L’exil républicain espagnol
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Résumé
Dans un reportage réalisé à Aubiet, Ramon et Antonio Pertusa, enfants de républicains espagnols, racontent l’histoire de leur famille qui a connu l’exode sous les bombardements, puis l’internement avant de s’installer dans le Gers. En plateau, Antonio Pertusa et Antonio Soriano, ancien officier de l’armée républicaine espagnole, livrent leurs souvenirs. L’historien Gérard Noiriel présente ensuite la résurrection du département du Gers grâce à l’installation des immigrés, puis la répartition géographique de la famille Pertusa dans la France agricole.
Date de publication du document :
14 sept. 2021
Date de diffusion :
08 oct. 1989
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Contexte historique
ParMaîtresse de conférences en histoire contemporaine
Publication : 14 sept. 2021
Réalisé en cette fin des années 1980, ce reportage émane d’une émission qui aborde avec une vision renouvelée l’apport des migrations à la société française. Sur la chaîne FR3, Racines a en effet pris la suite de Mosaïques qui, de 1977 à 1987, était consacrée le dimanche matin aux immigrés, à leurs cultures et pays d’origine. Proposée avec le soutien du Fond d’action sociale (FAS), elle bénéficie désormais du conseil scientifique de l’historien Gérard Noiriel qui vient de publier un ouvrage de référence : Le creuset français : histoire de l’immigration, 1880-1980. Témoignages et parcours familiaux sont mis à l’honneur pour incarner avec humanité cette question de plus en plus présente dans le débat public.
L’émission du 8 octobre 1989 révèle l’étape que représente l’anniversaire des cinquante ans de la Retirada pour la mémoire de l’exil espagnol en France. Au terme de la guerre civile, la chute de la Catalogne prise par les nationalistes du général Franco déclenche la Retirada, retraite massive de presque un demi-million de personnes, civils et combattants républicains, franchissant en catastrophe la frontière des Pyrénées-Orientales entre fin janvier et début février 1939.
Après des décennies d’oubli, malgré le souvenir inscrit et transmis dans les familles, puis exprimé à partir des années 1970 par des associations de descendants de plus en plus actives, une certaine visibilité pointe dans l’espace public en cette année 1989. Ici, c’est à travers le destin de la famille Pertusa et le témoignage de Ramon et Antonio, Gersois d’Aubiet, enfants de républicains aragonais, se sentant français et parfaitement intégrés
. Après l’extrait présenté, l’émission se poursuit par un reportage accompagnant les frères Pertusa dans le village d’Alforque, berceau de leur famille en Aragon.
Dix ans plus tard, le soixantième anniversaire de la Retirada, en 1999, donne lieu à tout un ensemble d’évocations et de commémorations dans la région. Ainsi s’opère tardivement le processus de patrimonialisation régionale de l’exil espagnol en Midi-Pyrénées et à Toulouse, capitale des républicains hors d’Espagne après la guerre civile, à la fois comme épisode historique marquant et héritage pour la société et l’identité locale.
Bibliographie
- Gérard Noiriel, Le creuset français : histoire de l’immigration, 1880-1980, Paris, Seuil, 1988.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Silence)
Olivier Bertrand
Bonjour, bienvenue sur le plateau de Racines.1939, 500 000 Espagnols, hommes, femmes et enfants passent les Pyrénées.Chez eux la guerre civile fait rage, ils viennent trouver refuge en France.Parmi eux, la famille Pertusa, qui fuit l’Aragon.Pour nous, Antonio, Ramon, Luisa Pertusa, ont fait parler leur mémoire, c’est ça le retour en Aragon.Pour la partie commentaires de l’émission nous avons avec nous sur ce plateau Antonio Pertusa.Vous nous venez spécialement de Toulouse, où vous habitez je crois, depuis une trentaine d’années.Avec nous également, messieurs Soriano, père et fils.Antonio Soriano, vous dirigez la librairie espagnole de Paris que vous avez fondée en 1945.Vous venez également de publier un livre titré Exodos , un livre de témoignage sur ces déplacements massifs de population en Espagne en 1939.Enfin, Gérard Noiriel, historien, vous nous parlerez de la résurrection du Gers avec l’arrivée de ces réfugiés espagnols.Racines, c’est aussi la séquence, lieu de mémoire, mémoire de Bédarieux, petit village de l’Hérault à forte population espagnole.Nous retrouverons aussi la rubrique info, dédiée ce soir à la mémoire de Mouloud Mammeri, écrivain algérien d’expression française, décédé récemment.Mais tout de suite, le premier témoignage, d’ici et d’ailleurs, consacré à l’exode de la famille Pertusa.
(Musique)
Journaliste
À Aubiet, village paisible du Gers, Antonio et Ramon Pertusa, fils de républicains espagnols, ont accepté de témoigner afin de sauvegarder la mémoire de tous ceux qui connurent l’exode et le déracinement.Écoutez, c’était en février 1939.
Ramon Pertusa
La veille, il y a un avion qui est venu en reconnaissance.Et le soir, mon oncle a dit, demain on va aller manger à la campagne parce que ça, ça ne me plaît pas du tout.Et le lendemain, les femmes préparaient le manger pour partir et la sirène a sonné.Et nous sommes descendus à la cave et la première bombe qui est tombée, elle est tombée devant notre maison.Nous sommes partis sur la route, à travers champs d’abord,et nous sommes... nous avons fait du côté [inaudible], nous sommes partis là, on a été mitraillé par des avions de chasse.
(Bruit)
Antonio Pertusa
Nous avons vécu à Sant Feliu de Llobregat, à 12 kilomètres de Barcelone.D’ailleurs, nous assistions presque toutes les nuits aux bombardements de Barcelone.Nous voyions les projecteurs, nous entendions les explosions, c’était très proche bien sûr.Et nous avons quitté ce village,je ne saurais vous dire la date exacte,donc en février, non, fin janvier, fin janvier 39,et nous avons passé la frontière au Perthus dans la nuit du 7 au 8 février 1939.
(Musique)
Luisa Pertusa
(Espagnol) La guerre... La guerre a éclaté.Beaucoup de militaires sont arrivés, je ne sais pas d'où...Et le village a été mis sens dessus dessous,comme tous les villages.L'aviation nous suivait et nous, on marchait, on marchait...
Antonio Pertusa
Mais nous avons fait la retraite avec des civils, c’était une longue caravane de charrettes, de gens à pied, de... L’exode.
Journaliste
Et votre père ?
Antonio Pertusa
Il est allé d’abord à Argelès et puis à Bras, c’était une expérience douloureuse et je crois qu’il ne tenait pas à en parler.Nous sommes allés lui rendre visite une seule fois.Donc nous avons vu les barbelés, puis tous ces hommes entassés derrière les barbelés.Nous avons vécu pendant de longues années avec cet espoir-là, de revenir en Espagne.Ce sentiment s’est dilué un peu puis nous avons commencé à pousser des racines bien sûr, et puis nous nous sommes installés, petit à petit.Mon frère d’ailleurs n’a pas quitté la terre, il y est toujours.Moi, je l’ai quittée à la fin des années 50, pour venir dans le bâtiment.
Ramon Pertusa
Mon père a pris l’affaire de [inaudible], et nous on travaille avec lui, on est tous en famille.Et en 65, 1965, la propriétaire est décédée et le propriétaire il a décidé de la donner en fermage, alors mon père l’a pris en fermage jusqu’en 1967.Là il a pris la retraite, et après c’est moi qui ai pris son fermage et nous avons vécu tous ensemble, tout le temps.Et ensuite, les propriétaires ont voulu vendre, et c’est mon fils qui a acheté.
Olivier Bertrand
Antonio Pertusa, vous évoquez dans ce reportage qu’on vient de suivre, ces nouvelles racines qu’il vous a fallu développer en arrivant en France.Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Antonio Pertusa
Un demi-siècle a passé donc je crois être parfaitement intégré.Mais cela ne s’est pas fait rapidement.Ça a été une longue maturation.Bon, je suis naturalisé français.J'ai épousé une Française, mes enfants sont français bien sur. Je crois que je suis français maintenant.
Olivier Bertrand
Est-ce que vous sentez encore un peu l’Espagne avec vous ?
Antonio Pertusa
Oui, j’ai comme ça de bouffées de nostalgie, mais je crois que c’est inévitable.
Olivier Bertrand
Merci.Monsieur Soriano, vous avez récolté des dizaines, des centaines de témoignages pour faire votre livre.Est-ce que tous ces gens, ces réfugiés ont vécu à peu près la même histoire que Monsieur Pertusa ?
Antonio Soriano
Il y a eu beaucoup de cas particuliers parce que Monsieur Pertusa, d’après ce que j’ai vu dans le film, c’est une famille, il n’était pas dans l’armée, ils étaient très jeunes.Et alors lorsqu’on a dit qu’il fallait évacuer Barcelone, ils ont évacué Barcelone [inaudible], non ?Et ils sont venus vers la frontière comme tout le monde, fuyant la terreur des bombardements sans cesse qui tombaient de la part de l’aviation fasciste espagnole.Alors, ils ont suivi l’exode, ils sont arrivés à la frontière comme des milliers de personnes.Et mon itinéraire était complètement différent parce que j’étais dans l’armée, et puis j’ai évacué avec l’armée mais dans le secteur du côté de Bouchaala,de Bouchaala, Latour-de-Caron que vous connaissez bien.
Olivier Bertrand
Mais en fin de compte, on peut considérer que pour tous les réfugiés, il a fallu commencer une nouvelle vie.
Antonio Soriano
Moi, j’ai l’impression, au moment de passer la frontière de commencer l’année zéro de ma vie.Je venais de naître parce que tout était différent pour moi, il fallait recommencer à zéro.
Olivier Bertrand
Antonio Soriano, merci.Nouvelle vie pour les réfugiés, mais aussi pour les villages, les villes, et les départements d’accueil.Exemple, le Gers comme nous le raconte Gérard Noiriel
(Silence)
Gérard Noiriel
En ouvrant ses frontières aux réfugiés et aux immigrants, la France finalement fait un bon calcul.Le cas du Gers illustre parfaitement le rôle que les immigrants ont joué et jouent encore dans l’agriculture.Qui se souvient aujourd’hui que ce département se transformait en désert au début du siècle ?"Traverser un village !" s’écrit un auteur de l’époque."On le dirait abandonné".Les célèbres cadets de Gascogne qui portèrent si haut la gloire de leur petite patrie n’ont presque plus de descendants.Cette société rurale traditionnelle, qui se meurt faute de combattants, est progressivement remplacée par un monde nouveau.On appelle en masse les immigrants, surtout italiens, puis espagnols.Et après la deuxième guerre, rapatriés d’Algérie et immigrés maghrébins.Ces nouveaux paysans apportent leur dynamisme, leurs compétences et participent activement à la révolution agricole qui bouleverse l’économie locale.Ils contribuent aussi à l’émergence d’une nouvelle culture locale dans laquelle la corrida fait bon ménage avec le tour de France et le rugby.
Olivier Bertrand
Gérard Noiriel, vous vous êtes intéressé à la répartition des Pertusa dans les différentes régions de France.
Gérard Noiriel
Oui, nous avons cherché à partir de l’itinéraire de départ de la famille Pertusa,nous avons reconstitué leur itinéraire jusque donc, dans le village du Gers, Aubiet,et nous avons eu la curiosité, à l’aide de l’annuaire électronique, de voir s’il y avait d’autres Pertusa,même s’ils n’appartiennent pas à la même famille dans d’autres départements de France.
Olivier Bertrand
Vous avez tapé sur le Minitel, vous avez trouvé combien de Pertusa en France ?
Gérard Noiriel
Nous avons trouvé une quarantaine de Pertusa abonnés au téléphone.Et ce qui est très intéressant, je crois, dans cette répartition géographique, c’est qu’on voit que c’est un patronyme disons qui ne se trouve pas beaucoup dans les régions industrielles de France.On n’en trouve pas en Lorraine, très peu dans le Nord.Par contre, bien sûr dans le Sud-Ouest, Toulouse, région de Toulouse, également dans l’Hérault, beaucoup,et aussi dans des régions de France où on ne les attendrait pas,notamment on en trouvait un dans l’Eure, vous voyez, dans le Loir-et-Cher même, c’est-à-dire dans les régions agricoles.On a donc le sentiment, si vous voulez qu’on a un maintien dans le monde rural.
Olivier Bertrand
C’est une intégration qui s’est faite, en quelque sorte, dans un domaine connu.
Gérard Noiriel
Voilà, c’est dans un univers rural en majorité, en majorité bien sûr.
Olivier Bertrand
Deuxième volet de votre recherche, après le minitel pour retrouver les Pertusa, ça a été l'arbre généalogique de la famille.
Gérard Noiriel
Oui je crois que la généalogie c'est quelque chose de très important, et on voudrait dans cette émission la mettre en valeur.Parce que, d'une part dans l'immigration on sait que très souvent vous avez des familles qui ont été séparées,et parfois pour toujours.Et on peut avec cette émission, on souhaiterait, aussi aider les gens à reconstituer leur généalogie, retrouver des parents perdus.Et nous l'avons fait, là, avec l'aide, d'ailleurs, de Monsieur Pertusa.Et nous pouvons constater, sur l'arbre généalogique, un phénomène flagrant, enfin je crois habituel, qui est une leçon quelque part d'optimisme aussi.On constate que sur trois générations, l'intégration se fait.Je veux dire à la fois comme le disait Monsieur Pertusa tout à l'heure, au niveau je dirais, familial, culturel, mais aussi au niveau professionnel.
Olivier Bertrand
C'est la même mobilité sociale pour les réfugiés d'avant-guerre que celle connue aujourd'hui pour les Français depuis toujours.
Gérard Noiriel
Oui je crois.Enfin, là, on manque encore d'études, ce problème là n'a jamais été étudié par les historiens de manière statistique.Mais enfin beaucoup d'exemples d'études locales qui ont été faites aboutissent à ce constat.Et c'est ce qu'on peut appeler effectivement les capacités d'intégration de la société française,ça ne va pas sans douleur, on l'a vu tout à l'heure,mais il y a une sorte de réalité sociologique, qui est beaucoup due d'ailleurs au travail des gens, à l'investissement qu'il mettent pour reconstituer leur vie.Et comme on l'a vu aussi dans le petit reportage qu'on a fait à ce sujet,on voit aussi tout ce que la société française a tiré comme bénéfices de cette intégration sur plusieurs générations.
Olivier Bertrand
Merci.
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