Le dernier gantier de Grenoble
Notice
Si la ganterie était un marché florissant au début du XXème siècle, elle a connu un revers de fortune. Salvatore Notturno est l'un des rares gantiers à continuer d'exercer cette activité. Ces gants sont de très grande qualité et faits sur mesure.
- Rhône-Alpes > Isère > Grenoble
Éclairage
Si la ganterie grenobloise est apparue sous le règne du dauphin Guigues VIII que confirme une charte de 1343, c'est au XIXe siècle qu'elle connaît un formidable essor, faisant vivre une famille sur deux. Avant cela, au XVIIe, Mathieu Robert avait obtenu le titre suprême de « gantier parfumeur du roi », ce qui avait fait le succès du gant de Grenoble dans toutes les cours d'Europe. Un gant long, en peau de chevreau, finement brodé, que l'on dit d'une « qualité inégalable ». Il faut dire que les montagnes du Dauphiné étaient propices à l'élevage de chevreaux – la matière première, particulièrement souple – et qu'elles fournissaient une main-d'œuvre inoccupée pendant les longs mois d'hiver.
Un siècle plus tard, la ganterie est déjà le premier employeur de la capitale des Alpes.
Dans les années 1830, Xavier Jouvin, cadet d'une dynastie de maîtres gantiers et lui-même apprenti gantier, révolutionne la profession : il met au point un calibre, qui introduit la notion de pointure jusqu'alors inconnue (il en répertorie 32), et brevète un ingénieux emporte-pièce, la « main de fer », qui permet de couper 6 paires de gants à la fois.
Ses brevets tombent vite dans le domaine public : c'est l'essor de l'industrie gantière. Les ateliers fleurissent, on comptera jusqu'à 180 ganteries à Grenoble. C'est le moment où les grands-parents de Salvatore Notturno dont le reportage télévisé dresse le portrait, arrivent de leur Italie natale. Ils sont originaires de Naples, autre grand centre européen réputé pour la fabrication des gants qui connaît alors une crise profonde, et, bien sûr, ils sont gantiers.
À la fin du XIXe siècle, Édouard Rey – gendre de Xavier Jouvin –, préside aux destinées de la ville : c'est un maire bâtisseur qui fait tracer de nouvelles voies, construire des groupes scolaires, installer le tout-à-l'égout et l'éclairage électrique. La superficie de la ville est multipliée par quatre. Les grandes familles de gantiers font construire, notamment dans le quartier de l'Aigle, de vastes manufactures où les nombreuses étapes de réalisation (préparation des peaux, teinte, coupe, couture, broderie...) sont concentrées. C'est l'âge d'or des maisons gantières, les Jouvin, Perrin, Terray et autres Reynier, qui destinent la plupart de leur production à l'export.
Au XXe siècle, la ganterie traverse de nombreuses crises : Première Guerre mondiale, crise de 1929, concurrence étrangère. Les changements de mode incessants (et l'apparition de la mini-jupe, comme le confie Salvatore Notturno avec un brin de nostalgie !) sonnent le glas du gant grenoblois au milieu des années 1960.
En 1995, avec son frère et quelques ouvrières - tous à la veille de prendre leur retraite, Salvatore Notturno fabrique encore 10 000 paires par an dans son petit atelier du centre de Grenoble. Les opérations sont toujours artisanales (travail de la peau, coupe, couture à la machine). La clientèle est principalement étrangère (suisse, belge, américaine), et la ganterie ne brille sous les feux des projecteurs que lorsque qu'elle travaille pour le cinéma et le théâtre.
Aujourd'hui, l'atelier de Jean Strazzeri, autre maître gantier grenoblois et Meilleur Ouvrier de France, vient aussi de fermer ses portes. Pour la capitale des Alpes, la ganterie est un lointain souvenir, à peine perceptible dans le patrimoine bâti. Seul un musée du Gant tente de conserver la mémoire de cette tradition séculaire.