Renaissance africaine

septembre 1958
18m 13s
Réf. 01048

Éclairage

Ce petit film en couleurs de 1959 - dont la paternité n'est pas précisément renseignée dans les archives de l'ECPAD - est à bien des égards emblématique de la production d'images de la fin de la colonisation française. Lendemains qui chantent, perspectives modernisatrices, bienfaits de l'influence de la métropole sont autant de motifs qui irriguent, dans les années 1950, le discours sur l'Afrique subsaharienne. C'est ainsi que certains organismes spécialisés dans la production de films et de photographies ont assidûment documenté la phase dite « modernisatrice » d'après 1945. Dès 1937, le Service intercolonial d'information et de documentation et le Commissariat permanent pour la propagande coloniale et les expositions sont chargés de centraliser l'information en matière d'information, de publicité et de documentation générale sur les colonies; après 1945, c'est à l'Agence économique de la France d'outre-mer qu'incombe une partie de ce travail, tandis qu'est instauré un Service d'information et de documentation qui a pour objet de promouvoir et de coordonner les initiatives susceptibles d'assurer une meilleure connaissance des territoires relevant du ministère de la France d'outre-mer. Il n'est pas possible d'affirmer ici que les images proposées sont produites par l'un de ces organismes publics, mais l'on peut néanmoins en émettre l'hypothèse.

Durant la décennie 1950, diverses mutations sont intervenues dans les relations économiques entre la France et ses territoires d'outre-mer. Des capitaux publics métropolitains sont désormais investis dans l'empire, ce qui met fin au vieux principe d'autonomie budgétaire des colonies. On assiste au lancement d'une tardive politique d'équipement, avec la mise en place de plans de développement sous l'égide de deux grands bailleurs de fonds publics : le FIDES (Fonds d'Investissement pour le développement économique et social) et la CCFOM (Caisse Centrale de la France d'outre-mer).

En 1959, à l'heure des indépendances, un discours résolument optimiste prévaut donc. Essor agricole, richesses minières sont autant de promesses d'échanges économiques à venir entre la France et les jeunes États subsahariens. Cette vision contraste avec le constat que posent déjà certains chercheurs : pauvreté endémique, sous-équipement structurel, début de la spirale de l'endettement sont des réalités bien absentes de ce bilan de 1959. Trois ans plus tard, avec un ouvrage au titre retentissant – L'Afrique Noire est mal partie –, René Dumont tiendra un tout autre discours sur la santé économique et sociale de l'Afrique ex-française.

Sophie Dulucq

Transcription

(Musique)
Journaliste
Pour la plupart d’entre vous, l’Afrique noire ne fut jusqu’à ces temps derniers qu’une rencontre fortuite, une conjoncture pittoresque.
(Musique)
Journaliste
Notre ignorance grave, notre intérêt léger se rassasiaient d’images curieuses, d’images banalement curieuses.
(Musique)
Journaliste
Ces images n’étaient pas fausses, elles n’étaient que la sélection d’un tourisme enrichi dans la verroterie de la couleur locale ; et elles exprimaient l’Afrique aussi heureusement que pour ce tourisme, une enseigne de cabaret, exprime Paris.
(Musique)
Journaliste
Depuis quelques années cependant, toutes ces cartes postales, souvenirs précieux de voyages jamais faits, sont récusées, reniées par une actualité brutale. Tous les clichés s’en trouvent brouillés, le contraste est tel que beaucoup croient l’expliquer en parlant d’une façade fragile sur un fond inchangé. Erreur profonde, car la seule vérité de l’Afrique d’aujourd’hui, c’est ce contraste lui-même et son acceptation totale.
(Musique)
Journaliste
Ce contraste traduit un des événements les plus grands de notre époque, le renouveau d’un monde.
(Musique)
Journaliste
Et tout récemment avec ces images-ci, scène d’un rite transplanté, ce renouveau est peut-être devenu l’aventure la plus rare de toute l’histoire humaine.
(Silence)
Journaliste
Essayons donc de prendre la mesure vraie de choses qui sont grandes La seule Afrique française n’est pas une région, un pays, c’est tout un monde ; plus vaste que l’Europe et peuplée de races plus nombreuses, plus diverses que ne furent jamais les races européennes.
(Musique)
Journaliste
Et qui donc aujourd’hui pourrait dire ce qu’était voici un siècle cette Afrique et son immense hostilité arpentée au seul pas de l’homme ?
(Musique)
Journaliste
Les sahels mesuraient alors inexorablement des mois entiers de marches, des mois d’horizon monotone, d’horizon brûlant hanté d’infimes groupes humains.
(Musique)
Journaliste
Au-delà de fleuve, fait de sable et d’eau, la savane reprenait cette monotonie des horizons sans fin et des cités sans force.
(Musique)
Journaliste
Et là vivaient des peuples fixés au premier geste du devenir humain, car seules quelques races déchues connaissaient un état primitif. Toutes les autres avaient tout reçu ou créé les techniques qui ouvrent d’ordinaire ces grands actes de l’évolution, les empires puissants, les civilisations rayonnantes. Mais ce monde était trop vaste pour les empires, ce climat était trop accablant, et un crime vint tout consommer. La traite des noires en deux siècles brisa leur humanité. Il ne resta plus qu’un grand émiettement de races et de langues perdues dans la brousse, et les gestes immuables.
(Musique)
Journaliste
Au-delà d’autres fleuves larges comme des mers, une autre monotonie s’installait, la forêt, mousse géante, lichen fantastique, où le termite humain ne pouvait pénétrer.
(Musique)
Journaliste
Ainsi, toute l’Afrique était un continent farouche replié sur l’homme vaincu. Sa végétation folle ignorait même alors ses feuillages édéniques venus du Pacifique adoucir ses rivages. Gardée par les déserts, gardée par les forêts, l’Afrique se gardait encore par des côtes redoutables. Les forces forgées par l’homme sous les cieux plus cléments et qui passaient d’un continent à l’autre transformant le monde, ces forces devant ce continent-là hésitaient.
(Musique)
Journaliste
Pourtant, près des traces d’animaux géants, d’autres traces apparurent, et une énergie nouvelle relança la lutte abandonnée contre la nature.
(Musique)
Journaliste
Il n’y avait ni foudre, ni vent, ni vieillesse. Et cependant, les géants vacillaient un à un.
(Musique)
Journaliste
Puis, ils étaient évacués, concentrés sur les rives, emportés.
(Musique)
Journaliste
Cette traite rappelait l’autre traite, celle qui avait jadis décimé les hommes, ruiné le monde africain. Mais cette fois pour ce monde, quelque chose commençait.
(Musique)
Journaliste
Enjambant les troncs morts, l’assaut frêle des arbres utiles s’organisa en ces clairs-obscurs raisonnables où les oiseaux chantaient mieux.
(Musique)
Journaliste
Et sur les lieux mêmes du combat, les instituts agricoles modelèrent des espèces nouvelles.
(Musique)
Journaliste
Au pied des jeunes pousses, les plaques où s’inscrivaient les codes agronomiques semblaient commémorer aussi les géants abandonnés sur place.
(Musique)
Journaliste
Ainsi, à chaque cueillette, les fruits sélectionnés paraissaient offerts aux mannes des forêts abattues condamnées pour floraison stérile.
(Musique)
Journaliste
Eh bien d’autres fruits, importés ou greffés vinrent donner aux terres africaines des parfums de richesse.
(Musique)
Journaliste
Dans le même temps, coupant les rochers, coupant les savanes, coupant les forêts, les routes morcelèrent l’immensité.
(Musique)
Journaliste
L’Afrique entière découvrit les signaux de la poussière, tourbillon rouge, nuage blanc ou grandet à moteur.
(Musique)
Journaliste
Forçant des obstacles infranchissables, les chemins de fer transformèrent les exploits en va-et-vient.
(Musique)
Journaliste
Les fleuves virent succéder à l’élan court des pirogues le souffle long des péniches, les navettes incessantes des bacs. Et par ces fleuves et par ces trains, et par ces routes, l’Afrique se mit à bouger. Ce monde brisé et ses populations éparses, ses 100 races rivées à leur particularisme, tout cela se rencontra, se salua, fit connaissance. Et dans la multiplicité des langues, la communauté des sourires reflétait un fait collectif, la prise de conscience d’une famille humaine.
(Musique)
Journaliste
Au lointain des savanes, des villages d’un type nouveau étaient apparus. Mais au bord des rivières comme au creux des forêts, l’habitat, expression vraie de l’homme, s’était partout transformé.
(Musique)
Journaliste
Ce continent, hier nu, avait vu s’épanouir les grandes moissons des villes et leurs fleurs d’urbanisme.
(Musique)
Journaliste
Et dans son orgueil, même cette architecture était symbolique, tous comme les plus humbles villages case par case remaniés ; elle était le signe, elle était le marque sur le sol d’une humanité nouvelle. Car aujourd’hui, dans ces villes et villages, les foules qui se pressent au rendez-vous de la santé ou de la justice ou de l’éducation ; ces foules faites de 100 races forment une même famille humaine.
(Musique)
Journaliste
Il aura suffi que la technique venue de l’extérieur brisât leur isolement et rencontra leur civilisation profonde, leur humanisme aussi vrai qu’aucun autre ; pour qu’aujourd’hui, le visiteur occidental, en quête de dépaysement, se voit déçu ; déçu de ne trouver qu’un monde comme ailleurs, un monde moins riche en scène pittoresque qu’en scène familière.
(Bruit)
Journaliste
Un monde où comme partout, le sage soigne son jardin ; où déjà comme partout, l’homme peine au ménage, pendant que Madame savoure le bonheur d’éblouir ; où comme partout, les fiancés préfèrent la campagne. Les gens qui se drapent à l’ancienne et ceux qui entretiennent méticuleusement des grâces ancestrales peuvent révéler une autre aisance.
(Musique)
Journaliste
Car ici aujourd’hui, les coquetteries millénaires parent fort bien les mouvements de jeunesse.
(Musique)
Journaliste
Hier, expression spontanée innée, les danses sont devenues un folklore conscient de lui-même et qui obéit aux règles de la mise en scène.
(Musique)
Journaliste
Au rythme exubérant, l’Afrique et sa jeunesse ont d’ailleurs ajouté depuis longtemps les cadences sévères des labeurs techniques. De même qu’elles ont ajouté aux formes et aux couleurs de l’art traditionnel les épures rigoureuses où se trace l’avenir.
(Musique)
Journaliste
Et la sculpture de magie n’alimente plus depuis longtemps qu’un aimable commerce de Saint-Sulpice.
(Musique)
Journaliste
Dans les foyers culturels, ces chefs d’œuvres devenus pièces de musée, inspirent encore les jeunes artistes. Mais ceux-ci ne voient plus le mirage divin, seulement la trouvaille esthétique, expression du génie populaire.
(Musique)
Journaliste
Car si les masques ont pu symboliser l’Afrique, ceux qui vivent aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier.
(Musique)
Journaliste
Si dans la vie courante, l’ancien continue à côtoyer le moderne, il en est chaque jour un peu plus submergé. Le voyageur occidental ne s’en aperçoit pas toujours, parce que son attention glisse sur ce qui lui est trop familier. Et personne ne retiendra jamais comme spectacle africain la scène du brave homme qui achète une voiture, même accompagné de ses trois épouses.
(Musique)
Journaliste
Pourtant, il n’y a plus un seul cliché des cartes postales d’hier auxquelles ne répond aujourd’hui l’antithèse d’une image plus vraie.
(Musique)
Journaliste
Et la mélancolie du passé qui s’efface s’attache aux charmants tics des porteuses supplantées par le rire des fillettes au front lourd de cahiers et de livres.
(Musique)
Journaliste
Ainsi, une famille humaine nouvelle s’est affirmée en Afrique, semblable à toutes les grandes familles du monde moderne, et peut-être plus proche que bien d’autres de l’esprit occidental ; parce que toute cette histoire repose sur un fait capital. Ce fait, c’est que ce monde a pris conscience de lui-même en français. Mosaïque de races et de langues, il est devenu un monde nouveau en devenant un Nouveau Monde d’expression française ; comparables à ceux qui s’écorchèrent jadis en d’autres continents et s’épanouirent en regrets historiques. Maintenant, la France estimait ce triomphe, de nouveaux peuples libres d’expression française. Partout, elle instaura l’autonomie, seuil et stage de l’indépendance. S’emparant des techniques nouvelles, la vieille Afrique put rechercher librement sa personnalité.
(Musique)
Journaliste
Et tandis qu’avec le folklore, son âme et ses parlers ancestraux chantaient sur les ondes, elle s’attachait de plein gré à notre langue, levier de son message. Grâce aux ondes, l’Etat du Cameroun ajoutait à ces écoles, enseignant en Français, ce spectacle touchant les cours de français à l’usage des adultes.
(Bruit)
Journaliste
Puis, les événements suscitèrent ce référendum où tous les Africains durent dire : s’ils voulaient être seuls tout de suite ou poursuivre avec la France une conquête plus sûre de leur indépendance. Et partout, un seul territoire sur 14 se faisant l’exception qui prouve la sincérité, partout, les oui s’entassaient.
(Musique)
Journaliste
De ce oui, qui coiffait jusqu’aux jeux enfantins, leur assure donc l’insouciance, et que cette communauté passe donc des vivats de l’entente aux seuls vacarmes des acteurs de demain ; que les luttes qui jalonnent toute la vie des civilisations, leurs naissances, leurs éclipses, leurs transferts, leurs fusions ; que toute cette rançon pitoyable soit donc ici pour une fois dans l’histoire économisée. Que les relais de puissance, les flambeaux du savoir, que tous les témoins de vie – pour une fois dans l’histoire du monde – se passent donc ici dans la joie.
(Musique)