Des restes de victimes du nazisme retrouvés dans les collections de l’Université de Strasbourg
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En 2015, Raphaël Toledano, médecin et chercheur, a découvert deux bocaux contenant des restes de victimes juives du nazisme à l’Institut de médecine légale de Strasbourg. Officiellement, tous les restes devaient être inhumés en 1945. Cependant, Raphaël Toledano, ayant connaissance d’une lettre mentionnant les bocaux, a réussi à retrouver leur trace.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
28 déc. 2015
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
Durant le IIIe Reich, la mission des scientifiques est d’étayer les thèses nazies selon lesquelles il existe une stricte hiérarchisation entre les races. Les recherches en médecine et en biologie sont au cœur du régime national-socialiste et à travers l’Allemagne nazie, nombre de chercheurs s’affairent à cette tâche.
Justement, entre 1940 et 1945, l’Alsace est pleinement intégrée au IIIe Reich. Il n’y a pas eu de traité officiel ratifiant cette annexion après la défaite française de 1940 car les Alsaciens et les Mosellans sont considérés comme des « camarades du peuple » et à ce titre, le rattachement de ces provinces au Reich correspond à la restauration d’un « état naturel ».
En 1941, la Reichsuniversität de Strasbourg est ouverte avec de nouveaux enseignants, principalement venus d’Allemagne dont les recherches vont dans le sens des thèses antisémites et racistes du régime. Le professeur August Hirt, directeur de l’Institut d’anatomie de Strasbourg et membre de l’Ahnenerbe (l’Institut d’anthropologie raciale de la SS), pratique des expérimentations sur des humains, notamment sur les détenus de Natzweiler-Struthof.
Dans le cadre de ses recherches sur les « races », Hirt, qui pense que les Juifs sont sur le point d’être totalement anéantis, veut doter l’Institut d’anatomie d’une collection de squelettes juifs. Pour alimenter cette collection, 115 détenus sont sélectionnés à Auschwitz par le SS Bruno Berger. Seuls 86 arrivent effectivement en Alsace, où ils sont tués le 2 août 1943 au camp de Natzweiler dans la chambre à gaz construite à cet effet. Les corps sont transférés puis conservés dans des cuves de l’Institut d’Anatomie. Laissés là jusqu’en 1944, la collection n’est finalement pas achevée.
En septembre 1944, Hirt s’inquiète de l’avancée des Alliés, qui approchent des Vosges. Himmler lui ordonne de détruire toutes les traces de cette collection, mais faute de temps, une grande partie des cadavres ne peuvent être entièrement éliminés. En décembre 1944, les Alliés trouvent les restes des corps, dont un seul est identifiable : Menachem Taffel. Hirt, après avoir tenté en vain de s’échapper vers la Suisse, se suicide le 2 janvier 1945 et les cadavres sont inhumés en octobre 1945. Pourtant, en 2015, d’autres restes de Menachem Taffel sont retrouvés dans l’Institut de médecine légale de Strasbourg.
Entre 1933 et 1945, l’Europe a été le théâtre de crimes sans précédents. Pour comprendre ce phénomène, il est important de considérer l’idéologie nazie comme un ensemble cohérent d’idées qui a du sens aux yeux des contemporains. De ce fait, les bourreaux nazis ne sont pas des fous, pas plus qu’ils n’ont agi uniquement par subordination. Le sens qu’ils donnent à leurs crimes permet de mieux en rendre compte.
Selon la « vision du monde » nazie, les sociétés humaines sont composées de races, dont la première est la race germanique. Seulement, cette race germanique est la cible d’attaques incessantes depuis 6 000 ans de la part des Juifs qui cherchent à l’anéantir. L’élimination des Juifs, ennemi éternel du peuple allemand, est donc la condition sine qua non à la constitution d’un Reich millénaire purifié et libéré de toute oppression.
Néanmoins, la guerre menée contre les Juifs n’est pas une guerre entre les races : les Juifs ne sont pas réellement considérés comme des « sous-hommes », comme les Slaves ou les Africains, mais plutôt comme une bactérie à forme humanoïde mais non-humaine. Ainsi, les nazis expliquent agir comme des « médecins » et prétendre faire de l’acte politique « de la biologie appliquée » en exterminant les Juifs.
Les grands principes qui structurent cette « vision du monde » sont en réalité hérités du XIXe siècle : le darwinisme-social, l’antisémitisme ou la biologie raciale ne sont pas nés dans Mein Kampf, mais constitutifs de la modernité. Cependant, le nazisme se distingue dans la mise en œuvre de son discours.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
Ce reportage de France 3 Alsace a été diffusé le 28 décembre 2015 sous le format « Rétro 2015 », qui retrace les évènements majeurs de l’année : ici la découverte de restes de victimes juives du nazisme. Le reportage est composé d’une interview de Raphaël Toledano ainsi que d’extraits issus de journaux télévisés diffusés sur France 3 Alsace le 31 janvier 2015, le 20 juillet 2015 et le 6 septembre 2015.
Cette même année, Michel Cymes suggère dans son ouvrage « Hippocrate aux enfers », en citant un ancien étudiant de la faculté de médecine, qu’il existe des restes de victimes juives du nazisme à l’Institut d’Anatomie de l’Université de Strasbourg. Face à la rumeur, l’Université de Strasbourg dément, toutefois, la polémique est lancée et les médias s’en emparent.
Raphaël Toledano, médecin généraliste et chercheur strasbourgeois, a travaillé sur ces questions. Sa thèse de doctorat en médecine, soutenue en 2010, porte sur les expérimentations menées par les nazis, et plus spécifiquement par Eugen Haagen, au camp de Natzweiler-Struthof. Il est notamment connu pour avoir travaillé sur les 86 victimes juives d’August Hirt et les 189 victimes Roms d’Haagen. Récompensé par le prix de la Fondation Auschwitz (2011) et membre du conseil scientifique du CERD depuis 2012, il poursuit ses recherches dans ce sens. Ayant connaissance depuis plusieurs années d’une lettre de Camille Simonin qui fait référence aux bocaux, il approfondit son enquête en 2015.
Le 9 juillet 2015, Raphael Toledano et Jean-Sébastien Raul découvrent dans les collections de l’Institut de médecine légale un bocal contenant des fragments de peau d’une victime de la chambre à gaz et deux éprouvettes refermant le contenu de l’intestin et de l’estomac de la victime. Ces restes ne sont pas l’œuvre des nazis à proprement parler, puisqu’il s’agit de prélèvements réalisés par le professeur Simonin à la demande des autorités militaires d’après-guerre pour déterminer la cause de la mort des victimes. La victime est rapidement identifiée : il s’agit de Menachem Taffel, portant le matricule n°107969, une des 86 victimes d’Auguste Hirt pour son projet de collection de squelettes juifs.
En septembre 2015, les restes sont finalement inhumés. Mais Raphaël Toledano avertit qu’il soupçonne l’existence de pièces similaires. En Alsace, le travail de mémoire est, en raison de l’annexion à l’Allemagne nazie, particulièrement difficile à réaliser.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
Sylvie Malal
Retour sur 2015.Aujourd’hui, nous sommes avec Raphaël Toledano, médecin et chercheur strasbourgeois.C’est lui qui a découvert à l’Institut de médecine légale deux bocaux contenant des restes de victimes juives gazées au Struthof, malgré les démentis du monde universitaire.Témoignage recueilli par Marie Heidmann.
(Musique)
Raphaël Toledano
J’ai commencé mes études de médecine en 97 et dès ma première année de médecine, j’ai entendu parler de rumeurs qui disaient qu’il y avait des restes de victimes du Struthof en anatomie où on étudiait.Et donc, ça m’a immédiatement happé, ce sujet.J’ai été aux archives de Paris, du Blanc, les archives militaires, les archives de Strasbourg, en Allemagne, en Israël, etc.Et au cours de ces recherches, je suis tombé sur une lettre d’un médecin légiste strasbourgeois qui s’appelle Camille Simonin, qui a exercé à Strasbourg en 1945 et qui a été chargé par la justice militaire française d’autopsier des corps qu’on avait retrouvés en anatomie à la libération.Et dans la litanie des propositions qu’il fait, il dit :« Est-ce que vous souhaitez que je présente au procès deux bocaux que j’ai constitués ? ».
Olivier Stephan
Le livre de Michel Cymes sur les médecins des camps de la mort crée l’indignation dans le monde universitaire alsacien.Il y laisse entendre qu’il resterait des coupes de cadavres d’anciens déportés juifs gazés au camp de concentration du Struthof dans les collections de l’Institut d’anatomie de l’Université de Strasbourg.
Raphaël Toledano
Moi, je n’ai pas souhaité participer à cette polémique, parce que j’avais déjà connaissance de la lettre de Simonin, mais je n’avais pas encore pu aller vérifier si ces bocaux étaient encore présents ou pas.Jusqu’à présent, on disait à Strasbourg qu’il n’y avait plus aucun reste, que tout avait été enterré en 1945, que tout avait été vérifié bien après.Il me semblait un peu hardi de dire qu’on a vérifié toutes les collections de la faculté de médecine, parce que ce n’était pas le cas.Or, je savais que la direction était peu encline à parler de ce sujet.Donc, finalement, il y a quelques mois, j’ai découvert qu’ils avaient changé de direction, et j’ai contacté le nouveau directeur de l’Institut de médecine légale, qui m’a reçu très gentiment, très sympathiquement.
Cécile Poure
C’est dans cette petite pièce, ce musée des horreurs pédagogiques, uniquement réservée aux étudiants de médecine légale, qu’ont été retrouvés les deux bocaux le 9 juillet dernier.Ce jour-là, le docteur Toledano, après des années de recherches, tient une piste.
Raphaël Toledano
Cela me semblait incroyable de découvrir ça 70 ans après les faits, mais j’ai masqué quand même mon émotion parce que je voulais qu’on puisse restituer ces corps, enfin ces bocaux, ces restes de corps, à la communauté juive, qu’on puisse les enterrer.
Gregory Fraize
Les restes ont été enterrés ici, rejoignant les corps morcelés des 86 cobayes de la médecine nazie découverts à la libération au sein de l’Université de Strasbourg.
Raphaël Toledano
C’était très émouvant de rendre une sépulture à ces malheureuses victimes 70 ans après leur assassinat.Ça semble incroyable de le dire mais… Pour moi, c’était vraiment un moment extrêmement touchant, qui reste à jamais gravé dans ma mémoire.
(Bruit)
Raphaël Toledano
Il y a de très forts soupçons qu’il puisse encore y avoir des pièces, notamment dans les collections d’histologie, c’est-à-dire les lames de microscope, on sait que beaucoup de prélèvements étaient faits et mis sur des lames et envoyés dans les collections d’histologie, et Hirt lui-même était le patron à la fois de l’anatomie mais aussi de l’histologie et de l’embryologie.
(Bruit)
Raphaël Toledano
Je ne sais pas s’il y a eu une forme de mea culpa de l’Université.Il y a une commission historique qui a été mise en projet.C’est ce travail qui a été fait dans d’autres universités en Allemagne dans les années 70, 80, et qui n’a pas encore été fait à Strasbourg, et je crois que cette découverte, justement, doit susciter ce travail ici dans notre région, pour permettre justement de passer à autre chose.
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