Témoignages d'anciens résistants de la Somme sur la Libération

août 1944
06m 32s
Réf. 00440

Notice

Résumé :

Fin août 1944 la Picardie est libérée. La Résistance investit les villages et les villes devançant parfois les libérateurs anglo- américains ou Polonais. Témoignages de quelques-uns uns de ceux-là : le Colonel Pierre Vaujois, René et Julia Lamps, Pierre Guillot et Charles Sellier, Jacques Lerouge du maquis de Gamaches, Lucien et Renée Boubert de Libération Feuquières. Abbeville a été libéré le 3 septembre par la 1ère DB Polonaise. 50 ans plus tard, lors de la commémoration de l'événement, la mémoire collective n'a pas oublié ces libérateurs.

Type de média :
Date de diffusion :
17 septembre 1994
Date d'événement :
août 1944
Source :
(Collection: Mémoires )

Éclairage

Comme la majeure partie du territoire français, la Picardie connaît, dans les derniers jours d'août et les premiers de septembre 1944, "l'été de la Libération", un moment rempli d'émotions et d'événements divers et parfois contradictoires. C'est d'abord un temps de joie immense puisque l'occupation allemande s'achève enfin après quatre années pendant lesquelles la situation et la vie quotidienne des habitants se sont dégradées gravement. Les scènes liesse à l'occasion de l'accueil des soldats alliés libérateurs se répètent de commune en commune ; ainsi, à Abbeville on acclame les Polonais, ailleurs les Canadiens ou les Britanniques. C'est également un moment de règlements de compte, de vengeance dont font les frais les femmes et les hommes accusés d'avoir collaboré avec l'occupant. C'est, encore, le commencement d'un temps d'impatience croissante de voir revenir les soldats prisonniers et les déportés. Or, il faut encore attendre près de huit mois pour que, l'Allemagne vaincue, ces retours adviennent, lorsque les individus sont encore vivants.

Ces jours de la Libération constituent également un enjeu en ce qui concerne le rétablissement de la légitimité républicaine. Afin d'éviter la mise en place d'une administration militaire alliée et la prise du pouvoir localement par les résistants communistes, la France combattante du général de Gaulle a soigneusement préparé la relève administrative locale. Ainsi, la Libération se joue en deux temps. Le départ des Allemands devant l'avance des armées alliées est suivi de la mise en place des nouveaux pouvoirs : commissaires de la République à la tête des départements, comité départementaux et locaux de Libération. Partout, la nouvelle légalité est admise.

Ainsi, en Picardie, comme sur la plupart du territoire français (mais non dans le Sud-ouest), ce sont bien les soldats alliés, et non une insurrection de la Résistance, qui ont libéré le pays.

David Bellamy

Transcription

Pierre Vaujois
C’était une explosion de joie, d’allégresse de l’ensemble de la population. Nous avons vu les maisons qui s’ouvraient, les gens qui sortaient dans la rue et tout ça alors qu’ils étaient... ils étaient enfermés dans leur maison, n’est-ce pas, craignant les représailles des Allemands qui partaient. Cette explosion d’allégresse, je la comprends. Mais je pense aussi qu’à ce moment-là, on a vu fleurir… le nombre augmenter de façon très importante le nombre des Résistants, c'est-à-dire les gens que nous n’avions pas connus avant et qui étaient devenus ce qu’on appelait les Résistants du 30 août.
Julia Lamps
A la mairie, j’ai failli être descendue par un membre d’une organisation que je ne connaissais pas et qui m’empêchait de rejoindre le commandant René Jarnier à la mairie. Le deuxième rendez-vous étant fixé à la préfecture, je me suis donc rendue à la préfecture où, là, nous rencontrions les autres membres du comité départemental de Libération et où nous sommes restés pendant 3 jours et 3 nuits dans le bureau du préfet afin de garder les institutions.
René Lamps
Les premières tâches, ça a été les tâches d’organisation au point de vue du comité départemental de Libération. Il n’y avait plus de conseil général ou du moins pas encore parce qu’il avait disparu dans la tourmente. Le préfet n’était pas encore arrivé. Il fallait palier donc toutes ces choses. Nous avons confié la tâche de préfet au Président du conseil départemental de libération, monsieur Holin. Et puis, nous avons pris les mesures pour que s’installent dans toutes les communes du département des délégations municipales capables de gérer la commune en attendant les élections.
(Musique)
Charles Sellier
On est arrivé de la grand-rue avec les 89 prisonniers et on s’est arrêté juste en face de l’école. Et puis on s’est mis au garde-à-vous et on s’est mis à rentrer les…
Pierre Guillot
Nous nous sommes alignés là, là, devant, là. Et les habitants qui nous avaient vus passer avec les prisonniers, sentant que la fin était proche, sont venus gentiment nous donner peut-être un petit verre de vin. Il n’y avait pas grand-chose comme biscuits non plus. Et puis, pendant que nous étions alignés là, nous étions un peu abreuvés, on a entendu les ferraillades derrière, dans la direction du château. Alors du fait que nous étions déjà délestés des prisonniers, tout le monde s’est éparpillé. Et moi, j’ai pris cette route-là, à droite, là. Je suis allé au coin d’une rue. D’autres camarades… Toi, Charlot, tu as dû partir du côté du château parce que les… comment dirai-je ? Les coups de feu provenaient de là. On entendait des rafales de mitraillettes. Moi, je suis resté au coin avec un fusil mitrailleur avec un gars que tu connais, qui nous avait joints après, qui s’appelait… Je ne sais plus son nom. Que j’ai retrouvé dernièrement, là, d’ailleurs.
Charles Sellier
Les noms, on ne s’en rappelle plus.
Pierre Guillot
Vous savez, les noms, on oublie difficilement, vous voyez ? Pourtant, je l’ai revu à nouveau. J’ai perdu son nom.
Patrice Thedy Colleuille
Les Canadiens, vous les avez vus ?
Jacques Lerouge
Les Canadiens sont arrivés l’après-midi, eux, vers 14 heures par là. Oui, mais on n’a pas eu tellement de contacts avec eux. Je pense que d’avance, ils savaient les maisons qu’ils devaient contacter. Ils avaient certainement des amis d’avant. Je ne sais pas, moi. Ou bien on leur avait dit : « Vous irez à tel endroit. Vous devez trouver telle personne ».
Patrice Thedy Colleuille
Pas de contacts avec vous ?
Jacques Lerouge
Presque pas, non. Avec nos chefs, oui.
Lucien Boubert
Les armes pour la Libération avaient été cachées chez nous, dans le grenier. Dans le grenier. Alors donc, la veille de la Libération, j’ai réuni tous les gars qu’on avait, bien sûr…
Intervenante 2
Parce que ça faisait quelques jours qu’on voyait passer, toutes les nuits, les colonnes et des colonnes et des colonnes.
Lucien Boubert
Alors la veille, on a dit : « Ça y est. Les Allemands ont fichu le camp ». Il n’y en a plus chez nous. Alors monsieur Sergent a dit : « C’est le moment de distribuer vos armes ». Alors on a réuni les quelques… enfin, on était une quinzaine sans doute, je ne me rappelle plus du nombre exactement de FFI puisque c’était le mot à l’époque, qu’il a fallu lui donner. Et j’ai distribué les fusils, enfin, les revolvers qu’on avait. J’ai fait des groupes pour aller faire des patrouilles dans les environs pour voir s’il y avait encore des Allemands un peu partout. Et on est parti toute la nuit. Et le lendemain… Après, on est revenu coucher, bien sûr. Le lendemain, nous sommes repartis en patrouille de sorte que quand les canadiens sont arrivés, on ne les a pas vus. Je suis revenu après. J’ai su quand je suis revenu chez moi, et il y avait les Canadiens chez moi, en train de boire un coup avec ma femme et puis les enfants. Voilà tout ce que j’ai vu de la Libération ce jour-là.
Patrice Thedy Colleuille
C’est le 3 septembre qu’Abbeville fut libérée par la première DB polonaise équipée de chars Sherman. Une première DB polonaise incorporée à la première armée canadienne elle-même intégrée au 21ème groupe du maréchal Montgomery.
(Musique)
Patrice Thedy Colleuille
50 ans plus tard, la mémoire collective n’a pas encore oublié l’arrivée de ces étranges libérateurs qui pénètrent en ville par les faubourgs de Mautort et de Rouvroy.
Marie-Louise Darras
On a couru cueillir des fleurs.
Patrice Thedy Colleuille
Vous avez reconnu les uniformes ?
Marie-Louise Darras
C’étaient les Polonais.
Patrice Thedy Colleuille
Vous le saviez ?
Marie-Louise Darras
On l’a su à ce moment-là.
Patrice Thedy Colleuille
Qu’est-ce que vous avez ressenti, alors, en les voyant arriver ?
Marie-Louise Darras
Ça fait de l’émotion quand même ! Ça fait quelque chose, quand même !
Patrice Thedy Colleuille
Vous étiez heureuse ?
Marie-Louise Darras
On avait nos maris prisonniers alors on était contentes de les voir arriver.
Patrice Thedy Colleuille
C’était la Libération ?
Marie-Louise Darras
Oui, c’était la Libération.
Patrice Thedy Colleuille
Alors vous, madame, vous aviez 7 ans, c’est ça ?
Intervenante 3
Oui, c’est ça.
Patrice Thedy Colleuille
Qu’est-ce qu’il vous reste comme souvenirs ?
Intervenante 3
Il me reste quelques souvenirs mais pas grand-chose quand même.
Patrice Thedy Colleuille
Qu’est-ce que vous revoyez ?
Intervenante 3
Je revois les chars, les chenillettes, arriver. Je me souviens qu’on est allé porter des fleurs. C’est à peu près ce qu’il me reste.
Patrice Thedy Colleuille
Mais vous saviez que c’était la Libération ?
Intervenante 3
Oui, bien sûr, parce que j’avais mon père prisonnier alors on en entendait parler quand même souvent. On attendait ça.
Patrice Thedy Colleuille
Vous espériez que le papa allait rentrer ?
Intervenante 3
Il y avait cinq ans que je n’avais pas vu mon père, je ne le connaissais pas.