Le procès de Robert Wagner, ancien Gauleiter du Rhin supérieur
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Résumé
Le 23 avril 1946 au palais de justice de Strasbourg, devant une cour de militaires français, s'ouvre le procès de Robert Wagner, ancien Gauleiter du Bade et de l’Alsace durant la période de l’annexion nazie. Tenu responsable de plusieurs crimes de guerre, Wagner est condamné à mort.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
02 mai 1946
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
Au printemps 1946 s’ouvre à Strasbourg l’un des plus important des procès d’après-guerre, celui de Robert Wagner, le « bourreau de l’Alsace » (J.-L. Vonau, historien du droit), ancien Gauleiter – responsable de l’administration civile – du Bade et de l’Alsace. Ceci interroge les modalités de l’épuration d’après-guerre en Alsace et ses spécificités.
La période 1944-1946 est celle de l’épuration dans toute l’Europe, marquant une volonté à la fois juridique et sociale de rompre avec la période précédente. Ce phénomène a connu plusieurs manifestations dont la plus célèbre est le procès international de Nuremberg où les principaux dignitaires nazis encore en vie ont été jugés entre novembre 1945 et octobre 1946. En France, l’épuration concerne surtout le régime de Vichy et les collaborateurs : le maréchal Pétain est jugé le 15 août 1945 et Pierre Laval le 9 octobre 1945.
L’Alsace, annexée à l’Allemagne nazie – et non occupée comme le reste du territoire français – revient à la France à la suite de sa libération en mars 1945. Le temps est à la dénazification ainsi que le suggère la célèbre affiche « Hinaus mit schwowe Plunder » (« Dehors avec le fatras boche ») qui montre un coup de balais emmenant les symboles germaniques loin de la région. Le contexte d’après-guerre est cependant particulièrement complexe car dans toute l’Europe la dénazification s’accompagne de règlements de comptes. En Alsace, une cinquantaine d’exécutions sommaires ont lieu, en plus d’humiliations publiques et ce malgré l’envoi des Commissaires de la République chargés de limiter la vindicte populaire. L’épuration est d’autant plus délicate puisqu’en Alsace annexée, peut-être davantage qu’en France occupée, il est difficile de distinguer ceux qui ont collaboré volontairement et ceux qui ont agi sous la contrainte.
C’est dans ce contexte qu’intervient le « Nuremberg français », manière dont les Dernières Nouvelles d’Alsace qualifient le procès Wagner. Figure de l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne nazie, Wagner a été l’administrateur de la région après son rattachement au Reich. Ancien combattant déçu par la défaite de 1918 et nazi convaincu, il accompagne Hitler durant le putsch de 1923. En 1933, Wagner est nommé Gauleiter du Bade ; l’annexion de facto de l’Alsace en 1940 lui permet d’étendre ses compétences à la région. À cette date, il promet à Hitler qu’il serait capable de germaniser et de nazifier l’Alsace en cinq années, convaincu que les Alsaciens sont des Volksdeutsche, des Allemands par le sang.
L’ensemble de sa politique va dans ce sens : la langue française est interdite et environ 100 000 personnes sont expulsées, considérées indignes du Reich. La répression de l’administration Wagner envers les réfractaires est implacable : le camp de sûreté de Vorbruck-Schirmeck, que le Gauleiter a voulu comme camp de rééducation, sert à punir les opposants au régime. Surtout, à l’été 1942 lorsque la Wehrmacht enregistre des revers sur le front de l’Est et face à l’inefficacité des appels au volontariat, il propose la mise en place de la conscription des Alsaciens dans l’armée allemande. Cette mesure est décrétée le 25 août 1942 et aboutit à l’incorporation de force de 100 000 Alsaciens et 30 000 Mosellans dans l’armée allemande, dont la Waffen-SS.
Après s’être échappé en novembre 1944, il se rend finalement aux Américains en juin 1945, qui le livre aux autorités françaises. Le procès de Wagner se tient du 23 avril au 3 mai 1946 devant le tribunal militaire de Strasbourg, avec pour accusés Wagner et sept de ses collaborateurs. Face aux crimes de guerre qu’on lui reproche, Wagner se défend en invoquant les directives de Berlin et des témoignages de personnalités déjà décédées. Il est finalement condamné à mort et après un recours en grâce qui est rejeté, il est fusillé le 14 août 1946 au fort Ney près de Strasbourg. Les derniers mots de Wagner ont été en faveur du national-socialisme et de l’Alsace allemande, fidèle à sa ligne de pensée.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
Ce document est un extrait de l’édition régionale des Actualités Françaises du 2 mai 1946, une émission hebdomadaire diffusée dans les cinémas par la société du même nom entre 1945 et 1969. Les actualités filmées est un genre très populaire dans la première moitié du XXe siècle et surtout dans l’entre-deux-guerres. Le format décline dans les années 1950 avec l’essor de la télévision avant de disparaître totalement dans les années 1960, lorsque le journal télévisé s’impose. Les images utilisées ici ont été produites par la société British Pathé, l’une des principales pourvoyeuses des actualités filmées à travers le monde. Les rushs originaux, qui sont les seules images de Wagner avant son exécution, sont deux fois plus longs et muets, la voix du commentateur ayant été rajoutée au montage.
L’existence de ce document rappelle que le procès Wagner a été particulièrement médiatisé : cette émission a été diffusée alors que le procès n’a pas encore pris fin. Durant l’audience, une foule principalement constituée d’Alsaciens, s’est rassemblée devant le palais de justice de Strasbourg. À l’époque, ce procès apparaît comme un évènement majeur dont la portée est hautement symbolique puisqu’il est question de juger la figure régionale du nazisme, ce qui revient indirectement à juger l’annexion de la région au IIIe Reich. Le film insiste d’ailleurs sur le visage de l’ancien Gauleiter, que l’on voit apparaître plusieurs fois à l’écran en plan rapproché. Néanmoins, cette médiatisation autour de la figure de Wagner a presque fait oublier que sept autres personnalités sont jugées en même temps que lui : Hermann Röhn, le vice-Gauleiter, Adolf Schuppel, le chef de l’administration civile de Strasbourg, Walter Gaedeke, son chef de cabinet, Ludwig Lueger, le procureur du tribunal spécial de Strasbourg, Ludwig Semar, substitut du procureur Lueger et Richard Hüber – jugé par contumace – président du tribunal spécial. Tous, sauf Lueger, ont été condamnés à la peine capitale.
Le contexte de l’épuration est aussi celui de la recherche de responsables. En évoquant les chefs d’accusation contre Wagner, le média souligne que dès la fin de la guerre, la question de la qualité des Alsaciens incorporés dans l’armée allemande est posée. Considérés explicitement comme des compatriotes français, le commentateur insiste sur le caractère de victime de ceux qui seront bientôt appelés les « Malgré-nous ». Ces propos ont une portée d’autant plus importante que plusieurs milliers d’entre eux sont encore détenus par les Alliés, notamment en Union soviétique. Pourtant, la construction mémorielle de l’incorporation de force s’avère beaucoup moins consensuelle, y compris dans les médias, au moment du procès de Bordeaux (1953) lors duquel des incorporés de forces sont jugés pour le massacre d’Oradour-sur-Glane : la mémoire du village martyr entre en conflit avec celle des « Malgré-Nous » puisque les deux partis s’estiment victimes et incompris. Le discours tenu dans le média est donc à remettre dans le contexte d’un processus mémoriel mouvant.
Le discours tenu dans le média montre bien que les procès d’après-guerre, qu’il s’agisse du procès Wagner, du procès de Bordeaux ou du procès de Nuremberg, participent du processus de sortie de guerre et de reconstruction européenne. Le nouveau gouvernement français met cette période transitoire à contribution afin d’affirmer sa participation à la victoire du côté des Alliés : les responsables nazis sont jugés par un tribunal militaire français – que l’on voit en uniforme à l’écran – ce qui place de facto la nation dans le camp des vainqueurs. En outre, la promotion de l’unité nationale à la sortie du conflit se remarque dans le propos du commentateur, qui rappelle le retour à la France de l’Alsace ainsi que le caractère illégal de l’annexion. Ainsi, la tenue du procès à Strasbourg est un moyen d’affirmer l’appartenance désormais française de la région.
Transcription
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