La grève à l'entreprise Neyrpic
Notice
L'entreprise Neyrpic est en grève. Les travailleurs ont choisi des actions pour leurs revendications et ont voté la grève illimitée et l'usine occupée. Les syndicats des cadres ont appelé leurs adhérents à se joindre aux mouvements de grève.
- Rhône-Alpes > Isère > Grenoble
Éclairage
L'histoire du conflit chez Neyrpic est exemplaire tant pour la précocité du processus de restructuration industrielle dans une entreprise à haute technicité, que pour la tentative antérieure de transformer le mode de gestion et de commandement, par de nouvelles relations sociales fondées sur la négociation et les conventions collectives et non sur le conflit. Établissement pilote de la région grenobloise, vitrine de la ville dans le monde entier avec plusieurs oscars à l'exportation, le groupe Neyrpic était au début des années 1960 un modèle dans l'industrie pour les relations sociales. La direction familiale, proche de l'Action catholique, avait signé deux accords d'entreprises sur les rémunérations, sur l'abaissement de l'âge de la retraite, la réduction progressive de la durée du travail, une extension des congés payés, les plus anciens ouvriers de Neyrpic étant payés au mois. Enfin une Commission de l'Accord avait été créée pour éviter les conflits et la section syndicale d'entreprise reconnue. Mais des difficultés financières en 1962 (dues à la transformation des marchés à l'export après les indépendances africaines) conduisent à un changement de direction, prélude à une restructuration technique et financière accompagnée d'une nouvelle politique qui bouleverse l'équilibre social. La nouveauté du conflit est l'unité syndicale, mais aussi l'implication des ingénieurs et d'un comité universitaire de solidarité et de soutien. De septembre 1963 à juin 1964, un « dégraissage » (terme utilisé par le nouveau directeur) des effectifs est mis en œuvre avec recours à la sous-traitance et à la fabrication dans les pays où l'entreprise exporte au coût de main d'oeuvre plus bas. On passe de 4000 à 2500 salariés. Le modernisme réformiste s'était heurté à des blocages certains, au sein de l'État et du CNPF par peur de la contagion. Face à l'autoritarisme patronal, les salariés ont réagi avec un répertoire d'actions habituel (grèves, débrayages etc.) ; la nouveauté c'est la participation des cadres et des universitaires à ce conflit. À tous les niveaux, l'autorité absolue du chef d'entreprise n'est plus supportée.
Cet historique des relations sociales dans l'entreprise explique la précocité et la spécificité de la grève chez Neyrpic évoquée dans le reportage télévisé du 21 mai 1968 : la grève illimitée a été déclarée par les syndicats unis et l'usine immédiatement occupée, y compris par les ingénieurs et cadres, catégories sociales peu habituées à ce mode d'action. À côté des revendications syndicales classiques - augmentation des salaires et abrogation des ordonnances adoptées par le gouvernement Pompidou au cours de l'été 1967 sur la sécurité sociale (modification de la gestion des caisses et baisse des remboursements) – la participation active des ingénieurs et des cadres porte sur des revendications plus qualitatives et structurelles énoncées doctement à l'écran : révision des classifications et formation permanente. Les mouvements sociaux antérieurs du milieu des années 1960 ont sans doute préparé l'unité d'action immédiate entre ouvriers et cadres dans la grève générale de mai-juin 1968.