Le témoignage d’un Alsacien incorporé de force
Infos
Résumé
À partir d’août 1942, 130 000 Alsaciens ont été incorporés de force à l’armée allemande. Nombreux sont ceux, comme Lionel Doenhleur, qui ont vécu cela comme un crève-cœur. Posant la question de leur identité et de leur réintégration à la société après la guerre, ce témoignage questionne également la manière dont les Alsaciens ont vécu l’annexion de fait à l’Allemagne nazie.
Langue :
Date de publication du document :
09 déc. 2024
Date de diffusion :
19 sept. 1990
Éclairage
Informations et crédits
- Type de média :
- Type du document :
- Collection :
- Réalisateur :
- Source :
- Référence :
- 00350
Catégories
Niveaux - disciplines
Thèmes
Personnalités
Éclairage
Éclairage
Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
En juin 1940, l’Allemagne nazie est victorieuse sur le front occidental à la suite d’une campagne rapide, ce qui lui permet d’annexer les provinces limitrophes : le Luxembourg, les Cantons de l’Est belges et l’Alsace-Moselle française. Présentées comme un « retour à l’Allemagne », ces annexions s’inscrivent dans la politique impérialiste et les dessins idéologiques du régime national-socialiste qui sont de rassembler les peuples germaniques dans un vaste État. Ainsi, l’Alsace et la Moselle passent sous la souveraineté allemande sans qu’aucun traité international ne soit signé. À partir de l’été 1940 y débute une ambitieuse politique de germanisation et de nazification. La période de la « séduction » (J.N. Grandhomme) dont l’objectif est notamment d’attirer les personnes évacuées à retrouver leur foyer laisse rapidement la place à la « mise au pas ». L’Alsace, placée sous l’autorité du Gauleiter Robert Wagner, et la Moselle, sous celle du Gauleiter Josef Brückel, deviennent des vitrines du « Grand Reich » et sont transformées en province allemande à marche forcée.
Au printemps 1942, l’armée allemande est en difficulté sur le front de l’Est. L’échec de l’appel au volontariat dans la Wehrmacht dans ces régions amène Wagner à convaincre Hitler d’introduire la conscription dans les territoires annexés de l’Ouest. Le 19 août 1942 en Moselle, et le 25 août 1942 en Alsace, le service militaire obligatoire est ordonné : les premières incorporations ont lieu en novembre 1942 et concernent tout au long de la guerre les Alsaciens-Mosellans nés entre 1908 et 1928. Considérés peu fiables, les incorporés de force Alsaciens-Mosellans, mais aussi les Luxembourgeois, les Belges et les Polonais sont disséminés dans les unités déjà existantes, l’armée faisant une entorse à son principe de recrutement territorial. Les incorporés de force sont principalement envoyés sur le front de l’Est pour éviter les désertions, mais certaines unités se retrouvent aussi à l’Ouest, notamment dans la bataille de Normandie.
En 1945, l’Alsace revenait définitivement à la France, changeant de main pour la quatrième fois depuis 1870, soit à l’échelle d’une vie d’homme. Pourtant, les Alsaciens sont loin d’en avoir fini avec la guerre, puisque de nombreux incorporés de force sont encore détenus dans les camps de prisonniers, principalement soviétiques. Ce n’est qu’en 1955 que Jean-Jacques Remeter, le dernier incorporé de force, rentre chez lui après une décennie de captivité. Sur 130 000 incorporés de force Alsaciens-Mosellans, environ 40 000 sont morts au feu ou en détention.
La mémoire de l’incorporation de force est restée délicate en Alsace et en Moselle. Dans le récit de la France résistante et patriote, ceux qui se font désormais appeler les « Malgré-Nous » peinent à trouver leur place. Ce n’est que dans les années 1980 et 1990 que les témoignages se sont multipliés, en même temps que le statut d’incorporé de force est reconnu par la signature d’un accord entre la RFA et la République française sur l’indemnisation des vétérans. Alors que la mémoire s’est intéressée aux souffrances générées par la guerre, leur histoire est progressivement entrée dans l’espace public.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
Cet extrait du témoignage de Lionel Doenhleur est issu du film « Les Alsaciens », volet d’une heure de la série « Chroniques de France ». Ce film a été réalisé par Hubert Knapp en 1988 et diffusé sur France 3 en 1990. La démarche est de donner la parole à divers acteurs, historiens, pasteur, paysans, industriels, ouvriers, pour qu’ils racontent leur région et sa complexité.
Le document montre à quel point la mémoire de l’incorporation de force est restée délicate en Alsace et en Moselle. Dans le récit de la France héroïque, victorieuse et unie face à « l’occupant » qui émerge à partir des années 1940-1950, de nombreuses mémoires ont été passées sous silence, jugées trop victimaires : celle des déportés, des persécutés, des victimes civiles par exemple. Alors que la mémoire jouait pleinement son rôle politique et social, dans le contexte de la Reconstruction, de recréer l’identité (Maurice Halbwachs) d’une la nation fragmentée, les anciens incorporés de force n’entrent pas dans le cadre général. Significatif des deux extrémités de cette problématique, l’attribution de la mention « Mort pour la France », prévue par l’ordonnance de novembre 1945, tout comme la condamnation des bourreaux alsaciens d’Oradour-sur-Glane au procès de Bordeaux en 1953 constituent deux exemples du point jusqu’auquel la complexité historique a été mise de côté.
Longtemps restée silencieuse à l’échelle nationale, la mémoire de l’incorporation de force a cependant vécu à l’échelle régionale. L’Association des Déserteurs, Évadés et Incorporés de force (ADEIF), créée en 1945 pour défendre les droits et la mémoire des « Malgré-Nous » a été très tôt investie pour faire reconnaître le phénomène, l’une de ses réalisations les plus symboliques est l’érection d’un monument à la forme de croix sur le Mont-National d’Obernai en 1956. Bien entendu, ce silence ne veut pas dire oubli : combien d’anciens ressassèrent ensemble, autour de la Stàmmtisch, leurs expériences, parfois traumatisantes de la guerre, tout en refusant d’en parler à ceux qui n’en étaient pas, par peur d’être incompris ou jugés ?
Progressivement, la honte d’avoir combattu du « mauvais » côté laisse la place à des revendications d’une reconnaissance. En 1970, 14 000 incorporés de force se rassemblent à Colmar pour revendiquer leur indemnisation en qualité de victime du national-socialisme. À partir des années 1980-1990, les témoignages publics d’incorporés de force prennent de l’ampleur, contexte dans lequel ce document s’inscrit. Au seuil de leur vie, la parole des anciens incorporés de force qui ont alors entre 65 et 80 ans se délie. Nombreux sentent le besoin d’écrire, pour leurs proches, pour la société, pour l’histoire. Car le problème va bien au-delà des considérations pragmatiques : leur reconnaissance en va de leur identité, qu’ils estiment particulière. C’est cette « alsacianité » dont parle Lionel Doenhleur dans son témoignage, que partagent de nombreux incorporés de force : nés Français, mais de parents ayant grandi sous l’Empire allemand, ils ont combattu sous l’uniforme du « Troisième Reich » avant de revenir dans la nation française en 1945.
Cette libération de la parole s’est également accompagnée par un investissement de la thématique par les historiens, au premier chef Eugène Riedweg dont l’ouvrage de 1995 constitue toujours une référence majeure. Puis, de nouveaux acteurs de cette mémoire ont émergé, suivant un processus bien connu des sociologues. Après une phase « d’oubli » relatif, il a fallu attendre la génération des petits-enfants, qui se sont emparés de la thématique. Désormais beaucoup plus apaisée, cette mémoire s’inscrit pleinement dans le paysage régional, qu’elle soit animée par le monde scientifique, associatif, culturel ou politique.
Transcription
Sur les mêmes niveaux - disciplines
Date de la vidéo: 14 déc. 1944
Durée de la vidéo: 02M 36S
Échange de prisonniers entre la France et l’URSS en 1944
Date de la vidéo: 15 juin 2010
Durée de la vidéo: 02M 22S
La trouée de Sedan au cœur de la défaite française de 1940
Date de la vidéo: 25 août 2012
Durée de la vidéo: 03M 26S
L’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l’armée allemande
Date de la vidéo: 16 févr. 1945
Durée de la vidéo: 03M 07S
La réduction définitive de la poche de Colmar
Date de la vidéo: 23 avr. 2010
Durée de la vidéo: 03M 37S
La Résistance dans les Vosges et sa répression en 1944
Date de la vidéo: 10 sept. 1995
Durée de la vidéo: 01M 45S
Le camp de concentration de Natzweiler-Struthof
Date de la vidéo: 29 sept. 1944
Durée de la vidéo: 01M 45S
Le massacre d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944
Date de la vidéo: 29 sept. 1944
Durée de la vidéo: 01M 45S
Le massacre d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944
Date de la vidéo: 16 mars 1994
Durée de la vidéo: 04M 29S
L’ouverture du musée mémorial des combats de la poche de Colmar à Turckheim
Date de la vidéo: 01 mars 2003
Durée de la vidéo: 26M 0S
Guerre d'Algérie : le rapatriement des harkis
Date de la vidéo: 16 févr. 1945
Durée de la vidéo: 03M 07S
La réduction définitive de la poche de Colmar
Date de la vidéo: 25 nov. 2013
Durée de la vidéo: 02M 39S
L’Université repliée de Strasbourg : une obsession nazie
Date de la vidéo: 29 sept. 1944
Durée de la vidéo: 01M 45S
Le massacre d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944
Date de la vidéo: 02 mai 1946
Durée de la vidéo: 57S
Le procès de Robert Wagner, ancien Gauleiter du Rhin supérieur
Date de la vidéo: 25 nov. 2013
Durée de la vidéo: 02M 39S
L’Université repliée de Strasbourg : une obsession nazie
Date de la vidéo: 09 déc. 1999
Durée de la vidéo: 03M 46S
Portrait de Raymond Poincaré, figure-clé des années 1910 et 1920
Date de la vidéo: 02 mai 1946
Durée de la vidéo: 57S
Le procès de Robert Wagner, ancien Gauleiter du Rhin supérieur
Sur les mêmes thèmes
Date de la vidéo: 14 sept. 2009
Durée de la vidéo: 01M 47S
Visite au cimetière américain de Saint-Avold en Moselle
Date de la vidéo: 13 juil. 2018
Durée de la vidéo: 05M 03S
Les Bases canadiennes de l’OTAN en Lorraine
Date de la vidéo: 14 déc. 1944
Durée de la vidéo: 02M 36S
Échange de prisonniers entre la France et l’URSS en 1944
Date de la vidéo: 25 août 2012
Durée de la vidéo: 03M 26S