Allocution du 7 novembre 1961

07 novembre 1962
11m 05s
Réf. 00083

Notice

Résumé :

Charles de Gaulle prononce cette allocution dix jours après le large succès du référendum par lequel il avait demandé aux électeurs d'approuver l'élection du président de la République au suffrage universel. Il se félicite de ce succès, critique une nouvelle fois les partis politiques qui s'étaient vainement ligués contre lui, et il appelle les Français à confirmer ce vote positif aux élections législatives des 18 et 25 novembre.

Type de média :
Date de diffusion :
07 novembre 1962
Type de parole :

Éclairage

Depuis la conclusion en mars 1962 de la paix en Algérie et l'accession de l'Algérie à l'indépendance le 3 juillet, une page de l'histoire de la Vème République est tournée. De Gaulle n'ignore pas que, la guerre d'Algérie terminée, les forces politiques sont décidées à le chasser du pouvoir pour restaurer la toute-puissance du Parlement. Au cours des mois de juin et juillet, l'alliance de fait entre une gauche hostile au régime de la Vème République et une droite au sein de laquelle les nostalgiques de l'Algérie française ont un poids considérable prive virtuellement de majorité le gouvernement formé au printemps par Georges Pompidou. C'est d'extrême justesse qu'une motion de censure a été évitée en juillet.

Aussi de Gaulle est-il résolu à reprendre l'initiative. Il y est poussé par un attentat de l'OAS dirigé contre lui le 22 août 1962 au Petit-Clamart, au cours duquel il échappe de justesse à la mort. Après le Conseil des ministres du 29 août, le Général annonce son intention de proposer une révision constitutionnelle pour assurer la continuité de l'Etat et on apprend le 12 septembre qu'il s'agit de proposer un référendum disposant que le Chef de l'Etat sera désormais élu au suffrage universel, ce qui provoque un tollé de toutes les formations politiques à l'exception des mouvements gaullistes. A la rentrée parlementaire, le 2 octobre 1962, une motion de censure a été déposée à l'Assemblée nationale contre le gouvernement Pompidou, constitutionnellement responsable de la décision de soumettre la révision à référendum, par les Indépendants, le MRP, les socialistes et les radicaux. Le 5 octobre, par 280 suffrages, cette motion de censure est adoptée et Georges Pompidou, comme la constitution lui en fait obligation, présente au président de Gaulle la démission de son gouvernement le 6 octobre. Après en avoir pris acte, le Général annonce son intention de dissoudre l'Assemblée nationale (un décret du 10 octobre prononcera cette dissolution) et décide de maintenir en fonctions le gouvernement jusqu'à la réunion d'une nouvelle Assemblée nationale qui sera élue les 18 et 25 novembre. Aussitôt, les partis qui ont déposé la motion de censure constituent un " Cartel des non " manifestant ainsi leur intention de gouverner ensemble si le référendum était négatif.

Or, le 28 octobre, 61,75% des électeurs approuvent la révision portant élection du président de la République au suffrage universel contre 38,25% qui la rejettent, apportant ainsi un net appui aux vues du général de Gaulle. Ce résultat acquis, s'ouvre la campagne pour les élections législatives des 18-25 novembre pour lesquelles les partis qui avaient constitué un " Cartel des non " au référendum (Indépendants, MRP, radicaux et socialistes) ont mis au point un " programme commun " au cas où ils deviendraient majoritaires. Aussi de Gaulle intervient-il le 7 novembre pour demander aux Français de confirmer leur choix du référendum.

Après avoir rappelé à l'opinion la signification du " oui " au référendum qui renforce la position du Chef de l'Etat et légitime la procédure référendaire, il se livre à une vive attaque contre " les partis de jadis " dont il affirme qu'ils ne représentent pas la nation. Il les accuse de vouloir se coaliser pour s'emparer du pouvoir dès lors que la plupart des problèmes qu'ils avaient été incapables d'affronter ont été résolus. S'il ne conteste pas qu'ils représentent des courants d'opinion, des clientèles et que certains de leurs hommes possèdent des capacités, il juge cependant qu'on ne saurait les confondre avec la France et la République. Aussi appelle-t-il les Français à confirmer leur vote au référendum en élisant une majorité décidée à poursuivre la rénovation politique et à refuser leurs voix aux représentants des partis dont la victoire conduirait à la confusion et à la crise nationale. Il poursuit ainsi la dramatisation déjà présente lors du référendum et qui avait conduit l'opposition à dénoncer le choix entre le vote en faveur du Général et le chaos.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
La décision souveraine que la nation a prise le 28 Octobre et qui s'impose à qui que ce soit peut avoir la plus vaste portée pour l'avenir de la France. Car la loi constitutionnelle, telle qu'elle a été votée, fait que dorénavant le peuple français élira son président au suffrage universel. Celui à qui la Constitution confère la charge très lourde d'être réellement le chef de l'Etat en aura après moi l'obligation et la possibilité grâce au mandat direct qu'il recevra de la nation. Ainsi devra demeurer cet élément capital de permanence et de solidité que comportent nos institutions. Je veux dire la présence au sommet de la République d'une terre qui puisse en être une. D'autant mieux que le scrutin souverain du 28 Octobre a solennellement confirmé le droit que notre Constitution attribue au chef de l'Etat de soumettre au pays, par voie de référendum, tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics. La nation, seule maîtresse d'elle-même, a donc définitivement jugé que ses futurs présidents auront la faculté de lui demander à leur tour, comme je l'ai fait cinq fois moi-même, de trancher directement au fond tel problème qui serait essentiel. Mais, aussi et une fois de plus, le référendum a mis en plein lumière une donnée politique fondamentale de notre temps. Il s'agit du fait que les partis de jadis [INAUDIBLE] qu'une commune passion professionnelle les réunit pour instant, ne représente pas la nation. On s'en était clairement et terriblement aperçu quand en 1940 leur régime abdiquant dans le désastre. On l'avait de nouveau constaté lorsqu'en 1958 il me passe à la main, au bord de l'anarchie et de la faillite et de la guerre civile. On vient de vérifier en 1962. Que s'est-il passé en effet ? La nation étant maintenant en plein essor, les caisses remplies, le franc plus fort qu'il ne le fut jamais ; La décolonisation achevée, le drame algérien terminé, l'armée française rentrée toute entière dans la discipline ; Notre prestige replacé au plus haut dans l'univers, bref tout danger immédiat écarté et la situation de la France bien établie au-dedans et au dehors. On vit. Tous les partis de jadis se tournaient contre de Gaulle. On les vit s'opposer tous ensemble au référendum parce qu'ils tendaient à empêcher que leur régime recommençât ; Afin de tenir de nouveau le pouvoir à leur discrétion et d'en revenir au plus tôt aux jeux qui font leur délice mais qui seraient la ruine la France. On les vit se coaliser, sans qu'il en manqua aucun. D'abord au Parlement pour censurer le Ministère, ensuite devant le pays pour l'inviter à me répondre « non ». Or, voici que tout leur ensemble a été désavoué par le peuple français. Assurément, nul ne conteste que les partis de jadis servent encore tels courants d'opinions, intérêts particuliers, soucis locaux, mérites personnels ; Assurément grâce aux clientèles, aux influences, aux combinaisons qui sont leurs moyens éprouvés. Peuvent-ils encore faire passer l'ombre des leurs aux élections ? Assurément certains de leurs hommes ont-ils des capacités qui pourraient encore être utiles au gouvernement du pays, dès lors qu'eux-mêmes voudraient agir dans un système dévoué seulement à l'intérêt national. Et on sait que tout au long des années du temps de guerre et du temps de paix où je dirigeais les affaires, j'ai, suivant l'opportunité, pris mes ministres dans toutes les formations politiques, tour à tour et sans exception. Mais c'est un fait qu'aujourd'hui confondre les partis de jadis avec la France et la République serait simplement dérisoire. Mais, voici qu'en votant »oui » en dehors d'eux et malgré eux, la nation vient de dégager une large majorité de rénovation politique. Je dis qu'il est tout à fait nécessaire, pour que dure la démocratie, que cette majorité s'affermisse et s'agrandisse, et d'abord qu'elle s'établisse au Parlement. Si en effet le Parlement qui détient le pouvoir législatif et le contrôle devait reparaître demain dominé par les fractions que l'on s'est obstiné à rétablir leur régime d'impuissance de la guerre ; Bref se tenant en contradiction avec la volonté profonde que vient d'exprimer la nation, alors dans ce cas, et moins que jamais ayant un caractère réellement représentatif et d'ailleurs divisé en groupes rivaux et opposés ; Le Parlement ne manquerait pas dès l'abord de foisonner dans l'obstruction, puis de plonger les pouvoirs publics dans une confusion trop connue, en attendant, tôt ou tard, de faire sombrer l'Etat dans une nouvelle crise nationale. Mais au contraire, quel rôle peut jouer le Parlement si, échappant aux prétentions et aux illusions des partisans, il voulait que continue avec son concours résolu l'oeuvre de redressement national qui s'accomplit depuis plus de quatre ans ? Françaises, Français, vous avez le 28 Octobre, celui de la condamnation du régime désastreux des partis et marquez votre volonté de voir la République nouvelle poursuivre sa tâche de progrès, de développement et de grandeur. Mais les 18 et 25 Novembre, vous allez élire les députés. Ah, puissiez-vous faire en sorte que cette deuxième consultation n'aille pas à l'encontre de la première. En dépit le cas échéant de telle considération fragmentaire ou habitude locale. Puissiez-vous confirmer par la désignation des hommes le choix qu'en votant « oui » vous avez fait, quant à notre destin ; Françaises, Français, je vous le demande, je vous le demande en voyant les choses bien au-delà de ma personne et de mon actuelle fonction ; Je vous le demande, en me plaçant une fois encore sur le terrain, le seul qui m'importe, du bien de l'Etat, du sort de la République et de l'avenir de la France. Vive la République ! Vive la France !