Élections législatives et référendum du 21 octobre 1945 : scènes de bureau de vote à Marseille

Ce reportage muet tourné à Marseille est consacré au scrutin du 21 octobre 1945, qui marque la première élection nationale depuis la fin de la guerre. Ce jour-là les Français votent pour élire leurs députés, mais aussi pour se prononcer, par referendum, sur le fait que cette assemblée soit chargée de donner à la France une nouvelle constitution. Celle de la IIIe République a été, de fait, suspendue par le vote par l’Assemblée nationale des pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Le général de Gaulle, à la tête du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), souhaite aussi que les Français limitent les prérogatives de l’assemblée constituante, car l’homme du 18 juin redoute un large succès électoral des communistes, qui ont acquis une large aura dans la Résistance à l’occupant nazi.

La réponse des électeurs est un double oui, comme le demande la large banderole, visible dans le reportage, surmontée d’un portrait du Général et arborant la mention « Honneur au premier résistant de France Votez pour la République ». Sur la même banderole, et en plus gros caractères on peut aussi lire « Votez pour Gaston Defferre Parti socialiste SFIO ». Les premiers plans du reportage montre la jeune tête de liste socialiste de 35 ans se rendant souriant dans un bureau de vote. Cet ancien résistant à l’ascension fulgurante, est devenu patron de presse à la Libération, en fondant le quotidien régional Le Provençal, puis maire de Marseille. Il brigue à présent, avec succès, le mandat de député des Bouches-du-Rhône. Au niveau national, la gauche (SFIO et PCF) rassemble près de la moitié des suffrages à la faveur, comme attendu, d’une forte progression des communistes, qui deviennent la première force politique du pays. Les troisièmes gagnants sont les gaullistes du Mouvement républicain populaire (MRP). 

Les Français n’ayant pas voté au niveau national depuis 1936, soit près d’une décennie, ces élections donnent logiquement naissance à un nouveau paysage politique en bouleversant les anciens équilibres. Trois partis dominent désormais la vie politique et doivent s’entendre pour reconstruire un pays exsangue. La caméra montre d’ailleurs à plusieurs reprises les destructions endurées par la ville de Marseille durant le conflit. Ils ne partent cependant pas d’une page blanche, car ils ont élaboré ensemble, dans la clandestinité, la feuille de route commune que constitue le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), dont certaines dispositions ont déjà été mises en œuvre par le GPRF. 

Ces élections sont également historiques à un autre titre, que rappelle la caméra en se focalisant sur plusieurs femmes sortant de l’isoloir ou mettant leur bulletin de vote dans l’urne. Lors de ce scrutin, les Françaises votent en effet pour la première fois en France lors d’une élection nationale. Le suffrage universel masculin date de 1848, mais ce droit n’a pas été étendu aux femmes au lendemain de la Première Guerre mondiale, malgré leur large contribution à l’effort de guerre. Il a fallu attendre une ordonnance du GPRF du 21 avril 1944 pour que les Françaises obtiennent enfin le droit de vote et celui d’éligibilité, qu’elles ont exercés pour la première fois au niveau local lors des élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945, soit près d’un siècle après les hommes. Dans le monde le premier pays à avoir accordé le droit de vote aux femmes est le Nouvelle-Zélande en 1893 (et d’éligibilité en 1919) soit plus d’un demi-siècle avant la France. En revanche, le film ne montre pas de militaires en train d’accomplir leur devoir électoral et pourtant les membres de « la grande muette » retrouvent, à l’occasion de ces élections d’après-guerre, leur droit de vote, perdu en 1872. Quelques mois plus tôt l’ordonnance du 17 août 1945 a en effet statué que « les militaires des trois armées sont électeurs dans les mêmes conditions que les autres citoyens », même si en cas d’élection tout militaire doit se placer en position de détachement jusqu’à la fin de son mandat.

Bibliographie

• Christine Bard, Les femmes dans la société française du XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2002. 
• Anne-Sarah Bouglé Moalic, La marche des citoyennes : Le droit de vote des femmes en France (1870-1944), Paris, Éditions du Cerf, 2021.  
• Philippe Buton, Jean-Marie Guillon, Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994.