Le remembrement

03 juin 1976
08m 13s
Réf. 00263

Notice

Résumé :

Depuis les années 50, en Bretagne, des opérations de remembrement ont été lancées. Malgré la nécessité d'agir, le remembrement, qui a pour objectif d'améliorer les conditions de travail, déchaîne les passions dans le monde agricole.

Type de média :
Date de diffusion :
03 juin 1976
Source :
FR3 (Collection: Terroir 22 )

Éclairage

Qu'est ce qu'un remembrement rural ? C'est l'aménagement des structures d'exploitation afin de privilégier le regroupement des terres agricoles d'une même exploitation. Ce type d'aménagement ne date pas de la deuxième moitié du XXe siècle - on en parlait déjà au XVIIIe. Il peut se faire de façon collective ou individuelle (les propriétaires du Bassin de Rennes l'avaient commencé dès les années 30), et il n'intéresse pas que la Bretagne. Mais, la révolution fourragère qui impliquait la réduction des coûts d'exploitation et l'usage des machines modernes lui donne une vraie urgence dans les années 50. Avant d'être un patrimoine partagé en famille, dont on connaît les moindres recoins, la terre doit être un outil de travail productif.

Le bocage breton qui abritait des fermes aux petites parcelles dispersées fut donc particulièrement concerné : le premier interlocuteur en rappelle l'urgence. Vue l'importance des enjeux, le remembrement a été encadré par la loi et réalisé dans le cadre d'une procédure concertée que rappelle le document, mais les conflits entre agriculteurs ont été nombreux, et ils sont largement évoqués ici. De plus, le remembrement a impliqué des travaux connexes - suppression des talus mais aussi construction des routes et d'autoroutes - qui ont, autant que la suppression des haies, transformé le paysage. Aussi, le remembrement est-il également discuté pour des raisons écologiques et paysagères – au risque d'en oublier parfois la nécessité face aux exigences de la modernisation agricole.

Actuellement, lorsque l'on modifie les structures d'exploitation – car comme le signale le dernier interlocuteur dans le film, elles doivent évoluer en permanence - on ne parle plus de remembrement mais d'aménagement foncier. Celui-ci doit prendre en compte l'environnement en respectant la loi sur l'eau, et celle sur le paysage.... ce que souhaitait le cultivateur interrogé en 1976.

Bibliographie :

Peu de travaux bretons concernent cette question. Un ouvrage d'anthropologie analyse finement l'impact du remembrement sur la commune de Damgan dans le Morbihan:

- Sophie Laligant, Un point de non retour, anthropologie sociale d'une communauté rurale et littorale bretonne, PUR, 2007.

Martine Cocaud

Transcription

Journaliste
Dans la quasi-totalité des cas, les premiers blocages apparaissent sitôt connue la nouvelle répartition des terres. Remembrement, mot magique s'il en est, capable de déchaîner les passions les plus diverses, qui vont de l'adhésion totale et inconditionnelle au refus le plus catégorique. Et pourtant le remembrement est loin d'être un problème nouveau, puisque en Bretagne il a démarré au cours des années cinquante. Quoi qu'il en soit, il s'agit toujours d'un thème qui intéresse autant qu'il divise les agriculteurs mais aussi les citadins. Alors, pour mieux cerner cette notion de remembrement, nous avons mené notre recherche dans trois directions : un remembrement en cours, un remembrement rendu impossible par les oppositions qu'il a soulevées, enfin un remembrement achevé depuis plus de quinze ans.
Agriculteur
Essentiellement ça groupe les terres, seulement il y a vingt ans, ça aurait dû passer, parce que ça arrivait à la fin de notre carrière, alors ça nous donne du boulot supplémentaire.
Journaliste
Il y a vingt ans que ça aurait dû être fait ?
Agriculteur
Oui. Tant qu'à nous sevrir, dans notre génération.
(Musique)
Journaliste
Première région visitée, le sud de l'Ille et Vilaine. Le secteur de Redon offre en effet avant remembrement le spectacle d'une campagne divisée et subdivisée en d'infimes parcelles de terrain.
(Musique)
Agriculteur
Quelle était la superficie des parcelles avant remembrement à Bruc ?
Monsieur Valle
Des domaines de 16 ares, et après de soixante quinze ares.
Journaliste
Soixante quinze ares, c'est encore très peu, est-ce que ce n'est pas un remembrement pour rien ?
Monsieur Valle
Alors je me suis élevé contre ça, dès le début j'ai été nommé par mes collègues dans... Par ce remembrement parce que je leur ai dit d'ailleurs à la première allocution que j'ai pu faire si je puis dire, En leur disant dans dix ans vous serez obligés de remembrer si nous ne voulons pas pousser plus loin ce remembrement. J'ai même été très loin à l'époque en disant qu'il fallait le recommencer et le refaire complètement, en arrivant par exemple à des parcelles qui je pensais moi devaient être au moins de trois hectares dans une commune pour que ce soit vraiment rentable.
(Bruits ambiants)
Journaliste
L'initiative d'un remembrement revient le plus souvent aux responsables agricoles d'une commune. Ceux-ci demandent au préfet d'instituer une commission communale de réorganisation foncière et de remembrement. Cette commission comprend cinq fonctionnaires, le maire de la commune, trois propriétaires exploitants ainsi qu'une personne qualifiée pour ce qui concerne la protection de la nature. Cette commission va déterminer le périmètre à remembrer, procéder au classement et à l'évaluation des terres. Il s'agit là d'une phase exploratoire qui aboutit à un avant-projet.
(Bruits ambiants)
Journaliste
Et quel a été votre rôle, président de l'association foncière, qu'est-ce que ça veut dire ?
Monsieur Buis
Ca veut dire qu'il y a une personne désignée par commune pour recevoir les réclamations de tous les agriculteurs de la commune en tant que s'ils sont satisfaits du remembrement ou s'ils ne le sont pas. Alors s'ils ne le sont pas, ils viennent trouver le président, ils vont leur expliquer leur cas et avec le génie rural s'il n'y a pas moyen de faire autrement, on trouve une solution entre le président de la commune et le génie rural.
(Musique)
Journaliste
Parvenu à ce point, peut-être est-il bon de rappeler les objectifs fondamentaux de tout remembrement. La loi dit en substance ceci : le remembrement a pour but exclusif d'améliorer l'exploitation agricole, il doit tendre à constituer des exploitations rurales d'un seul tenant ou de grandes parcelles bien groupées. Le nouveau lotissement doit rapprocher les terres des bâtiments de l'exploitation.
(Musique)
Journaliste
En fait, on pourrait presque dire qu'il n'existe pas d'opposition de principe au remembrement. Dès lors, les choses peuvent aller très vite et très loin. Invectives et guerres de communiqués pour commencer et cela peut aboutir à l'abandon du projet. Exemple de remembrement ayant capoté, Quédillac, à la limite des côtes du Nord et de l'Ille et Vilaine.
(Musique)
Jean Bon
Au départ, on était favorables au remembrement, mais de la façon dont ils ont fait le remembrement, diminuer toutes les parcelles, éloigner les terres de l'exploitation, tout ce qui avait de commode quoi. On partait au loin, et même certaines pièces n'avaient même pas de chemin d'accès. Et alors lorsqu'on a demandé, le jour,
Journaliste
Où on a montré le plan ?
Jean Bon
Oui, alors on est allé trouver le géomètre puis on a discuté avec le géomètre de toutes ces choses-là. Eh ! bien, pour ces parcelles-là il dit vous vous démerderez comme vous pourrez. Alors là, on lui a dit quand même qu'on essayera de se démerder, on ne peut pas vous promettre qu'on se démerdera mais on essayera de se démerder, c'est certain. D'ailleurs, pour le classement, mais tous les propriétaires n'ont même pas été avertis. Les fermiers et les propriétaires n'ont même pas tous été avertis. Nous les premiers, et d'autres que nous, on peut en signaler d'autres qui n'ont pas été avertis.
Marcel Laurent
Lorsque le maire a proposé ça, j'ai tout de suite compris ça devait apporter quelque chose aux agriculteurs,que Et on a été tellement déçus lorsqu'on nous a proposé le plan, qu'on l'a affiché, qu'on a vu qu'on a été bafoués.
Journaliste
Oui, pourquoi, pourquoi vous vous étiez opposés au plan alors ?
Marcel Laurent
C'est que toutes les promesses qu'on nous avait faites, c'est regrouper autour de l'exploitation les parcelles, et c'était le contraire qu'on faisait quoi. Et on les avait tracés même dans le sens opposé à la pente naturelle, ce qui en terre humide donnait une catastrophe, automatiquement. Les eaux allaient s'écouler en travers, après les parcelles étaient tracées dans le mauvais sens. Et c'était peut-être un peu trop tôt pour le faire, aussi. Du fait de la disparition des petites exploitations, je voyais sur le journal, dans le Maine et Loire je crois, un agriculteur qui disait que le remembrement avait été fait dans les années soixante et quelques, et que maintenant, du fait de la disparition de nombreuses petites exploitations, tout est à recommencer. Donc, au fond on n'a peut-être rien perdu, que moi je considère qu'un remembrement doit se faire avec les intéressés, pas sans les intéressés. Ce n'est pas un géomètre au pied d'une table à cinquante kilomètres de Quédillac qui pouvait tracer des plans, ce n'est pas possible. Il fallait discuter. Quand les problèmes sont arrivés, à mon avis, c'est autour d'une table, par quartier, qu'il fallait réunir les gens. Et puis là bon,ça aurait peut-être craqué mais enfin, on l'aurait vu s'il y avait des partisans, s'il y avait des gens qui étaient trop exigeants.
(Musique)
Journaliste
Difficile de faire la part des choses sur ce genre d'affaire. Bien malin en effet celui qui réussirait à dire quels sont les raisons précises qui conduisent, comme ce fut le cas à Quédillac, à l'abandon du projet. Comme dans bon nombre de remembrements, le côté technique de l'opération se trouve parfois supplanté par des questions de personnes, des querelles de familles ou des rivalités ancestrales.
(Musique)
Journaliste
Souvent aussi, le géomètre fait figure d'accusé. On l'accuse d'être trop influençable, ou trop autoritaire. Précisons quand même que la tâche de ce dernier n'est pas des plus faciles non plus.
(Musique)
Monsieur Lannehoa
Le géomètre est celui qui exécute. Mais il doit exécuter en comprenant bien les gens auxquels il s'adresse. Et comprendre bien, c'est non seulement comprendre leur désir exprimés, mais les désirs qu'ils n'ont pas exprimés. Et je crois que dans toute région, quelle qu'elle soit, j'en connais plusieurs, ceux qui sont du pays, qui connaissent les motivations profondes des gens du pays, sont à même de mieux comprendre ce qu'il faut faire et ce qui donne satisfaction aux uns et aux autres.