L'occitan en Gascogne

L'occitan en Gascogne

Par Claude Pierson et Marc Castanet, Agrégé de lettres et enseignant en occitan retraitéPublication : 14 sept. 2021, Mis à jour : 17 déc. 2021

# Avant-propos

Le parler gascon et son expression littéraire ont connu de nombreuses vicissitudes au cours des cinq siècles qui viennent de s’écouler avec des périodes de renaissance et d’affirmation de leur dignité suivies de longs reflux. Ce fut le cas au XVIe siècle avec Pèir de Garròs et au début du XXe siècle avec la création en Gascogne de l’Escole Gastou Febus qui adhéra au Félibrige, le mouvement littéraire né en Provence au milieu du XIXe siècle autour de Frédéric Mistral, pour la défense et l’illustration du provençal et de la langue d’oc. C’est alors que de nombreux auteurs gersois se regroupèrent autour de Fernand Sarran, dit Lou Cascarot de la Gascougne, qui se battait pour la sauvegarde de son parler natal.

Aujourd’hui, sans préjuger de sa pérennité, il est utile de se pencher sur le mouvement de réappropriation de l’occitan qui s’est développé dans le dernier quart du siècle dernier, notamment dans l’enseignement.

     

# La littérature gasconne

Les années 1970 voient un renouveau d’intérêt pour les œuvres de la littérature populaire collectées par Jean-François Bladé au XIXe siècle, en particulier les contes dont le premier volume est publié dans leur langue d’origine par un précurseur, André Dupuy de Lavit-de-Lomagne. Il sera suivi par l’Institut d’Estudis Occitans (I.E.O) qui réédite en occitan dans la collection A tots les trois volumes des Contes populaires de Gascogne parus en 1886.

Cet intérêt se manifeste en 1974 avec la « semaine Bladé » à Lectoure, initiée par Jean-Claude Ulian, marquée par la publication d’un album illustré par Jean-Claude Pertuzé, d’un disque de musique traditionnelle (Trésors gascons) et par un colloque en 1984 organisé à Lectoure par le Centre d'étude de la littérature occitane de Béziers.

On se met alors à rechercher les vieux exemplaires de l’Armanac de la Gasconha créé en 1898 par l'abbé gersois Fernand Sarran (1872-1928), dit le Cascaròt, félibre convaincu, qui constituent un trésor de textes variés qui sera publié jusque dans les années 1950 après le décès de son créateur. En 1979, Madeleine et André Garros publient à compte d’auteur, une sélection d’écrits du Cascaròt et notamment ses avant-propos des armanacs dans lesquels ils témoignent d’une grande finesse d’analyse linguistique pour célébrer le gascon.

Ces armanacs offrent un florilège de littérature populaire dans lequel pourront puiser les enseignants d’occitan à partir de 1975 mais aussi tous ceux qui chercheront un texte authentique pour animer une veillée, une soirée de contes.

En 1985, une tentative pour ressusciter l’Armanac réunira de nombreuses contributions autour de l’abbé Gilbert Loubès, un infatigable érudit, mais les temps ayant changé, seuls deux numéros paraîtront.

Cependant, le renouveau d’intérêt pour les contes en gascon verra la création en 1977 à Sauboires, petit village du Bas-Armagnac, à l’initiative d’Yves Marrast et du Foyer rural du village, du Festival des conteurs gascons qui attire conteurs, conteuses et poètes de toute la Gascogne. Dans les années 2000 l’idée de ce festival a été reprise par la Prima deus contaires.

Pour la littérature, outre Marius Noguès et Jean-Louis Quéreillahc, deux des fondateurs de l’association des écrivains-paysans, d’autres auteurs eux aussi paysans écrivent en gascon.

Alban Destournes, (1927-2012), membre de l’Escole Gastou Febus, écrit tant en prose qu’en vers dans divers genres une œuvre en gascon, consacrée à son terroir natal.

Raymond Lajus (1916-2011), instituteur et enseignant de mathématiques, consacre sa retraite à cultiver ses vignes, comme l’atteste son pseudonyme Ramonet deu pè de la Vit (Petit Raymond du cep de vigne), et à écrire et publier plusieurs ouvrages de chroniques, en graphie normalisée et avec la traduction française, consacrées aux travaux et aux jours dans l’Armagnac noir[1], et aux métiers disparus.

D’autres poètes, félibres de l’Escole écrivent et publient leurs poèmes, le plus souvent des sonnets, dans les Reclams de Biarn e Gascougne. Parmi eux, Laurent Salesses, l’abbé Saint-Bézard historien du Félibrige en Gascogne.

[1] Bas-Armagnac

# L’occitan dans l’enseignement

En 1975, avec la réforme Haby, du nom du ministre de l’Éducation nationale de l’époque, un enseignement des langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité. En fait, cette mesure se traduit surtout, s’agissant du Gers, par l’ouverture de cours d’occitan et donc de gascon, au lycée. Occitan, gascon, ces mots sont nouveaux pour certains élèves qui entendent parler patois dans leur famille et qui découvrent ainsi la dignité du parler de leurs aïeuls et de leurs aïeux. Cet intérêt est, il est vrai, renforcé par la perspective d’obtenir des points au baccalauréat.

Pour les enseignants, forcément néophytes, il faut faire preuve d’imagination pour créer des supports pédagogiques qui n’existent pas encore. Ils se lancent dans cette aventure et se passionnent pour la relation nouvelle qui s’instaure avec les élèves. Il ne s’agit pas de transmettre un savoir défini par les instructions officielles mais de construire une pratique qui s’appuie sur les connaissances des élèves, la théorie grammaticale et l’éclairage dialectal apportés par l’enseignant.

Parallèlement, des élèves ont pu ainsi éclairer leurs proches sur la place du gascon dans l’espace occitan.

Après ces débuts prometteurs, on était en droit d’espérer que cet effort serait poursuivi mais les gouvernements successifs ont multiplié conjointement les déclarations de soutien aux langues régionales et les restrictions des moyens qui leur étaient accordés.

Rejoignant ainsi les autres départements de l’académie, l’Éducation nationale crée cependant à partir de 1992 deux postes d’animateurs en occitan dans le 1er degré avec pour mission : l’intervention auprès des élèves, la formation des enseignant.es, la création de matériel pédagogique, la mise en place d’actions en partenariat (Fédération française de la course landaise, collectivités et le CREO[1] pour l’initiation au gascon à l’école...). Ces deux postes ont été transformés en un poste de conseiller pédagogique départemental en 2020. Deux sections bilingues français-occitan à parité horaire voient le jour dans l’enseignement public, à Plaisance du Gers en 2005, et à l’Isle-Jourdain en 2012. Un enseignement bilingue est également mis en place dans l’enseignement privé à l’Isle-Jourdain dans le même temps.

L’antenne du Gers du CREO développe son action dans les années 2000 pour organiser, coordonner… des actions en direction du public scolaire. Citons notamment les rencontres « Mainatges en Òc » et « Jorn en Òc » en partenariat avec l’Éducation nationale et le conseil départemental, la traduction ou adaptation en gascon d’outils pédagogiques, l’édition en 2021 d’un « Petit bal occitan de Gasconha », programme de danses occitanes (livret et CD), en direction des élèves des écoles publiques.   

[1] Centre régional des enseignants d’occitan

# Le gascon dans le mouvement associatif

Les années 1970-1980 voient se créer dans le Gers, parallèlement à l’introduction de l’enseignement du gascon au collège et au lycée, un tissu associatif fourni, dont une large part continue toujours son travail en faveur de la langue et de la culture.

Les Foyers ruraux du Gers, bien implantés, proposent dans leur calendrier culturel et sportif deux jeux traditionnels gascons, les quilles au maillet et le palet gascon, toujours très pratiqués. Ils ont également coordonné et édité en DVD dans les années 2010 une collecte de la mémoire populaire gasconne en Bas-Armagnac et en 2018 l’édition d’un recueil bilingue de recettes de cuisine collectées auprès de la population. À Estang, le Foyer organise des Rencontres gasconnes en 1990 : concerts, bals, expositions, jeux traditionnels…

Le Foyer de Samatan, en complément de son travail de collectage de danses et musiques, organise plusieurs éditions d’un Tour du Gers « cyclotouristique » : une semaine à la rencontre de paysans, d’artisans, de passionné.es, d’artistes, de visites de villages, sites et monuments… emportant aussi musiques et danses pour les veillées-étapes. Le tour fera même un séjour en Béarn et dans les Landes… Dans les années 1980, une « Semaine verte » est créée : manifestation annuelle autour de l’écologie et du monde rural, avec conférences, ateliers, débats, expositions, concerts, dégustations, autour d’une thématique différente chaque an.

Créée en 1979, l’Association pour la culture populaire en pays gascon propose toujours des ateliers réguliers de musique traditionnelle, de gascon, des stages, concerts et bals, expositions, conférences, spectacles. Elle a co-organisé six éditions de la Fête du rondeau et la publication en 2017 de GAEL-ÒC, livre de photographies dans le cadre d’un projet européen ERASMUS, en partenariat avec le conseil départemental du Gers, les élèves d’occitan du collège de Samatan, ainsi que des partenaires gaéliques irlandais (County Clare) et écossais (Iles Hébrides).

Un calendrier de concerts ou de bals, travail d’un réseau associatif couvrant le département, se déploie. Des groupes de « musique traditionnelle » à danser ou à écouter se créent, se transforment... L’on peut citer à ce jour, - au risque d’en oublier, qu’ils nous le pardonnent - : Accord Duo Swing, CAMOM et Compagnie Guillaume Lopez, Davantèr, Fòlc e Pic, Hilhas deu vent, Hont Hadeta, La Sansonha, La Saucisse musicale de Saint Michel, Le Collectif de l’ACPPG, Les Duo et Trio  Espinasse, L’Ensemble de violons de Gascogne, Lo Drac, Marc et ses coussins, Regain, Ticatantolha, Tres en gasalha, Tripòta e Mascanha… Certains de ces groupes continuent de jouer pour le plus large public, dont une partie fréquente aussi des ateliers de danses.

Quelques années durant, une section de l’Institut d’Estudis Occitans se réactive sur la région auscitaine, pour quelques initiatives : salon du livre occitan, travaux de la commission toponymique de la Ville d’Auch, ateliers, Carnaval gascon d’Auch... 

Le gascon se diffuse également par les ondes. Dans les années 1980, à 13 heures le dimanche, sur Radio 32, on put un temps écouter l’Ora gascona, conçue et présentée par un animateur débutant, à partir d’enregistrements qu’il réalisait dans le Gers au cours de la semaine précédente.

Une antenne de Ràdio Pais, radio associative bilingue née en Béarn dans les années 1980, se crée dans le Gers en 1992, en même temps qu’une Fédération Ràdio Pais regroupant Béarn, Bigorre et Gers. Ràdio Pais a diffusé durant plusieurs années un cycle de « Devisadas », entrevues d’acteurs de terrain enregistrées en public et traitant de diverses thématiques.

Ainsi, une petite trentaine d’associations engagées autour de la culture occitane de Gascogne se regroupent dans les années 2010 en une fédération, l’Ostau Gascon (La Maison gasconne), à l’image de l’Ostau Biarnés sur Pau, ou encore de l’Ostau Comengés.

Une partie du réseau associatif propose des fêtes et des festivals : Còr de Gasconha, Escota e Minja, Gasconnades de Lectoure, Rondèu de Castelnau, Trad’Envie. Des collectivités, des institutions et, dans une moindre mesure le monde économique… organisent des actions, que celles-ci soient ponctuelles ou régulières : ateliers de musique, de danse, de gascon, spectacles, expositions, édition de documents, affichage de la langue, conférences, sessions de formations, organisation de carnavals gascons…

Le conseil général du Gers se dote dès 2005 d’un poste de chargé.e de mission pour la langue et la culture occitanes de Gascogne pour coordonner des projets pour tous publics dont le scolaire, organiser un concours de gascon annuel, former en gascon des assistantes maternelles, collecter des témoignages, proposer des animations pour le grand âge dans le cadre des EHPAD, élaborer des outils en gascon en direction de tous les publics.

Deux enquêtes socio-linguistiques, menées à la fois dans le Gers et en région dans les années 2010, révèlent un fort intérêt de la population pour la valorisation de la langue et de la culture occitanes de Gascogne, avec un souhait notable pour leur enseignement à l’école.  

# Une approche originale de la langue par la toponymie

Dans le Gers comme partout où se parle une langue régionale, on constate un grand intérêt pour la toponymie.

Le conseil général du Gers a accueilli en 2007 un congrès organisé par le conseil régional de Midi-Pyrénées, l’Institut d’Estudis Occitans et le Centre de ressources occitanes et méridionales sur la toponymie occitane.

Une commission toponymique départementale a également été créée dans le but de travailler sur les noms des communes gersoises repris dans la version gasconne de la carte départementale. Sa contribution a été prise en compte dans l’ouvrage répertoriant les noms occitans des communes des huit départements de l’ancienne région Midi-Pyrénées publié sous la direction de Patrice Poujade.

Quelques communes ont tiré parti de ces recherches pour apposer des panneaux en occitan aux entrées de leur agglomération (Auch, l’Isle-Jourdain, Seissan). En outre, Auch et l’Isle-Jourdain ont mis en place des panneaux en gascon indiquant les noms traditionnels de rues et places de la ville.

Plusieurs communes ont manifesté le désir de connaître l’étymologie de leurs lieux-dits et l’envie d’en retrouver la graphie. Cela a donné lieu à des causeries organisées à la demande d’une association dans les communes de Cazaubon, Estang, Monferran-Savès, Pujaudran, Vic-Fezensac.

À Roquelaure Saint-Aubin, un inventaire toponymique a été mené avec la participation d’un groupe d’habitants intéressés.

# En guise de conclusion

Quel est l’avenir de la langue et de la culture occitane pour les décennies à venir ? Certes, on constate sans surprise que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’affirmation du caractère gascon passe moins par la langue dans le Gers que dans la Bigorre et le Béarn. Dans la plaine, le caractère gascon s’affirme le plus souvent dans la convivialité et la gastronomie. Mais, si les Gersois ayant appris le gascon dans leur famille sont certes moins nombreux, ceux qui l’apprennent volontairement par des canaux divers sont davantage. Ateliers de langue, groupes de musique, etc., se sont multipliés… Bref, l’espoir est encore permis… comme au début des années 1970.

# Bibliographie

  • Patrice Poujade, Répertoire toponymique des communes de la région Midi-Pyrénées, Loubatières, 2009.
  • Arch. dép. du Gers, 91 J, fonds Alban Destournes.
  • Arch. dép. du Gers, 93 J, fonds Jean-Louis Quéreillahc.