Conférence de presse du 28 mai 1968

28 mai 1968
07m 03s
Réf. 00113

Notice

Résumé :
Alors que le mouvement social et étudiant de mai 1968 semble devenu incontrôlable et que l’annonce d’un référendum par le chef de l’Etat n’a fait qu’amplifier la crise, le président de la FGDS, François Mitterrand, prend la parole le 28 mai. Considérant la succession du général de Gaulle ouverte, il se déclare candidat à la présidence de la République.
Date de diffusion :
28 mai 1968
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )

Éclairage

Au début du printemps 1968, François Mitterrand semble jouir d’une situation politique privilégiée. Après l’avoir poussé à un ballotage inattendu lors de la présidentielle de décembre 1965, il apparaît comme le premier opposant au général de Gaulle et a réuni les principaux partis de la gauche non communiste au sein de la FGDS. Celle-ci ayant obtenu de bons résultats lors des législatives de mars 1967 et alors que les prochaines échéances nationales ne sont prévues qu’en 1972, il dispose donc du temps nécessaire pour approfondir une stratégie d’union de la gauche qui passe par un rapprochement des composantes de la FGDS et la signature d’un accord programmatique avec le PCF.

Mais le gigantesque mouvement social de mai 1968 va bouleverser ces plans. Hostile au général de Gaulle donc éminemment politique, il n’a cependant nul sens partisan précis et les forces de gauche sont prises au dépourvu, finissant par réagir en ordre dispersé.

Tandis que le PCF appelle à la formation d’un gouvernement populaire, François Mitterrand envisage, le 28 mai, lors d’une conférence de presse, tenue devant les autres leaders de la FGDS, la situation institutionnelle. Ses propos vont susciter une forte polémique. Non en raison de son opposition au chef de l’Etat qui a annoncé quatre jours plus tôt un référendum sur la rénovation qui doit décider de son avenir mais parce qu’il anticipe – quand il ne le décrète pas déjà vacant – l’écroulement futur d’un pouvoir qu’il semble désireux, après l’épisode d’un gouvernement provisoire dirigé par Pierre Mendès France, d’occuper personnellement puisqu’il annonce sa candidature à l’élection présidentielle.

Sans doute, en confondant faits et conjectures, François Mitterrand commet-il une lourde erreur tactique et gagne-t-il une solide réputation d’opportunisme. Il devient même, le 30 mai, un « politicien au rancard » par la voix de Charles de Gaulle. Celui-ci, qui joue outrancièrement de la peur d’une révolution communiste mais se révèle toujours apte à « faire  l’histoire », renonce alors au référendum et prononce la dissolution de l’Assemblée nationale.

Après le reflux du mouvement de mai, les législatives anticipées des 23 et 30 juin 1968 tournent au désastre pour la FGDS (57 sièges remportés contre 121 un an plus tôt). Bientôt, elle explose et François Mitterrand doit, provisoirement, renoncer à des ambitions trop vite affichées.
Antoine Rensonnet

Transcription

(Silence)
Journaliste
A l’Hôtel Continental en fin de matinée, Monsieur François Mitterrand a tenu une conférence de presse en présence des membres du contre gouvernement et devant les représentants des journaux français et étrangers. Voici les principaux extraits de la déclaration liminaire faite par le Président de la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste.
François Mitterrand
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre présence. En France, depuis le 3 mai 1968, il n’y a plus d’État et ce qui en tient lieu ne dispose même pas des apparences du pouvoir. Tous les Français savent que le gouvernement actuel est incapable de résoudre la crise qu’il a provoquée et qu’il en est réduit à agiter la menace du désordre dont il est le vrai responsable pour tenter de se maintenir en place quelques semaines encore. Et pour quel dérisoire avenir ? Quelques semaines, quelques jours, quelques heures, nul n’en sait rien, peut-être pas même lui. Mais, notre pays n’a pas le choix entre l’anarchie et l’homme dont je ne dirais rien aujourd’hui, sinon qu’il ne peut plus faire l’histoire. Il s’agit de fonder la démocratie socialiste et d’ouvrir à la jeunesse cette perspective exaltante, la nouvelle alliance du socialisme et de la liberté. À travers la révolte des étudiants et la grève des travailleurs, des forces nouvelles se sont fait jour, elles ne peuvent être ignorées. Mais elles ne peuvent pas non plus ignorer les puissantes organisations populaires qui ont mené le combat dans des temps difficiles et préparer l’avènement du temps qui vient. Pour l’immédiat, je verse au grand débat qui occupe les Français, les réflexions suivantes. Premièrement, il va de soi que les républicains diront non au référendum plébiscite. Mais le référendum n’est lui-même qu’un subterfuge, il convient dès maintenant de constater la vacance du pouvoir et d’organiser la suite. Deuxièmement, le départ du Général de Gaulle au lendemain du 16 juin, s’il ne se produit pas avant, provoquera naturellement la disparition du Premier Ministre et de son gouvernement. Dans cette hypothèse, je propose qu’un gouvernement provisoire de transition et de gestion soit aussitôt mis en place. Sa mission serait de trois ordres, remettre l’État en marche en se faisant l’interlocuteur attentif des nombreuses assemblées de travailleurs et d’étudiants qui réfléchissent avec ardeur et désintéressement aux réformes indispensables de notre appareil économique, social et universitaire ; répondre aux justes revendications des divers groupes socioprofessionnels ; organiser les conditions pratiques de l’élection présidentielle. Sa durée, sa durée sera limitée pour le moins à l’élection du nouveau Président de la République qui aurait lieu, dans cette perspective, dans le courant du mois de juillet. Il serait composé de 10 membres choisis sans exclusive et sans dosage, comme ce fut le cas en 1944, dans des conditions différentes et cependant comparables, du fait de la disparition de l’État, en recherchant sur des options communes le concours de ceux qui, à partir de l’Union de la Gauche, seront en mesure d’élargir les bases de la réconciliation nationale.
Journaliste
Pour Monsieur Mitterrand, l’un des premiers actes du Président de la République serait de dissoudre l’Assemblée Nationale, dont le renouvellement pourrait avoir lieu, selon lui, en octobre. Monsieur Mitterrand pose alors deux questions auxquelles il répond ainsi.
François Mitterrand
Première question, qui formera le gouvernement provisoire ? S’il le faut, j’assumerais cette responsabilité, mais il en est d’autres qui peuvent y prétendre au même titre, et je pense d’abord à Monsieur Pierre Mendès-France. Au demeurant, ce n’est pas un problème d’homme, c’est, je le répète un choix politique et ce choix politique qui commandera l’action, c’est celui que j’ai défini.
(Bruit)
François Mitterrand
Et qui sera Président de la République ? Souverainement et librement, le suffrage universel le dira. Mais d’ores et déjà, pour votre information, je vous annonce, parce que le terme éventuel est à 18 jours et parce que c’est le même combat, je suis candidat. Telles sont, Mesdames et Messieurs, les conditions qui me paraissent nécessaires pour que les Français, ayant repris en main leurs propres affaires, après avoir dit non aux plébiscites, soient enfin doté d’un État capable de reprendre rang dans l’Europe qu’il faut construire, d’épanouir nos libertés et surtout, surtout de rétablir à l’intérieur la concorde et la paix. Mesdames et Messieurs, je vous remercie.
(Bruit)