Le paysage en Bretagne

13 mai 1995
08m 02s
Réf. 00245

Notice

Résumé :

Le paysage, territoire en constante évolution, est façonné par l'homme. La Bretagne a essentiellement adapté son paysage aux besoins de l'agriculture. Aujourd'hui, le paysage doit à nouveau se modifier, afin de respecter les attentes des ruraux.

Type de média :
Date de diffusion :
13 mai 1995
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Thèmes :

Éclairage

Qu'est-ce qu'un paysage breton ? Cela dépend bien sûr du locuteur ! Le paysage de l'agriculteur n'est pas celui du natif ou du touriste. Mais bien que l'espace breton soit varié, on l'identifie le plus souvent avec le bocage. Élément patrimonial essentiel des campagnes bretonnes, le bocage est un système de haies organisé en réseau. C'est donc le résultat de siècles d'intervention humaine sur la nature. Ce bocage fait couler beaucoup d'encre depuis 50 ans. Il a subi en effet une évolution rapide liée à la modernisation de l'agriculture : le maillage très dense des haies, les chemins étroits et profonds, la petite superficie des parcelles qui caractérisaient le bocage breton étaient incompatibles avec les tracteurs et les moissonneuses-batteuses exigés par l'agriculture intensive. Les agriculteurs vont en 30 ans faire disparaître en partie les haies, aidés par la puissance - toute récente - des tractopelles. Les organisations professionnelles les y ont d'ailleurs incités au nom de la modernité et du remembrement.

Cette disparition s'étalant jusqu'aux années 2000, c'est au total 50 à 80% du linéaire des haies qui vont disparaître, avec des variantes importantes selon les communes. En Ille-et-Vilaine, 38% du linéaire des haies a disparu entre 1980 et 1995.

Depuis quelques années cette arasion est remise en cause : pour des raisons écologiques d'abord, mais aussi pour des raisons esthétiques, comme l'exprime le dernier témoignage du film. Les nouveaux ruraux non agriculteurs souhaitent conserver l'identité du paysage traditionnel qui est souvent un facteur du succès touristique. Si les conflits ont été nombreux, des voies de médiation, portées par des agriculteurs soucieux de rentabilité mais aussi de développement durable, semblent s'ouvrir.

Martine Cocaud

Transcription

Journaliste
Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se cache derrière le mot paysage ? Au départ, vous n'y voyez qu'un coin de nature, et puis en s'y attardant, on découvre qu'il s'agit davantage d'une oeuvre humaine, sculptée et resculptée depuis des siècles. Mais il y a également votre regard, subjectif, qui va trouver ce tableau laid ou beau.
Jean-Pierre Jespin
Il n'y a pas de paysage sans homme, d'abord. Le paysage, tel qu'on l'entend, c'est une artificialisation de la nature, c'est le produit d'une symbiose entre les activités humaines et le milieu naturel. Pour un paysan, par exemple, le mot n'existait pas jusqu'à récemment. Le paysage, c'était son outil de travail, un beau paysage, c'est un champ bien cultivé ou un ensemble de champ bien cultivés ; c'est une usine à produire du lait ou de la viande ou de, des céréales. Un talus, c'est une usine à, à produire du bois qu'on coupe tous les 7 ans ou tous les 9 ans.
Journaliste
Prenons l'exemple du bocage breton. Vu du ciel, on sent bien combien ce paysage a été façonné par l'homme. Observez cette succession harmonieuse de champs clôturés par des talus. Et pourtant, à l'époque de la mise en place du bocage, personne ne cherchait à faire une oeuvre d'art ; l'homme cherchait à survivre. La taille des champs, les talus, les chemins creux, racontent avant tout ce combat, un peu comme un livre d'histoire.
(Bruits)
Journaliste
A l'époque, tout le monde ou presque était agriculteur. Pour donner de la terre aux enfants, on s'est mis à défricher la lande et les forêts environnantes, un travail lourd et lent.
(Bruits)
Journaliste
Une fois un champ terminé, le voisin ou plutôt le fils faisait de même, un peu plus loin, laissant une rangée d'arbres pour séparer les 2 parcelles et garantir le bois pour l'hiver ; lentement, le paysage se transformait et devenait bocage.
Jeanne-Yvonne Simon-Hammel
Ces maquettes présentent l'évolution du paysage du XVIIIe jusqu'au XXe siècle. La première maquette a été réalisée à partir d'un dessin de 1767. On s'aperçoit donc que ce bocage est un bocage dit organique. C'est un bocage qui s'adapte à la configuration des lieux, qui s'adapte donc à la pente des terrains, qui s'adapte aux ruisseaux. C'est un bocage qui est donc dessiné, qui a bien entendu une fonction utilitaire. On doit se protéger du vent, on doit se protéger de la pluie, du ruissellement, on doit parquer les animaux, donc c'est un bocage qui a une forme très variée. Des champs de différentes, des superficies qui sont en général assez petites, et donc toute une série, tout un réseau de petits chemins qui permettent d'aller à ces champs, d'aller dans ces fermes qui sont dispersées La maquette suivante présente la dernière évolution, elle a été faite à partir d'une photo aérienne de 1950 et l'on voit le remembrement, la disparition des talus, des fossés, donc des activités agricoles qui sont toutes autres. Il faut donc une, la mécanisation est plus importante, et donc on se rend compte que il a fallu agrandir les superficies. On voit la disparition de ces petits chemins qui jalonnaient la campagne, puisque maintenant il n'y a plus que 2 axes principaux, 2 routes principales.
Journaliste
Voilà ce que cela donne sur le terrain. François Pouliquen produit 40.000 dindes tous les 3 mois. Une exploitation industrielle qui ne survit qu'en suivant la spirale infernale du toujours plus grand. Tout est automatisé et François n'emploie qu'un ouvrier agricole à mi-temps. Dans les environs, la majorité des agriculteurs ont disparu les uns après les autres. Régulièrement, François reprend les terres délaissées. Il ne les travaille pas lui-même, mais sous-traite à une entreprise de travaux agricoles. Les tracteurs sont de plus en plus gros, et les talus entretenus depuis des siècles sont logiquement démantelés.
(Musique)
François Pouliquen
Cultiver des parcelles de 5.000 m2 aujourd'hui, bon il y a des temps morts, des temps d'approche, tout ça, qui font que, on, on, c'était pas rentable déjà, cultiver des terres ça ne dégage pas des marges faramineuses, et alors si on nous impose des contraintes supplémentaires ou des temps morts, les, les surcoûts, on appelle ça, bon ce n'est guère possible quoi. J'ai voulu, à travers les travaux que j'ai réalisés, atteindre un seuil disons économique de l'ordre de 2 ha, c'est-à-dire, je dirais, ne pas, ne pas dénaturer le bocage qui existe ici dans le secteur, conserver un maximum de talus, mais quand même, arriver à un parcellaire qui soit exploitable de, pour le matériel que vous voyez ici face à vous.
Journaliste
Dernièrement, François a détruit 500 mètres de talus dans ce champ, une évolution logique d'un paysage utilitaire. Oui mais voilà, vu d'ici, l'évolution n'a pas été du goût de tout le monde, et l'affaire est devenue un véritable conflit de voisinage. Les temps ont changé, et la campagne n'appartient plus désormais seulement aux paysans. Les nouveaux arrivants ont repris les maisons abandonnées et ont une toute autre vision du rôle du paysage.
(Musique)
Journaliste
Danielle Le Signor exploite un gîte rural. Elle est venue de la ville il y a 10 ans restaurer une vieille ferme abandonnée. En un an, elle a transformé une ruine en gîte de charme qui attire des dizaines de touristes chaque année. Le paysage, elle en vit, et se sent menacée par les travaux entrepris dans le champ en face de son jardin. Elle craint par-dessus tout de voir le bocage lentement transformé en plaine céréalière.
Danielle Le Signor
Les gens qui viennent chez moi, qui s'installent le soir avant d'aller dormir sur les bancs, ben, préfèrent voir un paysage qui soit le moins possible atteint, plutôt que de voir bientôt des, presque des terrains de foot quoi. Et ce que je voudrais surtout pas, c'est que entre les agriculteurs et des gens comme nous qui sommes venus pour la beauté du paysage, parce que je crois que ça existe, pour travailler aussi grâce à notre vieille maison, ben on voudrait pas qu'il y ait un antagonisme qui fasse que, d'un côté il y a les agriculteurs avec leur logique, nous, avec notre propre logique ; il faudrait qu'on puisse harmoniser ça. Je crois qu'ils n'ont plus complètement la maîtrise non plus de l'environnement. Je crois qu'il faut aussi se dire que ils ne sont plus tout seuls.
Journaliste
Inconnu il y a encore 50 ans, ce genre de conflit se multiplie dans les campagnes. D'abord, parce que le paysage est devenu aujourd'hui plus une entité esthétique qu'un simple outil agricole. Ensuite et surtout, nous avons désormais les moyens de transformer brutalement le paysage.
Jean-Pierre Jespin
Ce qui choque les gens, c'est la rapidité du changement, c'est pas le changement, c'est pas le changement lui-même. Euh, si l'on considère par exemple un paysage de terrasses comme il y en a dans les montagnes, et tous ces paysages qui font l'admiration de tout le monde aujourd'hui, si on disait aujourd'hui avec les moyens qui sont les nôtres : on va créer de toute pièce, en quelques mois, un paysage de terrasse sur une montagne, les écologistes et les banderoles fleuriraient, et je pense que il y aurait des manifestations, ça se passerait mal.
Journaliste
Pourquoi l'homme n'aime pas voir son paysage changer rapidement ?
Jean-Pierre Jespin
Parce qu'il se rattache à son enfance, et que ces paysages qui ont évolué au cours des générations, à raison peut-être d'un talus ou deux bâtis par génération, à raison de, d'aménagements que les gens ne voyaient peut-être même pas au cours d'une génération, quand ça s'est passé sur 500 ans ou sur mille ans, on ne le voyait pas changer, le paysage. Là tout d'un coup, en Bretagne, il y a eu plus de 40.000 km de talus abattus. Ça, ça modifie quand même quelque chose et le paysage n'est pas uniquement quelque chose d'objectif que l'on peut photographier, le paysage est aussi dans la tête des gens.
Journaliste
Souvenez-vous en la prochaine fois que vous admirez un paysage, il n'est immuable que par le regard que vous portez sur lui.