La valorisation des produits régionaux
Notice
A Gap, dans les Hautes Alpes, un accord a été signé entre les agriculteurs locaux et les supermarchés, qui vendront des produits régionaux. Ils étaient auparavant disponibles uniquement sur les marchés ou chez les producteurs, qui attirent de moins en moins de touristes. Ce partenariat permettra donc de valoriser les produits locaux, de les faire connaître, et d'apporter des bénéfices aussi bien aux producteurs qu'aux supermarchés.
Éclairage
Comme il est de coutume dans les périodes de vacances hivernales ou estivales, les Alpes « arrière pays » de la région PACA et généralement peu évoquées par la station régionale FR3 Méditerranée, sont à l'honneur. Le sujet du tourisme leur redonne une place, surtout dans des années 1990 où Marseille n'a pas encore acquis son aura de ville touristique avec les deux opérations majeures, le TGV et Marseille-Provence capitale européenne de la culture. Au cœur du mois d'août, période de plus grande affluence, la station régionale consacre un reportage aux produits locaux, identifiés grâce au sous-titre accrocheur de « terroir » que la journaliste associe aux territoires touristiques, mais aussi aux relations entre producteurs et grandes surfaces. Ces images diffusées en milieu de journal régional du soir abordent une question importante et récurrente : celle de l'écoulement des produits locaux et de la rétribution des producteurs à leur juste prix dans un contexte où la grande voire la très grande distribution semble avoir gagné la partie.
Le reportage se concentre sur la partie méridionale du département des Hautes Alpes et sa capitale départementale, Gap. En effet, celle-ci présente l'avantage de fournir des produits variés et abondants, produits laitiers et charcuterie du Champsaur et des vallées proches de Gap, autant d'articles identifiés comme « alpins ». Moins connus mais tout aussi importants, les vergers et jardins de Tallard et Laragne, deux cités jouxtant les Alpes de haute Provence, alimentent toute la région et bien au-delà, bénéficiant du climat adouci au sud et en aval de Gap. Par ailleurs, un hypermarché, dont l'enseigne célèbre a construit son image sur l'accessibilité et le coût des produits de première nécessité et la défense des producteurs, semble mener à Gap une politique commerciale innovante. Son responsable indique que son établissement met en place ce qui deviendra quelques années plus tard, le programme « les alliances locales ». Comme l'explique Claude Berthy, l'idée est de nouer des partenariats avec les producteurs locaux pour valoriser et vendre leurs marchandises, au sein des grandes surfaces avec une spécification « terroir » et un emplacement qui les identifient. En arrière plan, comme pour prouver la mise en place de ce système, la caméra zoome sur les rayons garnis de tomes et de yaourts du Champsaur, de boîtes d'œufs et de saucissons, tous repérables grâce à l'étiquette bleue des Hautes Alpes. C'est la période où la labellisation se développe et s'élargit à une gamme plus vaste en même temps qu'émerge une demande de qualité recherchant des articles moins industriels. L'argument du « marché des produits de terroir » au sein des grandes surfaces tient dans la désaffection que connaîtraient les marchés locaux et le petit commerce, la clientèle privilégiant désormais les hypermarchés. Les images semblent confirmer cette idée, en présentant le marché traditionnel de Gap avec des étals quelque peu dispersés, fréquentés uniquement par une clientèle âgée.
Le reportage montre que cette expérience est un pari gagnant – gagnant pour les deux parties. Pour le supermarché, vendre des produits locaux rehausse son image commerciale en intégrant la qualité associée à la marque « terroir ». Pour les producteurs, l'exemple retenu montre l'avantage qu'en retire la fromagerie du Champsaur qui peut ainsi écouler sa production, même si une des responsables reconnaît que les produits destinés aux crémeries artisanales bénéficient d'un autre affinage. Dans une période d'expansion rapide en nombre et en taille des grandes surfaces, avec une concurrence féroce entre les différentes enseignes, en jouant sur l'image de la proximité et du partenariat, l'enseigne Leclerc,- qui sera suivie ensuite par d'autres comme Casino- se positionne comme une enseigne « responsable ». Mais à l'époque du reportage c'est une carte spécifique due au contexte local que saisit le directeur pour la rentabilité de son hypermarché établi dans un département peu peuplé qui vit essentiellement du tourisme. Pour bien souligner l'intérêt de ce partenariat, y compris pour les agriculteurs, le film se termine sur des images de la campagne champsaurine avec des vaches dans un pré : image classique d'une production de qualité digne des territoires de montagne, et rassurante pour le consommateur.
Quelques vingt ans après, un reportage sur le même sujet présenterait les choses de manière sans doute différente. Les produits de proximité, vendus de manière généralisée dans toutes les grandes surfaces, ont pris une importance majeure et le « terroir » fait encore davantage recette. Certes les partenariats sont là pour favoriser les deux parties, mais d'autres arguments ont pris le pas. Les circuits courts correspondent à la défense généralisée de l'environnement et la qualité est aussi devenue une affaire de santé. L'engouement pour les marchés locaux, notamment ceux de la saison estivale, ne se dément pas contrairement à ce qui était indiqué dans le reportage de 1994 alors que la désaffection relative pour les hypermarchés oblige ces derniers à une prise en compte encore plus forte des produits locaux.
Pour aller plus loin :
- Bérard Laurence, Marchenay Philippe (2004) Produits de terroirs, comprendre et agir [en ligne]. CNRS éditions. Disponible sur : http://hal.archives-ouvertes.fr.
- Bérard Laurence, Marchenay Philippe, Micoud André, Rautenberg Michel (2000) Campagnes de tous nos désirs - patrimoines et nouveaux usages sociaux. Paris : éditions MSH.