Différend entre la Compagnie des Alpes et les stations
Notice
Un différend oppose la Compagnie des Alpes, le n°1 mondial des remontées mécaniques, à plusieurs stations des Alpes. En mai dernier, l'État a réduit sa participation et est devenu minoritaire. Les élus de certaines stations de Tarentaise sont inquiets quant aux conséquences possibles de cette privatisation, de l'entrée en bourse de la Compagnie et du changement dans la prise de décision.
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Éclairage
Le reportage, diffusé en novembre 2004 à l'occasion de l'édition régionale sur FR3, questionne la gestion des stations, au travers de la situation de la Compagnie des Alpes (CDA). Ce groupe est né en Tarentaise à la fin de la décennie 1980 et est adossé à la Caisse des Dépôts et Consignations. Avec aujourd'hui dans son portefeuille, la plupart des stations d‘altitude, la CDA s'est fait une spécialité de sites à garantie d'enneigement, disposant d'un domaine skiable de qualité. Elle est donc l'opérateur le plus important dans un secteur de remontées mécaniques très concentré, faisant craindre une situation de monopole pour les maires des stations concernées. C'est bien cette crainte qui est au cœur du différend entre collectivités locales et CDA ; une situation récurrente au gré des prises de « contrôle » de domaines skiables par le groupe.
Pour comprendre les tensions au sein des stations d'altitude, il faut revenir à la Loi Montagne de 1985 qui a cherché à encadrer le développement touristique de la montagne, et notamment la gestion des stations. Ainsi, cette loi définit les communes supports de stations, responsables des opérations d'aménagement touristique. Il en va ainsi des remontées mécaniques. Les collectivités locales peuvent ainsi choisir de gérer en direct leurs domaines skiables, ou de déléguer la station à un opérateur économique, acteur privé ou société d'économie mixte. C'est d'ailleurs une particularité française de considérer les remontées mécaniques d'un domaine skiable comme un service public, liant ainsi sa gestion aux collectivités locales en place.
La plupart des grandes stations de Tarentaise ont choisi la CDA pour gérer leurs domaines skiables via un contrat juridique nommé délégation de service public. Ce contrat met en relation ces deux acteurs, l'un public, la collectivité support, et l'autre privé, un acteur économique ; chacun avec des logiques différentes, des enjeux divers. Le contrat les lie pour une durée déterminée et précise donc les droits et les devoirs de chaque parti. Et c'est bien ce qui est au cœur des incompréhensions, voire des controverses plus virulentes qui régulièrement, opposent les deux groupes d'acteurs.
En 2004, à l'occasion de l'entrée en bourse de la CDA, synonyme d'une part minoritaire pour l'État, l'inquiétude est réelle pour les élus de Tarentaise interviewés, notamment ceux des stations de Tignes, Les Arcs et la Plagne, avec pour risque essentiel, la perte de contrôle de leur outil de production. Les questions vont bon train : la CDA ne va-t-elle pas ouvrir son capital à des fonds de pension étrangers dont la logique est avant tout financière et internationale ? Les élus ne risquent-ils pas d'être pilotés par des « étrangers » et ainsi perdre la maîtrise de leur outil de production, le domaine skiable ? En ce sens, les élus, souvent épaulés par des conseillers et des avocats, visent à négocier le devenir de la valeur ajoutée dégagée par leur station. Restera-t-elle sur place ou ira-telle uniquement grossir le résultat du groupe Compagnie des Alpes et donc les dividendes versées aux actionnaires ? L'enjeu est également commercial avec la nécessité pour les élus de voir se réaliser les infrastructures telles que négociées dans les contrats.
De son côté, la CDA, via l'interview de son tout nouveau directeur des domaines skiables, Roland Didier, tend à ramener les différends au rang d'incompréhensions locales et témoigne surtout dans les années 2000, de sa volonté d'intégrer le marketing, aux côtés de la gestion technique des domaines skiables. L'optique est claire : travailler la qualité du service aux usagers, développer une marque CDA, sécurisant le client sur l'offre touristique à disposition. Et c'est bien ce qui intéresse le client : disposer d'une offre touristique en adéquation avec ses attentes, et dont les relations sous-jacentes entre collectivités locales et opérateurs touristiques, notamment de remontées mécaniques, sont pour lui une « boîte noire » à ne pas ouvrir.
Pour aller plus loin :
- Facim (2004) Stations de montagne, vers quelle gouvernance ?. Actes de la conférence-débat 30 avril 2004, Chambéry, Savoie : Éditions Comp'Act, 230p.
- François Hugues, George-Marcelpoil Emmanuelle (2012) De la construction à la gestion des stations. In : revue de Géographie Alpine , Journal of Alpine Research [En ligne], 100-3 , 2012, mis en ligne le 18 décembre 2012. Disponible sur : http://rga.revues.org/1897. DOI : 10.4000/rga.1897.