Les écrivains-paysans du Gers
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Résumé
Marius Noguès et Jean-Louis Quéreillahc sont écrivains-paysans. Dans cet entretien ils expliquent comment ils parviennent à concilier leurs deux activités et parlent de leurs ouvrages inspirés du monde rural et du travail de la terre. Le reportage plonge le spectateur dans l’univers du roman de Marius Noguès, Lutèce et le paysan ; puis Jean-Louis Quéreillahc lit quelques extraits de son livre La Moiss’batt.
Date de publication du document :
14 sept. 2021
Date de diffusion :
03 févr. 1973
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Contexte historique
ParAgrégé de lettres
Publication : 14 sept. 2021
La campagne et le travail de la terre ne sont certes pas totalement absents de la littérature française. En poésie, souvenirs des récitations à l’école primaire, on cite volontiers Théophile de Viau décrivant le bouvier qui suit le sillon, ou Victor Hugo célébrant le geste auguste du semeur.
Cependant la représentation littéraire du monde rural n’est pas exempte de reproches. Le premier est d’être l’œuvre d’écrivains étrangers à ce monde et qui donnent une vision dans laquelle les paysans ne se reconnaissent pas. Selon Michel Ragon, historien de la littérature prolétarienne, ces œuvres témoigneraient de deux défauts opposés, par excès de dédain ou au contraire de sympathie. On aurait ainsi, d’une part, des romans peuplés d’êtres frustes, grossiers, cupides tels qu’on en trouve chez Maupassant ou dans La Terre de Zola ou, au contraire, des visions idéalisées culminant dans les « bergeries » du XVIIe siècle comme L’Astrée, roman pastoral d’Honoré d’Urfé.
Cela donne au total une image très approximative de la vie paysanne. Michel Ragon se plaît au contraire à réunir dans Paroles de paysans, paru en 2005, les œuvres de trois auteurs ayant en commun d’être d’authentiques écrivains-paysans : Émile Guillaumin pour La vie d'un simple, livre précurseur publié en 1904, Jean Robinet pour Compagnons de labour, paru en 1946, et Marius Noguès qui fit paraître en 1957 sa Petite chronique de la boue. Les deux derniers cités fondent avec Jean-Louis Quéreillahc l’association des écrivains-paysans, déclarée dans le journal officiel du 4 octobre 1972 avec, pour objet, de grouper les écrivains et artistes-paysans ; les aider à s’exprimer pleinement ; promouvoir la diffusion de leurs œuvres et venir en aide à ceux qui seraient en difficulté
.
On voit d’emblée que cette association ne se définit pas comme une académie ou un cercle ayant la littérature pour seule visée. Le siège social est fixé à l’hôtel de ville de Plaisance-du-Gers, un chef-lieu de canton, et ce choix est significatif. Le Gers a une image rurale ; il est alors fréquemment qualifié de premier département agricole de France. À l’époque, Jean-Louis Quéreillahc est maire de Plaisance et le demeurera pendant 42 ans.
Quand ils fondent l’association, les deux Gersois, nés immédiatement après la Première Guerre mondiale, ont passé la cinquantaine et tous deux se revendiquent paysans. À ce titre, ils ont connu les débuts du machinisme agricole, qu’ils ont vécu différemment. Tous deux ont publié plusieurs livres de prose et de poésie en français mais le parallèle s’arrête là. Jean-Louis Quéreillahc a suivi des études universitaires et a entamé, à 26 ans, comme maire de son village, un parcours politique marqué par différents mandats, locaux et nationaux doublés de multiples activités associatives ou coopératives. Marius Noguès, autodidacte, reste attaché à ses vingt-cinq hectares qu’il cultive à Haget, avec un tracteur Ferguson qu’il a d’ailleurs longtemps refusé d’acquérir. Ils n’ont pas la même conception de ce que peut être un paysan qui écrit. D’ailleurs Noguès, littérairement plus abouti et reconnu par des prix (Prix des Méridionaux de Paris en 1868, Prix du Terroir en 1974), quitte l’association, refusant désormais l’appellation d’écrivain-paysan et allant jusqu’à déclarer : Il y a des paysans qui écrivent. C’est tout !
, tandis que son co-fondateur continue à l’animer.
Tous deux sont morts nonagénaires. L’association s’est développée – on peut le constater sur la toile – et a essaimé vers le nord ; elle compte six cents membres.
Il serait injuste d’oublier, au passage, d’autres paysans qui écrivaient avec talent et modestie, en occitan de Gascogne, tel Alban Destournes de Beaumarchés.
Bibliographie
- Marius Noguès, Contes de ma lampe à pétrole, Rodez, Subervie, 1973.
- Marius Noguès, Petite Chronique de la boue, Club du Livre du mois, 1957.
- Marius Noguès, Soleil de la Terre, éditions du Val d’Adour, 2007. Réédition des poèmes en 2 vol.
- Jean-Louis Quéreillahc, La Moiss-batt, France-Empire, 1967.
- Jean-Louis Quéreillahc, Le Préfet aux champs, France-Empire, 1973.
- Jean-Louis Quéreillahc, Rouge est ma terre, France-Empire, 1977.
- Collectif (auteur), Michel Ragon (préface), Paroles de paysans, Éd. Omnibus, 2005.
- Arch. dép. du Gers, 91 J, fonds Alban Destournes.
- Arch. dép. du Gers, 93 J, fonds Jean-Louis Quéreillhac.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
Jacques Toulza
Alors, quel est le planning de la journée ?
Marius Noguès
Le matin, le soin aux bêtes, puis la préparation du tracteur, des charrues, pour les labours ou bien alors pour les semailles.
Jacques Toulza
Ça va nous mener jusqu’à quelle heure ce soir ?
Marius Noguès
Oh, vers 7 heures, 7 heures et demi.
Jacques Toulza
Et encore parce que la nuit tombe vite.
Marius Noguès
Oui.La nuit tombe très vite.
Jacques Toulza
Alors, vous n’avez rien fait de Noël 58 à juillet 59.
Marius Noguès
Et pourtant, il a bien fallu semer si l’on veut récolter.
Jacques Toulza
Puisque vous avez écrit pendant tout ce temps Lutèce et le paysan .
Marius Noguès
J’ai essayé de concilier les deux.
Jacques Toulza
C’est possible ?
Marius Noguès
C’est possible.La preuve.
(Musique)
Jacques Toulza
Les travaux de chaque heure, chaque saison, oh, ce n’est pas si simple.On a parlé de Ramuz, Giono.J’ai ajouté Pagnol, Carco, mais non, c'est au Haget, Marius Noguès, racontant dans Lutèce et le paysan cette strip-teaseuse qui préféra mourir plutôt que trahir celui qui lui a fait connaître une certaine pureté.
(Bruit)
Jacques Toulza
Marius Noguès, je vous dérange aussi.Mais dites-donc, lorsque Marin arrive à Paris et qu’il voit la tour Eiffel, "il plante ses grandes guiboles en compas, pose sa valise et les mains aux poches, la regarde.La réflexion vient au bout d’un moment, sans forcer."
Marius Noguès
"Pas la peine de faire autant de bruit pour cette ferraille."
Jacques Toulza
Vous connaissez la tour Eiffel ?
Marius Noguès
Oui, quelque peu.
Jacques Toulza
Marin, c’est un peu vous.
Marius Noguès
Un peu, si on veut.
Jacques Toulza
Alors, ça a été votre opinion quand vous avez vu la tour Eiffel ?
Marius Noguès
C’était un peu la mienne, mais c’était surtout celle de mon homme que j’ai connu, qui était d’ici, qui avait été, qui avait tenté son aventure, qui avait tenté son aventure à Paris.
Jacques Toulza
Ah !Et c’est une histoire qu’il vous a racontée ?
Marius Noguès
C’est une histoire qu’il m’a racontée.
Jacques Toulza
Alors, vous savez regarder, mais vous savez aussi écouter.
Marius Noguès
Il faut bien regarder et écouter.Il faut savoir faire les deux.
( Bruit)
Jacques Toulza
Noguès, Marin à Paris est traité de péquenaud.Alors, toujours, toujours péquenaud ?
Marius Noguès
Éternellement péquenaud.Et il en faut.
(Bruit)
Marius Noguès
Et puis, les bêtes pour décrire un paysan, c’est une source d’inspiration !
(Musique)
Jacques Toulza
Oh, oh . Oh, oh.
Dites-donc, Marin dit à un moment donné qu’il s’essayait à vivre sans souci."Tous les gens aujourd’hui sont aux prises avec le souci.Le souci est pareil au chiendent.Le souci suce la couleur rouge du sang.Il étiole le sang, comme le chiendent appauvrit la bonne terre."Cette terre sur laquelle vous vivez.Parfois, vous la maudissez, hein ?
Marius Noguès
Oui, évidemment.
Jacques Toulza
C’est dur !
Marius Noguès
C’est dur !Mais je ne la quitterai jamais !Ce n’est pas possible.
Jacques Toulza
Si vous étiez dégagé de cette nature, si vous étiez dans une autre atmosphère, est-ce que vous pensez que vous auriez une autre inspiration comme écrivain ?
Marius Noguès
Non.Parce que ma terre, c’est ma terre.Et puis j'écris, je parle de ce que je connais, ce que je connais.Je serais un rigolo si je parlais d'autre chose.
Jacques Toulza
En somme, chaque heure de travail du paysan rejoint l’heure de travail de l’écrivain, puisque vous composez, vous pensez à toutes vos idées tout en travaillant, lorsque la terre se colle à vos chaussures.Vous avez écrit La Boue .En deux mots, qu’est-ce que le sujet de La Boue ?
Marius Noguès
La Boue , c’est la colonie qui est dans un petit village avec toutes leurs histoires qui se greffent là-dessus.Et c’est aussi la boue de corps, la boue des âmes.
(Musique)
Jacques Toulza
Quel sera votre prochain livre ?
Marius Noguès
J’y travaille.C’est un recueil de récits de fonds rustiques, tous authentiques, qui doit paraître chez Subervie, illustré par François Bernadi.
Jacques Toulza
Et qui s’appellera ?
Marius Noguès
Qui s’appellera Contes de ma lampe à pétrole.
(Musique)
Jacques Toulza
Madame Noguès, pas trop jalouse des héroïnes de votre mari ?
Inconnue
Non, pas jalouse des héroïnes de mon mari mais plutôt du temps qu’il passait avec elles, surtout au début de notre mariage.
Jacques Toulza
Marius Noguès, derrière vous, c’est Lutèce, votre héroïne ?
Marius Noguès
En effet, c’est Lutèce.
Jacques Toulza
Dites-donc, cette idée d’écrivain-paysan est de qui ?
Marius Noguès
Eh bien, sans vanité aucune, elle est de moi.
Jacques Toulza
Combien êtes-vous maintenant dans toute la France ?
Monsieur Buroc
C’est difficile à dire en raison de ce que notre association est toute jeune.
Jacques Toulza
Mais vous, cher monsieur, vous êtes Monsieur [Buroc], vous étiez cultivateur aussi ?
Monsieur Buroc
Je l’ai été.Puis, ensuite, j’ai été professeur d’agriculture.
Jacques Toulza
Parmi vos élèves, est-ce que vous avez lu dans leurs yeux des vocations, un talent naissant ?
Monsieur Buroc
C’est très difficile aussi à dire.Mais parmi le petit millieu que j’ai eu comme élèves, j’en vois trois au moins.
(Musique)
Jacques Toulza
Pas de secrétaire ici.Le chien, compagnon, peut-être, qui sait si bien garder le troupeau et être le confident de son maître.Grand prix des écrivains méridionaux, qui, le soir, obéit encore à sa muse.
(Musique)
Jacques Toulza
Le lendemain, le calme règne à Plaisance-du-Gers.
(Silence)
Jacques Toulza
Quand soudain, franchissant l’Arros, La Moiss-batt passe pour rejoindre Jean-Louis Quéreillahc.
(Musique)
Jean-Louis Quéreillahc
L’idée du roman m’est venue de la machine elle-même, parce qu’il est bien certain que dans tous les outils de la terre à l’heure actuelle, la moissonneuse-batteuse, La Moiss-batt , est de loin celle qui est l’outil des grandes déceptions et aussi quelquefois, heureusement, l’outil des plus grandes joies.C’est la minute de vérité du paysan.
(Bruit)
Jean-Louis Quéreillahc
"Ce maïs, c’était son maïs à lui, Christophe.Il l’avait vu naître, lever, puis grandir, les tiges dures et serrées.Il l’avait surveillé [inaudible] avec au coeur une joie secrète, tandis que les épis aux grains gonflés de lait sortaient des tiges vert sombre, aux feuilles robustes et larges.Puis, jour après jour, il avait vu les vagues vertes virer peu à peu aux jaunes.Il lui était arrivé alors de cueillir quelques épis, de les froisser dans ses mains pour craquer quelques grains entre ses dents."
Jacques Toulza
"L’angoisse, la joie, le rythme des poulies, exacerbent le sang et la quête de la volupté se fait pressante."
Jean-Louis Quéreillahc
"Ses épaules étaient maintenant contre la poitrine de Christophe.Malgré ses supplications, Christophe ne lâchait pas ses cheveux.Il savait maintenant qu’il la tenait à sa merci et le lui disait tout doucement, tandis qu’elle achevait de glisser sur le sang, tout contre lui."Je te tiens maintenant, hein !Dis-le que tu avais envie de Christophe.Il te tient, Christophe.Il va te prendre, Christophe.Dis-lui que c’est ça que tu veux."
Jacques Toulza
Un livre de chair et de sang, la mort de ce pauvre Xavier.
Jean-Louis Quéreillahc
"Vingt dieux de vingt dieux, quelle misère tout de même.Une misère que c'est pas croyable.Un si beau garçon et courageux avec ça, vaillant comme pas un, un vrai gars de la terre.Ces histoires de filles, ça ne regardait que lui après tout, pas vrai ?Ah, c’est bien une histoire de cette putain de terre de maintenant !On turbine à mort comme c'est pas croyable pour gagner quatre sous, et puis on crève à cause de ces salles machines.Pour du progrès, ça, c’est du progrès."
Jacques Toulza
La fin du roman, il faisait un temps doux, presque chaud, une de ces merveilleuses journées d’automne comme seule la Gascogne peut en connaître.Mais tout de même, de votre livre, il se dégage une philosophie très nette.
Jean-Louis Quéreillahc
Oui, bien sûr.La philosophie, c’est que en sacrifiant toute la machine, le paysan a joué à l’apprenti sorcier et que ce qui gagne, finalement, c’est l’éternel équilibre de la nature.
(Musique)
Jacques Toulza
Quel sera votre prochain bouquin ?
Jean-Louis Quéreillahc
Le Moulin des rêves.
Jacques Toulza
Qu’est-ce que c’est ?
Jean-Louis Quéreillahc
Une suite de La Moiss-batt , mais aussi un retour aux sources.
(Musique)
Jacques Toulza
Merci.Mais pour lire tous ces livres des écrivains-paysans, il me faut un emploi bucolique.Qu’est-ce que vous avez à me proposer ?
Monsieur Buroc
Deux ou trois vaches à garder.
Jacques Toulza
Pas plus, hein ?
Monsieur Buroc
Non, non.Pas plus, pas plus.
(Musique)
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