L'inauguration de la mosquée de Lyon
Notice
Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, chargé des cultes, a inauguré ce vendredi 30 septembre, la mosquée de Lyon dont la salle de prière peut accueillir 2500 fidèles. L'Arabie Saoudite a assuré en grande partie son financement.
- Rhône-Alpes > Rhône > Lyon
Éclairage
L'inauguration de la grande mosquée de Lyon le 30 septembre 1994 en présence de Michel Noir (maire de Lyon), Charles Pasqua (ministre de l'Intérieur en charge des cultes), et d'ambassadeurs de pays musulmans (dont l'Arabie saoudite et l'Algérie) constitue un événement considérable pour l'histoire de l'islam français : elle est la seconde mosquée de grande dimension (24 000 m2 et 2600 places) ouverte en France, dix ans après celle de Mantes-la-Jolie (1981), inaugurant une série de constructions de mosquées dites cathédrales par opposition aux salles de prière de quartiers assimilées hâtivement par les médias à un islam des caves. Certes il existait bien depuis 1926 une autre grande mosquée à Paris mais sa fonction était moins de répondre à une demande cultuelle que de témoigner du respect de l'islam par une France à la tête d'un vaste empire colonial et pour récompenser les tirailleurs coloniaux de la Première Guerre mondiale. Pour arriver à cette inauguration qui suscite la fierté des musulmans lyonnais, il aura fallu quinze années de tergiversations et de contestations, ponctuées d'avancées et de blocages, d'engagements et de désengagements des responsables politiques, de manifestations de l'extrême droite qui tente de capitaliser les craintes des riverains, de conflits au sein des musulmans lyonnais, de batailles juridiques. L'idée d'une mosquée, a en effet été lancée en 1977 par une association de Français-musulmans, approuvée par l'archevêque de Lyon, le cardinal Renard, qui offre à titre provisoire une église devenue sans usage cultuel. Elle fait alors l'unanimité dans le monde politique. À droite, le président Giscard d'Estaing y voit un prolongement de sa politique d'arrêt de l'immigration et d'encouragement au regroupement familial. À gauche l'insistance est mise sur les droits des immigrés. Les uns et les autres approuvent une initiative propre à favoriser l'intégration des immigrés, en l'occurrence musulmans. Reprise par le maire de droite Louis Pradel, le projet se heurte à un climat qui se détériore rapidement. Après des émeutes dans la banlieue lyonnaise, les espoirs soulevés en 1983 par « la marche des beurs » sont effacés par la destruction d'une mosquée par le maire de Charvieu-Chavagnieu près de Lyon (1986), les premières affaires dites « de foulard » (1989, 1994), la montée des radicalismes et du terrorisme en France et hors de France (Guerre du Golfe, Algérie en 1991). Suspendu, mis entre parenthèses le temps des élections municipales de 1989, le projet est relancé à la fin de l'année dans une grande émission politique de la télévision par le nouveau maire RPR Michel Noir. Mais il faut encore trois années de conflits, attisés par le Front national qui n'hésite pas à manier le calembour douteux (Le livre noir de la mosquée) et d'arbitrages délicats (y compris pour définir la hauteur du minaret ramenée à 25 mètres), avant qu'il n'aboutisse.
La venue de Charles Pasqua, ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire de mars 1993 à 1995, homme politique censé incarner à droite l'ordre et la sécurité, traduit l'importance objective de l'inauguration et encore plus son importance subjective et symbolique. On est alors en régime de cohabitation avec un président socialiste (François Mitterrand) et un gouvernement de droite (Edouard Balladur). Mais le dossier sensible de l'islam ne sera pas exploité par les deux camps à l'occasion de l'inauguration, dans la crainte de servir les intérêts d'un Front national. Le ministre de l'Intérieur en charge des cultes, à travers un bureau central de son ministère, entend exprimer la position de la République, par delà les clivages politiques. Le consensus proposé est résumé en quelques formules incisives : « L'islam est aujourd'hui une réalité française parce que c'est, pour une grande part, une religion de Français. Aussi ne saurait-il plus seulement y avoir un islam en France. Il doit y avoir un islam de France. ».
Si le premier temps de l'affirmation se contente d'enregistrer une réalité, l'existence de l'islam en France avec l'installation définitive de familles musulmanes dont les enfants sont français, le second, est appelé à alimenter d'interminables débats. Que signifie islam de France ? Pour beaucoup il s'agit d'obtenir que l'islam soit financé par les musulmans de France, alors que la mosquée de Lyon l'a surtout été par l'Arabie saoudite, que ses imams soient français et formés en France, ce qui n'est pas le cas du mufti (ou imam) algérien de la mosquée de Lyon, et que les prônes soient prononcés en français. Pour d'autres, l'important est que les musulmans manifestent une adhésion sans équivoque aux lois de la République et aux principes de la laïcité. Autant d'objectifs qu'il est difficile d'atteindre à court terme et d'imposer par la contrainte comme à l'époque de l'islam colonial. Charles Pasqua entend donner l'image de la fermeté, mais se garde d'être trop précis et sa seule réponse improvisée, alors qu'il sort de la mosquée, résume cette retenue peu habituelle : « Je traite avec des gens qui sont représentatifs. ». Dans l'immédiat le ministre pense sans doute à des musulmans comme Kamel Kabtane, issu d'une association de harkis, secrétaire général de l'association qui a en charge la mosquée, ou l'imam choisi pour Lyon, Abdelhamid Chirane, 57 ans, universitaire et théologien respecté, qui soutiendra en 1984 à Paris 5 une thèse sur « Les formes et les forces créatrices de l'Islam contemporain en Algérie, 1900-1954 ». Mais la réponse laisse ouverte la question à l'échelle nationale. Ce sera désormais un dossier prioritaire des ministres de l'Intérieur, de gauche (Chevènement) ou de droite (Sarkozy).
Note :mufti ou imam ?
L'usage hésite dans la presse entre imam et mufti. Le premier qualificatif est attribué aux musulmans dont la communauté reconnaît le savoir et la dignité, mais aussi par extension à celui qui dirige la prière dans la mosquée . Mufti implique une compétence reconnue dans l'interprétation du droit et la capacité à donner des avis juridiques (fatwa).
Bibliographie :
- Alain Battegay, « Mosquée de Lyon : la construction d'un symbole », Hommes et Migrations, avril 1995, n° 1186.