Interview de Jérôme Monod

04 novembre 1971
03m 09s
Réf. 00016

Notice

Résumé :
Jérôme Monod, délégué à la DATAR, évoque l'installation de l'usine SKF à Fontenay-le-Comte, qu'il estime décisive pour l'industrialisation du sud vendéen. Selon lui, l'environnement économique et social de ce territoire est bien adapté au développement économique. Il juge aussi positivement pour l'Ouest de la France le tout récent élargissement du Marché commun à la Grande Bretagne.
Date de diffusion :
04 novembre 1971
Source :
Personnalité(s) :
Thèmes :

Éclairage

Délégué-adjoint à l’aménagement du territoire à partir de 1966, Jérôme Monod devient le responsable en titre de la DATAR en 1968 après la nomination d’Olivier Guichard comme ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire dans les gouvernements Pompidou puis Couve de Murville. Né en 1930, formé à l’IEP de Paris et à l’ENA, magistrat de la Cour des Comptes, Jérôme Monod incarne le modèle du technocrate moderne voulu par Michel Debré lors de la création de l’Ecole en 1945.
La venue de Jérôme Monod à Fontenay-le-Comte en novembre 1971 s’inscrit dans les efforts déployés par le maire gaulliste André Forens depuis sa première élection à la tête de la municipalité de Fontenay en 1965. Réélu à la mairie en mars 1971, André Forens peut considérer que sa vision stratégique pour le développement de sa ville a été confortée par une majorité de Fontenaisiens. Après avoir impulsé le développement de nouvelles infrastructures à même d’accueillir l’accroissement de population imputable au baby boom et à l’exode rural, la ville de Fontenay-le-Comte désire passer à l’étape suivante, à savoir bénéficier de l’expansion industrielle.
Depuis le milieu de la décennie 1960, l’industrie française se développe d’autant plus rapidement qu’elle bénéficie de l’apport d’investisseurs étrangers. C’est ainsi que la multinationale suédoise du roulement mécanique industriel SKF, dont la création remonte à 1907, a choisi d’implanter l’une de ses nouvelles unités de fabrication à Fontenay-le-Comte en créant d’emblée 500 emplois et en prévoyant la réserve foncière pour porter ce nombre à 800 si la demande le permet. Jérôme Monod a donc fait le déplacement pour montrer le soutien de l’Etat vis-à-vis de ce projet réalisé dans ce désert industriel qu’est alors le sud-Vendée. L’implantation de l’usine SKF va permettre de qualifier dans des tâches industrielles une main-d’œuvre jeune encore malléable pour pouvoir s’adapter aux contraintes d’une production en constante évolution. Le délégué à l’aménagement du territoire estime que l’implantation de l’usine SKF aura des retombées positives sur l’emploi en attirant d’autres industriels dans le cadre de la sous-traitance ou pour d’autres activités et qu’un cercle vertueux se mettra ainsi en place.
A plus de quarante-cinq ans de distance, la tonalité de l’interview de Jérôme Monod prouve le degré élevé de confiance dans l’avenir industriel du pays que nourrissait la technostructure française dans la France gaullo-pompidolienne. En effet, Jérôme Monod évoque des perspectives de développement à 20 ou 25 ans ainsi que le processus d’adhésion du Royaume-Uni à la CEE qui n’interviendra qu’en 1972 et dont il attend qu’il favorise le développement de la façade Atlantique. Malheureusement, les deux chocs pétroliers de la décennie 1970, le retard apporté à la construction d’un réseau autoroutier permettant de désenclaver cette partie de l’Ouest vont coûter cher à Fontenay-le-Comte qui va voir les efforts d’André Forens ruinés au fil du temps. En 2009, l’usine SKF de Fontenay-le-Comte ferme, entraînant le licenciement de ses 380 salariés. Le redémarrage de l’activité économique dans la capitale du sud-Vendée s’appuie sur les efforts déployés depuis quelques années sur le Vendéopôle du sud-Vendée aménagé à proximité de l’accès à l’autoroute A 83 qui permet d’envisager un nouvel avenir pour l’industrie et l’essor économique à Fontenay-le-Comte, mais sur des bases différentes de celles imaginées voici un demi-siècle.
Eric Kocher-Marboeuf

Transcription

Journaliste
Monsieur Monod, pensez-vous que l’installation d'une unité industrielle comme la SKF à Fontenay-le-Comte puisse jouer un rôle moteur pour l’industrialisation du sud vendéen ?
Jérôme Monod
Sans aucun doute et c’est évident quand on regarde la dimension de cette usine qui va passer d’ici la fin de l’année à, de l’année prochaine, à plus de 500 personnes, et qu’il y a des capacités d’extension très importantes, qui pourra atteindre un jour 800 personnes. D’autre part, c’est une industrie très élaborée, c’est une industrie qui offre des emplois qualifiés, c’est une usine qui appartient à un groupe international, mondialement connu ; et par conséquent, je crois que c’est un élément décisif pour l’industrialisation du sud vendéen. J’ajoute que beaucoup d’activités de sous-traitance, probablement, pourront se développer autour de cette implantation. Donc, la réponse est affirmative.
Journaliste
Alors, à partir de cet exemple de Fontenay, je voudrais savoir quels sont pour vous les critères d’une décentralisation réussie ?
Jérôme Monod
Ecoutez, les critères d’une industrialisation réussie, c’est de rechercher et de s’assurer toutes les conditions d’un bon développement sur le plan industriel, non pas pour l’immédiat seulement mais pour les 10 ans, les 15 ans ou les 20 ans à venir. Et ces critères, à l’heure actuelle, commencent à être très connus, ce sont les critères d’un très bon environnement, qu’on trouve très souvent dans des villes moyennes. Et vous savez que le gouvernement prépare des mesures pour le développement de ces villes moyennes. C’est le fait que la main d’oeuvre soit disponible et une main d’oeuvre que l’on puisse qualifier, que l’on puisse former, c’est le cas de, du sud vendéen. C’est le cas de ce département, c’est le cas d’ailleurs de l’ouest de la France, où une main d’oeuvre encore agricole se convertira peut-être, et en tout cas dont les enfants, cherchera, chercheront sans doute, des emplois industriels. Par conséquent, pour des industries de ce type, une localisation dans l’ouest de la France aux conditions que j’ai indiquées tout à l’heure, quant à la qualification, le, quant à, au caractère de pointe de cette industrie, représente, si je puis dire, l’exemple parfait de la bonne implantation régionale.
Journaliste
Il y a une semaine, la Grande Bretagne décidait de son adhésion au marché commun européen, quelles sont, quelles seront, à votre avis, les incidences de ce choix sur le développement et l’expansion de nos régions de l’ouest ?
Jérôme Monod
Ecoutez, on l’a souvent dit, d’abord, c’est le fait que le marché commun prend une assise et une dimension qui en fait pratiquement le deuxième bloc économique du monde, avec l’entrée, avec l’élargissement du marché commun. C’est un point qui est très important, parce que c’est précisément sur ce marché que repose l’industrialisation. Le deuxième point majeur, et je me plais à le souligner en particulier dans ce département, c’est que l’Angleterre va rééquilibrer, dans une certaine mesure, le centre de gravité de ce marché commun en faveur des pays de l’ouest. Il y a des relations commerciales et des relations d’échanges importantes avec la Grande Bretagne ; elles ne pourront que se développer et elles vont, sans aucun doute, donner à la Grande Bretagne, aux Pays de la Loire et à l’ouest de la France de façon générale une position qui sera mieux centrée par rapport à nos voisins du marché commun. Par conséquent, je crois que c’est un atout qui est important.