Les mutineries dans les prisons de Lyon
Notice
Depuis le mois de juillet les mutineries se succèdent dans les prisons de la région. Une réforme sera mise en place et le président de la République , monsieur Giscard d'Estaing, a rendu visite à certaines d'entre-elles.
- Rhône-Alpes > Rhône > Lyon
Éclairage
À partir des années 1970, la France connaît une forte augmentation de sa population carcérale. Les établissements pénitentiaires surpeuplés et, bien souvent, insalubres sont en contradiction avec les recommandations faites à la Libération par la commission de réforme des institutions pénitentiaires qui stipulaient que « La peine privative de liberté a pour but essentiel l'amendement et le reclassement social du prisonnier ». Par ailleurs, dans le droit fil du mouvement de 1968, des intellectuels se mobilisent comme Michel Foucault dans le Groupe d'Information sur les prisons (GIP) créé en février 1971. La situation devient critique au cours de l'année 1974 d'autant plus que les syndicats des gardiens de prison organisent une série de grèves. Les tensions dans les prisons débouchent sur des mutineries qui entraînent des destructions matérielles importantes et le décès de plusieurs détenus. La Chancellerie dénombre pendant le seul été 1974, 89 mouvements de révoltes collectives et sept morts chez les mutins. Dans la région Rhône-Alpes, à la prison de la Talaudière (agglomération de Saint-Étienne), les détenus refusent le 29 juillet de regagner leurs cellules après la promenade et occupent le toit de la prison ; un détenu est tué.
C'est donc à une situation tendue que doit faire face le garde des Sceaux du gouvernement de Jacques Chirac mis en place après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing à la présidence de la République, le 27 mai 1974. Comme la situation se détériore depuis le début de l'année, la composition du gouvernement a été étoffée et aux côtés du garde des sceaux, Jean Lecanuet, se trouve une secrétaire d'État chargée de la condition pénitentiaire, Hélène Dorlhac. Le gouvernement doit prendre rapidement des décisions pour essayer de mettre un terme à une situation explosive. Lors du conseil de ministres du 31 juillet, alors que les mouvements de révolte se généralisent, il est décidé d'attendre le retour au calme avant de statuer sur les mesures préconisées par le Garde des sceaux et la secrétaire d'Etat.
Pour autant la politique gouvernementale paraît marquée par de très nombreuses hésitations que Le Monde (cité par Loïc Delbaere) a relevé pendant toute la crise. Le 23 juillet déjà, Jean Lecanuet déclarait au quotidien : « Il faut tenir à l'opinion le double langage de l'ordre et des réformes ». Et le quotidien souligne que la politique répressive menée par le ministre de l'Intérieur Michel Poniatowski prend le pas sur la politique préconisée par Jean Lecanuet et il considère même que l'ajournement de la prise de décisions lors du Conseil des ministres du 31 juillet est un camouflet pour le ministre de la Justice qui apparaît « comme le vassal de M. Michel Poniatowski ».
Ces propositions sont finalement approuvées par le Conseil des ministres du 7 août : elles ont pour objectif d'humaniser la prison par une amélioration et une libéralisation des conditions de détention, elles préparent aussi la réforme pénitentiaire de 1975 en répondant favorablement à certaines revendications des détenus et des gardiens de prison. Et l'aspect le plus spectaculaire de cette crise des prisons fortement médiatisée est la visite surprise que le président de la République fait aux prisons de Lyon le samedi 10 août 1974.
La difficulté de satisfaire la totalité des parties souligne les hésitations du pouvoir qui demande à la fois aux gardiens d'assurer leur tâche, de tirer s'il le faut sur les détenus, alors que le président engage « la conversation avec les détenus », serrant la main de quelques uns et convoquant la presse lorsqu'il le fait. Pour gérer la complexité du problème carcéral, le pouvoir n'évite pas l'ambiguïté.
Cette complexité est sensible dans cette rétrospective du mois d'août que la télévision régionale propose le 2 septembre 1974. Elle renvoie aussi à la volonté du président d'établir « une ère nouvelle dans la politique française » marquée par la volonté de décrisper les débats. Les Lyonnais en auront une autre démonstration quelques jours après la diffusion de cette rétrospective avec la tenue à Lyon d'un Conseil des ministres décentralisé, le 11 septembre. La communication est désormais partie intégrante de la politique et Valéry Giscard d'Estaing l'utilise de manière nouvelle. Il faut d'ailleurs noter que celui qui avait été, dans une campagne présidentielle, l'un des pionniers de ces méthodes considérées comme forgées aux Etats-Unis n'est autre, en 1965, que son garde des sceaux du moment, Jean Lecanuet, qui avait d'ailleurs été l'un des organisateurs de sa campagne victorieuse après la mort de Georges Pompidou.
Bibliographie :
- Christian Delporte, La France dans les yeux, une histoire de la communication politique de 1930 à nos jours, Paris, Flammarion, 2007.
- Loïc Delbaere, « Le système pénitentiaire à travers les luttes des détenus de 1970 à 1987 », Maîtrise d'histoire, Université de Haute-Bretagne, UFR de sciences sociales, 2002 (disponible sur le site précédent).
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