Raz-de-marée du Rassemblement National aux élections législatives dans le Var

Au soir du second tour des élections législatives de juin 2022, sept des huit circonscriptions du département du Var sont remportées par un candidat du parti d’extrême droite Rassemblement National (RN) dirigé par Marine Le Pen, alors que cette formation politique n’avait aucun député sortant. Seule l’une des circonscriptions toulonnaises a voté majoritairement pour Yannick Chenevard, candidat Ensemble pour la République appartenant à la majorité présidentielle. Le président de la République Emmanuel Macron a en effet été réélu, quelques semaines auparavant, par un second quinquennat en battant largement Marine Le Pen au second tour. Mais cette dernière est arrivée en tête en dans la région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur aux deux tours de ces élections présidentielles. Ce scrutin législatif peut donc être considéré comme une sorte de troisième tour au cours duquel les électeurs ont décidé de ne pas laisser tous les pouvoirs au camp présidentiel pour cinq ans supplémentaires. Le parti macroniste, avec 245 députés élus sur l’ensemble de la France, ne dispose ainsi que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Outre l’élection inédite de 89 députés RN, dont près d’un sur dix dans le Var, ce scrutin a aussi permis l’élection de 131 représentants de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) regroupant une large part des forces de gauche : France insoumise (LFI), écologistes, Parti communiste français (PCF) et Parti socialiste (PS). 

Ce raz-de-marée électoral du parti lepéniste dans le Var rappelle le coup de tonnerre des élections municipales de 1995, qui avaient vu le Front National (FN) remporter sa première ville de plus de 100 000 habitants, avec l’accession à la mairie de Toulon de son candidat Jean-Marie Le Chevallier. Lors du même scrutin, le FN enregistre également, à l’échelle régionale, deux autres victoires respectivement à Marignane dans les Bouches-du-Rhône et à Orange dans le Vaucluse. La région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur est en effet depuis le milieu des années 1980 un territoire offrant une part croissante de ses suffrages à l’extrême droite, qui en a fait un de ses plus importants bastions électoraux en siphonnant l’électorat de la droite républicaine, mais aussi en attirant vers elle un électorat protestataire votant auparavant à gauche. L’électorat RN du Sud est composé en partie de professions intermédiaires et indépendantes. Or cette classe moyenne inférieure est particulièrement sensible à la dénonciation par le parti lepéniste des dérives du « fiscalisme » et de l’« assistanat » dont bénéficieraient les plus précaires via la perception de généreuses aides sociales auxquelles elle n’a pas droit. Le sentiment de déclassement social constitue un ressort très important du vote RN, et s’y ajoute un sentiment d’éloignement des services publics et des autres missions régaliennes de l’État. Le facteur identitaire joue également un rôle non négligeable, car la dénonciation par le RN d’une immigration trop massive et incontrôlée séduit un large électorat. Focalisé sur cette posture identitaire, le candidat d’extrême droite dirigeant le parti Reconquête !, Éric Zemmour, a d’ailleurs réalisé son second meilleur score départemental dans le Var lors des élections présidentielles de 2022 et totalisé 11,71% des votes dans la région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur, soit plus de quatre points de plus que son score au niveau national. La dédiabolisation menée par Marine Le Pen, dont témoigne le changement de nom du parti, a aussi porté ses fruits, puisqu’il n’y a plus de catégories sociales totalement hermétiques au vote pour l’extrême droite. La part des femmes, cohorte longtemps plus réfractaire à un tel vote, a par ailleurs significativement augmenté ces dernières années. L’ancrage local du parti a aussi contribué à le crédibiliser aux yeux d’un plus vaste électorat. Julie Lechanteux, élue députée de la 5e circonscription du Var, a ainsi commencé sa carrière politique en devenant l’adjointe de David Rachline maire RN de Fréjus depuis 2014. Elle a ensuite été conseillère départementale du canton de Fréjus avant d’être élue députée européenne. Une large part des nouveaux députés RN ont ainsi été conseillers départementaux et surtout conseillers régionaux, car ce scrutin de liste à la proportionnelle est traditionnellement très favorable au parti lepéniste. Le RN a par exemple obtenu plus d’une trentaine d’élus régionaux en 2021. Lors de ces législatives 2022, sur les 42 circonscriptions de Provence Alpes Côte d’Azur, 20 ont vu la victoire d’un candidat RN, avec, outre les sept députés varois, six dans les Bouches-du-Rhône, trois dans le Vaucluse et les Alpes-Maritimes et même un dans les Alpes-de-Haute-Provence. 

Bibliographie

• Christèle Marchand-Lagier, Le vote FN : Pour une sociologie localisée des électorats frontistes, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2017.
• Luc Rouban, La vraie victoire du RN, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2022.