Les derniers habitants de la barre d'immeubles Chardin à Amiens
Notice
Enquête sur la destruction d'un premier immeuble dans le quartier nord d'Amiens dont la construction remonte au tout début des années soixante. Cette opération n'est que le début d'un vaste programme d'amélioration de l'habitat et surtout des conditions de vie dans les zones dites "sensibles". Tout cela s'inscrit dans le cadre du grand projet de ville. En un an, plus de 400 logements vont disparaître. Mais pour les habitants interrogés, avant de penser à l'avenir, c'est d'abord, la fin d'une époque.
Éclairage
A la fin des années 1950, Amiens connaît une importante croissance démographique et économique : la population de la ville passe de 84 000 habitants en 1946 à 107 000 en 1962, tandis que les entreprises Dunlop, Ferodo et Goodyear s'installent dans l'Espace Industriel Nord en 1959-1960. Pour faire face à cet essor, la municipalité lance, dès 1957, la construction d'une Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP) sur les plateaux nord d'Amiens. Architecte du ministère de la Reconstruction et de l'urbanisme dans le Nord, Yervante Toumaniantz, qui a également réalisé de nombreux projets dans l'agglomération dunkerquoise, établit le plan d'urbanisme sur cette zone d'une superficie de 160 hectares qui doit accueillir 4735 logements. Le nouveau quartier, "Amiens le neuf", s'inscrit parfaitement dans les formes architecturales et urbanistiques de l'époque : des tours (tour Maryse Bastié, 17 étages, construite en 1977) et des barres comme celles du Pigeonnier qui comportent 680 logements. Les premiers habitants s'installent dès 1962, mais une vingtaine d'années seront nécessaires avant que le nouveau quartier ne soit pleinement achevé.
Dès le début des années 1980, c'est-à-dire dès le lancement de la politique de la ville en France, le quartier est concerné par plusieurs opérations de réaménagement. Si les premiers programmes de la politique de la ville cherchent à réhabiliter le quartier et ses logements, une circulaire de 1988 reconnaît officiellement, en la réglementant, la possibilité de la démolition "en dernier recours" de certains bâtiments des quartiers dits en difficulté. La démolition est dès lors considérée comme un "outil de politique urbaine". Longtemps impensable et toujours objet d'un vif débat, la démolition fait son entrée dans la boîte à outils de la politique de la ville, ce que souligne le reportage dans le quartier du Pigeonnier à Amiens. A partir des années 2000, et particulièrement à la suite de la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, les démolitions se multiplient en France puisque la politique de renouvellement urbain, précédemment à l'œuvre, laisse la place à la politique de rénovation urbaine qui suppose destruction avant reconstruction (ou non) selon de nouveaux principes architecturaux et urbanistiques.
L'ambition de ces politiques d'aménagement est de transformer le quartier en un "quartier normal" par l'intermédiaire d'une action sur le tissu bâti (qui passe par des démolitions), considérée comme le moyen de favoriser une plus grande mixité sociale et une plus grande diversité des statuts d'occupation des logements en attirant des promoteurs différents dans de nouveaux programmes immobiliers. Comme le soulignent les habitants interrogés, parfois un peu nostalgiques, cette opération d'aménagement change leur existence en modifiant leur cadre de vie et en remettant en cause leur réseau de sociabilité. Malgré tous ces défauts, le quartier – ou plutôt le fait d'habiter ce lieu et non simplement la matérialité des lieux – avait fait germer un sentiment d'appartenance et un certain attachement chez ses habitants.