Gastronomie dans le Gers

Gastronomie dans le Gers

Par Marie-Ange Lasmènes, EthnologuePublication : 01 sept. 2022, Mis à jour : 23 nov. 2022

# Présentation

On prête volontiers un « art de vivre » aux tablées gasconnes réputées pour leur abondance et leur bonne humeur. Malgré des allures parfois gargantuesques, en Gascogne, manger n’a pas vocation qu’à se remplir la panse. Manger, c’est aussi un rituel : on se retrouve, on partage, on se dispute parfois, on rit et on chante les jours de fêtes. La saveur de ces repas ne serait-elle pas aussi l’aboutissement d’un long travail préalable ? Car il faut produire son alimentation, bien qu’aujourd’hui on l’achète plutôt, puis cuisiner. Deux processus qui nécessitent savoirs et savoir-faire en accord parfait avec son terroir pour en garantir la réussite.

Il y a bien sûr une histoire de la cuisine gersoise, mais paradoxalement à sa renommée, on ne retrouve que peu d’écrits d’historiens à l’échelle départementale. Un travail de synthèse reste à faire. C’est que la gastronomie n’a pas toujours été reconnue comme un patrimoine mondial de l’Humanité. Doit-on d’ailleurs parler ici de « gastronomie » ou de « cuisine » ? Car si aujourd’hui on parle de « gastronomie gasconne », dans les restaurants des plus grandes métropoles, la cuisine gersoise – et plus largement du Sud-Ouest – est en premier lieu une cuisine paysanne et familiale. Mais comment, de ces modestes origines, a-t-elle donc réussi à faire le tour du monde ? Certainement pour la qualité de ses produits mais aussi de ses ambassadeurs.

# Une cuisine d’origine paysanne et des produits de terroirs de grande qualité

Riche en viande – du cochon, des volailles, du gibier, rôtis, grillés ou en sauce mais aussi les fameuses oies et canards – l’alimentation dite « traditionnelle », bien qu’ayant bien sûr évolué au fil des siècles, est en cohérence avec la structure de production des fermes et ce que le système agricole a pu produire avant que le phénomène de spécialisation ne contraigne les exploitations à se concentrer sur un voire deux types de production. Si aujourd’hui les paysages du Gers dévoilent une agriculture céréalière et viticole importante, jusqu’il y a quelques décennies, la culture des champs était partagée entre polyculture et élevage. Ainsi, les pentes et les bas fonds, impropres à la semence et à la plantation de vigne, étaient-ils réservés au pâturage de bovins. La ferme répartissait alors ses revenus selon la trilogie assez classique et néanmoins adaptée au terrain et aux sols : céréales, vigne, élevage. Elle tirait également partie de la basse-cour pour sa consommation courante mais aussi pour commercialiser les volailles, notamment les oies dont la réputation s’est forgée depuis le Moyen Âge. 

Grâce à un terroir fertile comparable aux départements limitrophes et plus généralement au Sud-Ouest, les structures agraires étaient alors autonomes. Dans un territoire enclavé, aux routes difficiles à pratiquer avant l’arrivée de l’automobile, la paysannerie gersoise se tourne vers les Pyrénées comme débouché commercial. Ainsi, foires et marchés sont les rendez-vous des producteurs et des négociants. Pour rejoindre la façade Atlantique et les ports de Bayonne et de Bordeaux, c’est par le réseau fluvial que le commerce se structure.

Le recours à des méthodes de conservation en faisant confire la viande d’oie ou de canard dans sa propre graisse ou par salaison pour le porc rend possible le transport de marchandises et rompt aussi la saisonnalité des productions en assurant à la famille un apport en viande tout au long de l’année. 

Qu’il s’agisse de l’élevage ou de la transformation de la viande d’oie et de canard, l’ensemble de la chaîne opératoire nécessite des savoir-faire spécifiques : techniques de gavage, de découpe, de transformation, de cuisson et de mise en conserve. Avant leur industrialisation à partir des années cinquante, ces techniques sont employées dans chaque ferme et généralement réservées aux femmes. 

# Un rayonnement de la cuisine gasconne à partir des années cinquante

Deux phénomènes apparaissent dans les années cinquante et participent au passage d’une cuisine familiale à un rayonnement beaucoup plus important de la cuisine gersoise. Il y a d’abord la contribution de la famille Dubarry, originaire de Gimont, qui lance la commercialisation de la conserverie à grande échelle alors que l’alimentation et ses réseaux de distribution s’industrialisent. Au modèle de commercialisation du gras en vente directe par le producteur lors des foires et marchés, bien qu’il persiste encore aujourd’hui, s’adjoignent désormais des réseaux de boutiques ; la vente par correspondance est à ses débuts. Ceci suppose alors une transformation, un conditionnement et une distribution. Foies gras mais aussi recettes « maison » sont expédiées et leur réputation s’accentue. C’est également dans cette phase d’industrialisation de l’alimentation que la mécanisation du gavage entre en jeu. Ainsi, le modèle de ferme paysanne se transforme progressivement vers celui d' « exploitation ».

Parallèlement, dans les mêmes années, un courant de restauration étoilée s’implante dans le Gers. André Daguin, originaire d’Auch et propriétaire de l’Hôtel de France, rentre de Paris où il a fait son apprentissage. Il revisite la cuisine régionale, « invente » le magret et fait la promotion des produits de terroir gascons grâce à ses recettes originales et à ses deux étoiles au guide Michelin. Non loin, à Plaisance-du-Gers, Maurice Coscuella, après avoir fréquenté Paul Bocuse et d’autres grands chefs installe, en 1957, son restaurant le Ripa Alta qui devient un des hauts-lieux de la gastronomie gasconne également gratifié de deux étoiles. Au village de Luppé-Violles, le restaurant familial du Relais de l’Armagnac devient l’une des meilleures tables de la région grâce à Roger Duffour, chef étoilé lui aussi.

En 1962, à eux trois, ils fondent la Ronde des Mousquetaires pour promouvoir la cuisine de leur région, la qualité de son terroir et, au-delà, toutes les richesses de la Gascogne. Ils deviennent les ambassadeurs de la gastronomie gersoise, des vins régionaux et de l’armagnac. 

Ils l’exportent en Allemagne, en Suisse, en Grande-Bretagne, aux États-Unis et font le tour du monde avec leurs recettes.

À cette confrérie de chefs, adhèrent d’autres grands noms : Louis Maigné de l’Hôtel du Midi à Samatan, René Sandrini et Jean-Louis Palladin de la Table des Cordeliers à Condom ou encore Bernard Ramouneda du Florida à Castéra-Verduzan. Puis, les générations se succèdent et la ronde accueille : Jean-Luc Arnaud (Le Bastard, Lectoure), Michel Arsuffi (Le Papillon, Montaut-les-Créneaux), Bernard Bach (Le Puits Saint-Jacques, Pujaudran), André Fagedet (Château de Larroque, Gimont), Philippe Piton (Le Rive-Droite, Villecomtal), Joseph Sampietro (La Bonne Auberge, Manciet) et Philippe Urraca, pâtissier, meilleur ouvrier de France, à Gimont.

Tous ont contribué à l’âge d’or de la gastronomie gersoise qu’ils ont fait rayonner. Ainsi, de la cuisine de « maman », la cuisine gasconne est mise à l’honneur sur les tables des plus grands restaurants. 

À partir de ces années-là et forts de cette dynamique locale, on cherche ainsi à innover autour de ces notions de terroir et de plaisirs gourmands. Ainsi, on invente des recettes de mets mais aussi de cocktails comme le Pousse-Rapière. 

Un petit peu plus tard, au début des années quatre-vingt, c’est le vin de Gascogne qui se renouvelle.

# Un terroir en relance

Les années cinquante sont également un tournant pour l’agriculture qui s’industrialise et cherche à augmenter son rendement. Par des croisements génétiques successifs et un primat donné à certaines races animales plus productives, la pratique de l’élevage a mis de côté certaines espèces locales. Certaines ont disparu, d’autres ont été menacées de l’être. Or, depuis la fin du XXe siècle, producteurs et conservatoires cherchent à valoriser les races anciennes abandonnées souvent à tort. Ceci afin de diversifier la palette gustative mais aussi génétique des élevages. La relance de races locales est alors un enjeu notamment pour la poule noire d’Astarac, le porc noir gascon, mais aussi la vache de Mirande ou encore la vache gasconne. Cette démarche est également en cours dans les secteurs du maraîchage et de la culture d’arbres fruitiers.

Ainsi peut-on remarquer l’engouement depuis quelques années voire décennies à retrouver une logique de production de terroir et à en apprécier les saveurs. Ces dynamiques privilégient en effet la qualité des aliments par les modes d’élevage extensif employés mais aussi par la recherche du goût. Cette quête de qualité est alors gratifiée aujourd’hui par la reconnaissance d’appellations d’origines contrôlées (AOC) et d’indications géographiques protégées (IGP) déjà obtenues ou en cours d’instruction par l’Institut national des appellations d’origines (INAO).

Ail de Lomagne, melon de Lectoure, oie de Masseube, moutarde de Bezolles, vins des côtes de Gascogne, de Saint-Mont ou de Madiran. Les produits sont ancrés dans leur territoire comme une marque de fabrique associée au lieu et au sol. Ainsi se cultive et se transmet la gourmandise, à proximité de son lieu de fabrication. 

# Conclusion

Foie gras, confits, magret, poule au pot, charcuteries, daubes, civets, grillades, soupes, garbure mais aussi croustade et merveilles… Une cuisine d’origine paysanne donc et qui en a gardé le goût, riche et grasse, modestement préparée par ses cuisinières. Une cuisine qui reste familiale et amicale, aussi généreuse que chaleureuse et qui a su faire le tour du monde grâce à ces ambassadeurs. « On mange bien chez vous ! », nous dit-on alors lorsque l’on s’exporte. Ainsi, le lien entre le Gers, la qualité et le goût est immédiatement fait.

# Bibliographie

  • Benjamin Cointre et O. Rozès, Le livre de l’agriculteur gascon, Imprimeurs-Editeurs d’Auch, Auch, 1922.
  • Corinne Marache et Philippe Meyzie. Voyage à travers le temps. L’oie du Sud-Ouest entre mémoire et histoire, XVIe-XXIe siècles. Annales de l’Académie Polonaise des Sciences, Centrum Upowszechnia-nia Nauki PAN ; Paris : Centre scientifique de l’Académie polonaise des sciences, 2016, 18, pp.207-224. hal-02264332
  • Joseph de Pesquidoux, Chez nous en Gascogne, Plon, 1981.
  • Mathilde Lamothe et Anne-Florence Bisson, La pelèra ou le tue-cochon, fiche d’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France, Ministère de la Culture, Morlanne, 2012.
  • Claude Lille Larroucau, Foie gras et développement territorial en Astarac : entre tradition et modernité, vers une reconquête de l’identité locale, mémoire de maîtrise, IUP Aménagement, Université de Pau et des Pays de l’Adour, 1997.
  • Zacharie Baqué ; Les eaux-de-vie d'Armagnac, Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 1, fascicule 3, 1930. pp. 351-355.
  • Gilbert Dalla Rosa et al., Armagnac-produit, Armagnac-Pays : ressources patrimoniales, identité culturelle et développement local, étude n° AO 89 MP 22, Ministère de la Culture, Mission du Patrimoine ethnologique, juin 1991.
  • Gustave Laurent, L’Armagnac et les pays du Gers, Annales de Géographie, t. 20, n°110, 1911. pp. 143-154.
  • HERGES, L’Armagnac, un produit, un pays, 1993, coll. « État des lieux », Travaux de l'Institut géographique de Reims, n° 85-86, 1994. Études algériennes, pp. 117-119.