle. Logiquement, ces aspérités sont ici gommées et le premier secrétaire du PS affiche un profil soigneusement lissé.

Témoignage de la libéralisation des ondes et d’un goût nouveau pour l’intime, ce reportage lui donne également l’occasion d’exprimer sa passion pour la littérature et la terre. Travaillant son image dans cet exercice de communication, il lui importe encore d’affirmer qu’il sert un dessein collectif, pour effacer le souvenir de sa déclaration prématurée de candidature présidentielle en mai 1968 qui faillit mettre un terme à sa carrière politique.

Mais l’essentiel se joue sur le terrain électoral dans la validation de la stratégie d’union. Bien que battue, la gauche progresse (177 sièges contre 91 en juin 1968). François Mitterrand apparaît alors renforcé, il s’imposera comme le candidat du PS et du PCF à la présidentielle anticipée de 1974 où il est battu de peu par Valéry Giscard d’Estaing.
Antoine Rensonnet

Transcription

Présentateur
Nous poursuivons aujourd’hui la présentation d’un certain nombre de personnalités politiques représentants les différentes tendances engagées dans la campagne électorale. Aujourd’hui, monsieur François Mitterrand, premier secrétaire du Parti Socialiste.
(Musique)
François Mitterrand
J’ai toujours eu quelques difficultés à être, a priori, pour le pouvoir établi lorsque ce pouvoir établi me paraît reposer lui-même sur la paresse d’esprit, les habitudes, les usages, beaucoup plus que sur la recherche ou que sur l’imagination.
(Bruit)
Robert Mitterrand
Quand nous étions tous jeunes, nous étions des enfants assez sages dans une famille nombreuse, dans un milieu chrétien, etc. Il n’a pas abandonné ses convictions de base, mais il a changé dans le sens que, si vous voulez, il est devenu socialiste, comme il l’explique lui-même dans certaines publications. Il l’est devenu, vraiment, d’une façon complètement sincère. Alors ça, c’est un changement qui s’est produit dans sa vie à l’âge d’entre 18 et 25 ans, si vous voulez, au spectacle de la misère extérieure, au contact de ses camarades étudiants, soldats, prisonniers, résistants, etc. Ben, il a changé, ça, c’est certain.
François Mitterrand
Je n’ai jamais été éloigné de la Gauche puisque j’appartenais à un petit parti qui s’appelait l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance, et je ne l’ai jamais quitté. Ce parti s’est fondu ensuite dans la Convention des Institutions Républicaines en 1965 et la Convention des Institutions Républicaines s’est fondue à son tour dans le Parti Socialiste en 1971. J’ai donc suivi le sort de ma première formation politique. J’ai commencé ma vie politique pendant la résistance, c’est là que j’ai eu mes premières responsabilités. J’ai ensuite participé au premier Gouvernement résurrectionnel en 1944 et c’est ainsi que j’ai pris part au premier Gouvernement de la France libérée sous la présidence du Général de Gaulle. Là, j’ai pris de grandes leçons. J’ai été élu député en 1946 au mois de décembre. Vous voyez, cela fait maintenant bientôt, eh oui, exactement 26 ans.
(Bruit)
(Musique)
Journaliste
Si l’homme politique est connu tant en France qu’à l’étranger, ses goûts, ses préoccupations, ses attitudes en privé dans ses rares instants de loisir le sont beaucoup moins. S’il est prolixe en de nombreux domaines, il n’aime guère parler de lui-même.
(Musique)
Journaliste
Comment passez-vous votre temps quand vous pouvez vous reposer un petit peu, quand…
François Mitterrand
Eh bien, je lis, je dors, je me promène. Je crois qu’après avoir dit ces trois choses, j’ai résumé mon emploi du temps.
Journaliste
Qu’est-ce que vous lisez ?
François Mitterrand
Par exemple, pour l’instant, j’ai récemment acheté les oeuvres complètes de Saint-John Perse, qui viennent de paraître à La Pléiade. Bon ben, je m’en repais parce que je crois que c’est la plus grande langue et le plus grand poète actuel. Quand je trouve un peu de paix en vacances ou lorsque la vie politique me laisse quelque délai, bon, j’écris des journaux, quelquefois des livres. Enfin, bien peu et pas comme je voudrais.
Journaliste
Et la musique ?
François Mitterrand
Je ne suis pas un véritable mélomane. Je l’aime comme on aime un moment d’enchantement, presque par surprise. Tout de même, il y a quelques musiciens dits classiques qui peuvent occuper mes soirées à condition que je les choisisse. J’aurais quelque peine, par exemple, à passer des soirées au concert, mais chez moi par contre, j’aime composer ma propre soirée.
Journaliste
La nature, la lecture, la musique qu’est-ce que vous avez d’autre comme passions dans la vie, enfin qu’est-ce que…
François Mitterrand
Je n’ai pas toutes les passions du monde. Je vous répète que lorsque je suis à Paris ou dans la Nièvre, j’aime m’occuper de ma vie politique. Je passe beaucoup de temps dans mon Morvan, que je représente, et j’aime m’intéresser au, à la vie des hommes, des choses qui sont faites de beaucoup d’humbles faits. C’est vrai que le problème de l’adduction d’eau, ça signifie un apport considérable dans la vie d’un groupe humain.
Robert Mitterrand
Je crois que sa plus grande qualité, c’est le sérieux, c’est-à-dire le fait de prendre les choses au sérieux et de les examiner à fond.
Journaliste
Quelles qu’elles soient ?
Robert Mitterrand
Sur tous les sujets, on peut dire qu’il a été un peu plus loin qu’un autre.
Journaliste
Plus loin en effet, comme en 1972 lorsqu’il signe avec Georges Marchais le programme commun socialiste-communiste.
François Mitterrand
Le programme commun de la Gauche a été l’objet de beaucoup de recherches. Il a fallu politiquement y travailler pendant des années et pratiquement pendant des mois. Au congrès d’Epinay-sur-Seine, en 1971, au mois de juin, le Parti Socialiste a pris position pour que ce programme commun fût discuté et si possible, put aboutir avec les Radicaux et le Parti Communiste. Et d’ailleurs, avec tous ceux qui le voudraient, membres, organisations, partis de Gauche, tous ceux qui se reconnaîtraient dans cette perspective. Nous avons situé notre recherche autour de quatre points. La démocratie économique, la démocratie politique, une politique sociale que nous avions, nous socialistes, résumé sous ces termes, Changer la vie, et une politique étrangère. La signification de ce programme commun, je crois – fait nouveau dans la politique française, même en 1936 on n’était pas parvenu à l’établissement d’un programme commun – a été centrée autour de quelques idées en particulier. Et d’abord, avant toute autre chose, celle d’une meilleure définition des libertés publiques, libertés publiques, individuelles et collectives. Donc, le programme commun n’est pas simplement une sorte de déclaration d’intention. Ce n’est pas une promesse pour après-demain. C’est une façon de gouverner décrite aussi précisément que possible pour le mois de mars ou le mois d’avril 1973.
(Musique)
François Mitterrand
Si la Gauche l’emporte en 1973, il est évident qu’il faudra un Premier Ministre de Gauche. Il ne faut pas imposer à Monsieur Pompidou un choix qui lui appartient. Il choisira parmi nous celui qui lui paraît le mieux convenir à cette fonction dans le cadre d’un programme qui n’est pas exactement celui de Monsieur Pompidou mais qui est le nôtre, celui qui, dans l’hypothèse que nous avons choisi, aura été celui qu’auront voulu les Français.
(Musique)
Journaliste
Quant à son avenir, l’avenir que lui prévoient les observateurs politiques, François Mitterrand est très réservé.
(Musique)
François Mitterrand
Et pourquoi voulez-vous que je pense à mon destin personnel pour 1976, moi, je m’occupe de l’année qui vient. J’ajoute que je ne suis pas candidat. On le répand beaucoup parce que le Parti Socialiste est un grand parti, que celui qui le dirige a une haute fonction, parce que j’ai déjà été candidat à l’époque où c’était difficile. Bon, maintenant les choses sont tout autre. La succession de Monsieur Pompidou sera moins difficile d’accès que la succession du Général de Gaulle, surtout lorsque le Général de Gaulle prétendait lui-même l’assumer, de telle sorte que je pense que beaucoup d’hommes d’intelligence et de caractère seront sur les rangs. Et bien moi, ma philosophie ne m’incite pas à m’y placer.
(Musique)
Journaliste
Un épisode de la guerre des affiches.
François Mitterrand
Qui mangera l’autre ? On pourrait inverser la question, qui mangera l’autre, sera-ce Pompidou ou Giscard d’Estaing ? Qui mangera l’autre, ce sera Chaban-Delmas ou bien Pierre Messmer ? Qui mangera l’autre, ce sera Edgar Faure ou bien je ne sais plus qui ! Dans ce marigot-là, il y en a des crocodiles. Regardez-moi, ai-je vraiment l’allure de quelqu’un qui s’apprête à être dévoré tout cru ?
(Silence)
Présentateur
Voilà Président, est-ce que vous vous reconnaissez dans ce portrait ?
François Mitterrand
Un portrait de quelques minutes fait par des journalistes qui ont mis le meilleur d’eux-mêmes avec beaucoup de sérieux, mais qui, forcément, ne connaissent pas tout de ma vie personnelle, c’est forcément une approximation. Mais enfin, ça m’a fait plaisir, je ne sais pas, de voir ma maison des Landes, d’entendre mon frère, d’apercevoir quelques visages amis. Donc j’ai regardé ça avec intérêt.
Présentateur
On a découvert un Mitterrand qu’on ne connaissait pas.
François Mitterrand
Oh, moi, je le connais assez bien quand même. Enfin qui se connaît soi-même? On ne peut jurer de rien.
Présentateur
Bien, est-ce qu’il y a un point particulier sur lequel vous voulez revenir ?
(Silence)
François Mitterrand
N’est-ce pas, toutes ces images très rapides, ce mélange nécessaire entre ma vie publique et ma vie personnelle qui se déroulent, je l’espère, je le crois, dans une certaine unité, en tout cas je m’y efforce, je suis l’homme de mes convictions. Je crois que le choix que j’ai fait du socialisme, c’est véritablement le choix pour la grande idée du monde moderne. C’est aussi pour la chance de la France. Alors, je crois profondément à ce que je fais. Il me semble qu’à travers certaines de ces images, on a pu l’apercevoir, et dans ce sens, ce serait donc un bon portrait. Il y a certains aspects, comme ça, un peu ironiques, un peu critiques, enfin, c’est bien normal. J’aime qu’on me critique, la discussion, c’est une bonne chose.
Présentateur
D’autres vous ont critiqué dans d’autres portraits.
François Mitterrand
Oui, par exemple hier, Michel Poniatowski, mais enfin, je n’y fais pas très attention. Oser dire, si vous votez Mitterrand, il faut stocker, c’est vraiment un manque de patriotisme. C’est vraiment un goût de la polémique absurde. C’est vraiment rabaisser le débat et en même temps, c’est organiser la panique financière. Tout ça, c’est de la vilaine besogne. Alors moi, je ne fais pas ce genre de chose, je n’attaque pas mes adversaires sinon sur leurs idées ; et je dirais que ce que je souhaite, c’est que la campagne électorale soit pour les Français l’occasion d’un grand choix. Évidemment, je plaide un peu pour mes saints et je dirais, la chose la plus simple, c’est quand même de voter socialiste.
Présentateur
Un dernier mot ?
François Mitterrand
Un dernier mot, je voudrais qu’à travers, enfin, je voudrais, dans la mesure de mon pouvoir qui est mince, je voudrais que pendant les six semaines qui vont se dérouler, les Français, en conscience, comprennent la nécessité d’un changement. Qu’il soit en même temps pour eux la possibilité de vivre mieux et de changer leur vie.
Présentateur
Je vous remercie