L’opposant
La traversée du désert (1958-1962)
Pour François Mitterrand qui, à quarante-deux ans, paraissait devoir atteindre au sommet de la hiérarchie politique sous la IVe République en devenant président du Conseil, l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle prend des allures de catastrophe. Rallié sur le tard au général de Gaulle durant la guerre, il lui reproche d’avoir confisqué la Résistance à son seul profit en éliminant ou neutralisant les chefs des principaux mouvements.
Mais surtout, en ferme partisan du régime parlementaire qui lui apparaît inséparable de la République, il ne pardonne pas au général les conditions de son retour au pouvoir sous la menace d’un putsch militaire exécuté par les parachutistes d’Alger. « Entre de Gaulle et les Républicains, écrira-t-il en 1964, il y a d’abord et il y aura toujours le coup d’Etat ». De surcroît, sa situation personnelle change du tout au tout. Battu pour la première fois de sa carrière dans la Nièvre devant le raz-de-marée gaulliste aux élections de novembre 1958, il perd son siège de député. Sans doute préserve-t-il son avenir politique en devenant au printemps 1959 maire de Château-Chinon et sénateur de la Nièvre.
Mais surtout, il se trouve largement discrédité par l’affaire de l’Observatoire en octobre 1959, attentat contre sa personne dont son instigateur affirme qu’il l’en avait prévenu, ce qui conduira à la levée par la Haute Assemblée de son immunité parlementaire.
De plus, la naissance de la Ve République conduit à son isolement politique. Le référendum de septembre 1958 sur la Constitution de la Ve République, pour lequel il préconise le « non », conduit à l’éclatement de l’UDSR, Pleven et Claudius-Petit, partisans du « oui » faisant scission avec une bonne partie des adhérents. Formellement, François Mitterrand continue à présider un parti qui n’est plus qu’une coquille vide dont l’existence se résume à l’activité des fidèles issus du Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés.
La stratégie de François Mitterrand consiste alors à s’efforcer de rassembler la gauche anti-gaulliste, à l’exception des communistes, mais il se heurte à la méfiance des socialistes qui voient en lui un notable centriste très éloigné du marxisme et de la « nouvelle gauche » pour qui il reste marqué par son rôle dans la Quatrième République. En juillet 1959, le Parti socialiste autonome (PSA), issu d’une scission des partisans du « non » au référendum constitutionnel au sein de la SFIO, refuse son adhésion. La formation en avril 1960 du Parti socialiste unifié réunissant le PSA et la « nouvelle gauche » le maintient dans son isolement. Conscient que celui-ci le prive de tout avenir politique, François Mitterrand réagit en créant en février 1960 la Ligue pour le combat républicain qui ne se veut pas un parti, mais un rassemblement de démocrates, partisans de la République parlementaire, réfléchissant sur les modalités d’un possible après-gaullisme.
Mais c’est bien au gaullisme qu’appartient l’initiative. De 1958 à 1962, la pratique politique du général installe dans les faits la prépondérance absolue du président de la République dans les institutions. Le référendum constitutionnel de 1962 instaurant l’élection au suffrage universel du Chef de l’Etat couronne son action, mais elle permet aussi à François Mitterrand de sortir de son isolement et de retrouver un rôle politique qui va rapidement le porter en quelques années à apparaître comme le chef de file de l’opposition au gaullisme.
L’adversaire du général de Gaulle (1962-1968)
Le référendum de 1962 réinsère en effet François Mitterrand dans les rangs de l’opposition au gaullisme. L’UDSR (dont il demeure le président) fait en effet partie du « Cartel des non » qui rassemble tous les partis hostiles au pouvoir personnel du général, de la droite des Indépendants aux socialistes, à l’exception des gaullistes et des communistes. Si le général remporte un écrasant succès, les élections législatives qui suivent permettent la réélection de François Mitterrand comme député de la Nièvre à l’Assemblée nationale.
Il retrouve ainsi une tribune qui lui permet de mettre en évidence son talent politique. Parallèlement, dès 1963, il élargit la Ligue pour le combat républicain en la fusionnant d’abord avec le Club des Jacobins de Charles Hernu, puis en 1964 avec une cinquantaine de clubs pour former la Convention des Institutions républicaines qui se propose de réfléchir à la création d’une République moderne.
Douzièmes assises de la Convention des institutions républicaines
En outre, François Mitterrand qui préside la CIR se place résolument dans cette perspective en se ralliant (à la différence de Pierre Mendès-France) à l’élection du président de la République au suffrage universel.
Décidé à prendre la tête de l’opposition de gauche à la pratique constitutionnelle du général de Gaulle, il la combat vivement à la tribune de l’Assemblée, rappelant le principe de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement.
François Mitterrand sur la responsabilité du gouvernement face au parlement
François Mitterrand sur la nature du régime de la Ve République
En novembre 1964, il publie pour fustiger la politique du général Le Coup d’Etat permanent qui le pose en défenseur de la démocratie face au pouvoir personnel.
Aussi, alors que l’opposition est à la recherche d’un candidat à l’élection présidentielle de décembre 1965, et après l’échec du socialiste Gaston Defferre qui n’a pas réussi à rassembler centristes et socialistes, François Mitterrand pose-t-il sa candidature à la présidence de la République en proposant un rassemblement de la gauche allant des radicaux aux communstes. Proposition d’autant plus facilement acceptée par les partis de gauche que François Mitterrand ne dirige qu’une petite formation et que personne ne doute que De Gaulle écrasera ses rivaux.
Intervention télévisée lors de la campagne présidentielle
Or, contre toute attente, le candidat de la gauche rassemble au premier tour 31,72% des suffrages, mettant De Gaulle en ballotage.
Intervention télévisée lors de la campagne présidentielle
Et si le général l’emporte nettement comme prévu au second tour, les 45% obtenus par François Mitterrand le posent comme le porte-parole de l’opposition. D’autant que, résolu à exploiter sans tarder ce succès, François Mitterrand réussit à rassembler ses soutiens (socialistes, radicaux, membres de la Convention des Institutions républicaines) au sein d’une Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), destinée à former une structure permanente d’opposition au gaullisme et la base d’une alliance à gauche avec les communistes, capable de conquérir le pouvoir.
Les élections législatives de mars 1967 marquent la première étape de cette tentative de conquête. Si les résultats de la FGDS sont en demi-teinte en termes de suffrages, elle devient, avec 121 élus, la force principale de l’opposition et il s’en faut de très peu que la majorité gaulliste soit battue.
Renforcé par ce résultat, François Mitterrand se fait au Parlement le porte-parole de l’opposition, poussant ses partenaires à déposer une motion de censure pour ébranler un peu plus le pouvoir gaulliste.
François Mitterrand demande une motion de censure
Mais cette marche vers le pouvoir va se trouver brutalement interrompue par la crise de mai 1968 qui prend de court le monde politique. En pleine crise, alors que l’Etat gaullien paraît chanceler, François Mitterrand pose sa candidature à la présidence de la République le 28 mai.
Conférence de presse du 28 mai 1968
L’effet de ce qui apparaît comme une tentative de coup d’Etat (puisque De Gaulle est toujours en fonctions) est catastrophique. La reprise en main de la situation par le général de Gaulle le 30 mai, la dissolution de l’Assemblée nationale suivie des élections de juin 1968 sont une victoire pour les gaullistes, alors que la FGDS est taillée en pièces. Cette défaite provoque sa dissolution, chacun des partenaires retrouvant son autonomie, cependant que l’invasion des chars soviétiques en Tchécoslovaquie, approuvée par le parti communiste français, rend impossible toute alliance avec lui.
Pour François Mitterrand, tout reste à reprendre.
La marche vers le pouvoir (1971-1981)
La démission du général de Gaulle le 28 avril 1969 à la suite de la réponse négative du suffrage universel au référendum sur la réforme régionale va rebattre les cartes. Convaincu que la gauche n’a aucune chance de l’emporter si elle est désunie, François Mitterrand ne se porte pas candidat à l’élection présidentielle prévue en juin 1969, laissant l’opposition aller au combat avec quatre champions. La victoire de Georges Pompidou, qui se présente en héritier du général de Gaulle est attendue.
Mais l’échec total du candidat socialiste Gaston Defferre qui ne rassemble que 5% des suffrages quand le communiste Jacques Duclos en totalise 21,5% va entraîner une profonde restructuration de la SFIO qui devient le Nouveau parti socialiste et porte à sa tête Alain Savary, avec l’accord du secrétaire général sortant Guy Mollet.
François Mitterrand et la Convention des institutions républicaines sont restés à l’écart de ce qu’ils considèrent comme un simple replâtrage. Mais les négociations conduites avec le parti socialiste permettent, lors du congrès d’Epinay de juin 1971, l’adhésion de François Mitterrand et de la Convention des institutions républicaines.
Congrès d’Epinay
Mieux encore, avec l’appui des socialistes qui suivent Pierre Mauroy et de l’aile gauche du parti, le CERES, conduit par Jean-Pierre Chevènement, François Mitterrand est élu Premier secrétaire sur un programme d’union des gauches des radicaux aux communistes, qui ne porte pas sur les questions idéologiques, mais sur la volonté de conquête et d’exercice du pouvoir.
Un an plus tard, en juin 1972, à l’issue d’âpres négociations, un Programme commun de gouvernement est signé avec les communistes et les radicaux.
Signature d'un Programme commun de gouvernement par le PS et le PC
François Mitterrand et Alexandre Sanguinetti à propos du Parti socialiste
Cette dynamique qui fait du parti socialiste conduit par François Mitterrand, l’élément moteur de la gauche française, a pour résultat, lors des élections législatives de 1973, de permettre aux socialistes et aux radicaux de faire jeu égal avec les communistes en termes de suffrages.
Conférence de presse avant les législatives
Mais la véritable épreuve de vérité se situe en 1974. La mort inattendue de Georges Pompidou en avril 1974 conduit à une nouvelle élection présidentielle qui révèle que le Premier secrétaire est aux portes du pouvoir.
Largement en tête au premier tour avec 43,3% des suffrages, il manque d’un cheveu son élection au second tour (à 49,2%), devancé de peu par le centriste Valéry Giscard d’Estaing qui rassemble 50,8% des suffrages.
Débat d’entre-deux tours entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand
Vu du côté de François Mitterrand et du parti socialiste, le septennat de Valéry Giscard d’Estaing apparaît a posteriori comme la dernière étape de la conquête du pouvoir. Le résultat de l’élection présidentielle a stimulé l’électorat de gauche, si bien que les élections locales comme les sondages révèlent que l’opposition est sans doute majoritaire dans le pays, d’autant que, dès 1976, la division de la majorité de droite entre chiraquiens et giscardiens affaiblit l’autorité du président de la République.
Réaction de François Mitterrand après les municipales
Aussi l’opinion s’attend-elle à une victoire de la gauche aux élections législatives de 1978 et le président de la République lui-même envisage les modalités d’une éventuelle cohabitation avec une majorité parlementaire de gauche.
L’alternance politique ainsi entrevue va se trouver remise en cause par le parti communiste. Prenant conscience que l’union de la gauche entraîne une dynamique qui profite surtout à François Mitterrand et aux socialistes, il redoute qu’une victoire de la gauche n’aboutisse à sa propre marginalisation. Aussi réclame-t-il une actualisation du Programme commun, se montrant d’une grande intransigeance sur les nationalisations, la politique extérieure ou la politique de défense.
Le refus de François Mitterrand de céder à ces exigences provoque en septembre 1977 la rupture de l’union de la gauche, permettant à la majorité de droite de l’emporter.
François Mitterrand évoque les relations entre socialistes et communistes avant les législatives
Mais ce n’est que partie remise. Candidat pour la troisième fois à l’élection présidentielle de 1981, François Mitterrand l’emportera cette fois, en partie grâce aux divisions de la droite, une partie des électeurs chiraquiens l’ayant préféré au président sortant Valéry Giscard d’Estaing.
Débat d’entre-deux tours entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing
Après 23 ans d’opposition déterminée au général de Gaulle et à ses successeurs, François Mitterrand est élu président d’une Ve République qu’il va conduire pendant deux septennats successifs.