Conférence de presse à Matignon

23 octobre 1958
43m 12s
Réf. 00023

Notice

Résumé :

Avant l'ouverture de la campagne pour l'élection de la nouvelle Assemblée nationale, le général de Gaulle convoque la presse à Matignon. La conférence est diffusée dans le cadre du JT de 20 heures. Le général revient d'abord sur le référendum du 28 septembre, et souligne l'importance des élections législatives à venir. Il aborde ensuite la question de l'Algérie, le rôle qu'y tient l'armée française, les actions menées par le FLN. Il évoque ensuite le problème du désarmement et la question de l'arme atomique en France.

Type de média :
Date de diffusion :
23 octobre 1958
Type de parole :
Petite(s) phrase(s) :

Éclairage

Après le succès du référendum du 28 septembre 1958 où 80% des Français ont approuvé la constitution de la V République et alors que s'ouvre la campagne électorale pour la désignation des députés à l'Assemblée nationale qui doit avoir lieu les 23 et 30 novembre, le général de Gaulle réunit à l'Hôtel Matignon, siège de la présidence du Conseil, une conférence de presse, la première depuis son retour au pouvoir, pour faire le point de la politique de son gouvernement.

Après une introduction liminaire dans laquelle il exalte l'oeuvre accomplie depuis son accession à la tête du gouvernement, il répond aux questions des journalistes qui l'interrogent sur les grands problèmes du moment. Deux d'entre eux retiennent particulièrement l'attention, la situation en Algérie et la position française sur la cessation des expériences nucléaires. Sur le premier point, de Gaulle fait l'éloge de l'action de l'armée en Algérie qui combat le terrorisme, protège les vies et les récoltes, aide la population musulmane sur tous les plans. Considérant comme sans issue le combat du FLN, il invite les membres de celui-ci à déposer les armes et à retourner à leur travail et à leur famille, leur proposant la "paix des braves ". Quant à l'avenir de l'Algérie, il refuse d'en décider, jugeant que des solutions se dégageront à mesure que se dérouleront des consultations démocratiques et que les progrès économiques du Plan de Constantine transformeront le visage de l'Algérie. Mais il envisage l'avenir comme celui d'une "personnalité algérienne" liée à la France.

Sur le second point, le refus de la délégation française à l'ONU d'accepter la cessation des expériences nucléaires s'explique pour le général de Gaulle par le rejet de la manoeuvre des trois puissances atomiques que sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la "Russie" afin d'empêcher que d'autres Etats accèdent à l'armement nucléaire et, spécifiquement la France qui est sur le point d'y parvenir. Or si de Gaulle se déclare partisan d'un désarmement nucléaire généralisé, il se refuse à le pratiquer unilatéralement, dès lors que les autres grandes puissances conserveraient leur arsenal. Il est clair qu'à ses yeux, il y va du prestige et du rang de la France dans le monde.

Serge Berstein

Transcription

(Silence)
Charles de Gaulle
Mesdames, messieurs, je me félicite de vous voir. La dernière fois que j'ai eu ce plaisir, c'était au mois de mai dernier. Comme l'atmosphère, alors, était lourde. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle a complètement changé. La confiance a remplacé l'angoisse. L'unité nationale a empêché le déchirement. Et le référendum du 28 septembre a proclamé le renouveau de la France. Car c'est bien, en effet, la volonté du peuple français de s'unir pour l'effort et pour la grandeur qui s'est révélée ce jour-là. Tous les oui - il y en avait beaucoup - ont été joyeux. Et parmi ceux qui ont voté non, combien l'ont fait à contre-coeur ? D'autre part, la participation massive des Algériens à la consultation a établi pour l'évolution politique, économique, sociale, culturelle de leur pays, une base psychologique qui n'avait jamais existé. Et sur cette base, il est maintenant possible aux algériens et aux métropolitains de construire ensemble l'avenir. D'autre part, vingt cinq millions d'hommes de l'Afrique noire, de Madagascar, de Djibouti, des Comores ont manifesté spontanément leur volonté d'établir, avec la France, une libre communauté. Et en même temps, cinquante cinq millions de citoyens de la métropole, d'Algérie, de La Réunion, des Antilles, de la Guyane, de la Nouvelle Calédonie, des Nouvelles Hébrides, des établissements français d'Océanie ont, pour ce qui les concerne, marqué une décision identique. Il y a, là, un engagement mutuel entre les peuples intéressés qui n'a comporté, nulle part, à aucun moment, aucun précédent. Enfin, on voit que la marque, la preuve de vigueur et de raison qui a été donnée par notre pays a produit, dans l'univers, un effet décisif. Hier, bien peu misaient franchement sur nous. A présent, tout le monde veut parier sur la France. Nous avons utilisé ce grand mouvement populaire pour rénover les institutions. Les pouvoirs publics nouveaux sont très différents des anciens. Arbitrage du chef de l'Etat, séparation de l'exécutif et du législatif, continuité du gouvernement. Voilà ce qui est prévu, voilà ce que le peuple a voulu. Et les élections législatives vont avoir lieu le mois prochain pour appliquer la nouvelle constitution. Tout le monde comprend - je me permets un mot personnel - tout le monde comprend que je ne veuille, que je ne puisse pas me mêler d'une manière directe de cette compétition. La mission que le pays m'a assignée est de telle sorte qu'elle est exclusive d'une attitude de ma part qui consisterait à prendre parti. Je ne ferai, donc en faveur de personne, même pas de ceux qui m'ont toujours marqué un amical dévouement à travers toutes les vicissitudes. Bien entendu, je ne saurais pas désapprouver que des groupes ou des candidats de toute tendance publient leur adhésion à l'action de Charles de Gaulle. Et d'ailleurs, d'autres ne manqueront pas de dresser leur opposition en utilisant cette liberté qu'ils me reprochent de vouloir détruire. Cette impartialité m'oblige à tenir essentiellement à ce que mon nom, même sous la forme d'un adjectif, ne soit pas utilisé dans le titre d'aucun groupe et d'aucun candidat. Mais cette impartialité ne m'empêche pas, bien entendu, de souhaiter d'une manière instante que la future campagne, la prochaine campagne électorale se développe dans l'objectivité et dans la dignité. Tout au moins le plus possible. Et qu'en particulier, on s'abstienne de ces luttes de personnes qui sont toujours désobligeantes, attristantes, qui compromettent tout et qui ne servent à rien. Les élections vont avoir lieu, et on pourrait croire, à première vue, qu'elles auront le même caractère que celles d'autrefois. Et cependant, l'assemblée qui en sortira ne se trouvera pas dans les mêmes conditions que celles qui l'ont précédée. Après un certain nombre de mois de suspension, l'institution parlementaire reparaîtra, il est vrai. Mais non plus omnipotente. La leçon des faits, le cours des événements, le jugement du public et aussi le civisme de l'ensemble du corps politique français ont conduit les constituants de 1958, c'est-à-dire les membres du gouvernement aidés par les travaux du conseil constitutionnel, par les avis du conseil d'Etat, et je dois dire par les conseils éclairés de monsieur le Président de la république, ont conduit les constituants à fixer aux futures assemblées des limites nettes et des freins puissants. C'est, en effet... la situation du monde, les nécessités du redressement national, interdisent absolument qu'on en revienne à la confusion d'antan. S'il devait, par malheur, arriver que le Parlement de demain ne voulût pas s'accommoder du rôle qui lui est dévolu, il n'y a pas de doute que la république serait jetée dans une crise nouvelle dont personne ne peut prévoir ce qui en sortirait excepté ceci : qu'en tout cas, l'institution parlementaire en serait balayée pour longtemps. Et au contraire, si les assemblées futures remplissent d'une manière objective leur fonction législative, si elles s'abstiennent de ces surenchères, de ces prétentions, de ces agitations partisanes dont, trop souvent, l'exemple fut donné, alors les pouvoirs de l'Etat fonctionneront dans l'équilibre, la stabilité et l'efficacité et la nation s'intéressera au libre débat de ses représentants. En un mot, c'est en le réformant d'une manière profonde que nous avons sauvegardé la chance du régime représentatif. Puisse-t-il, cette chance, ne pas la détruire lui-même. En tout cas, la France, elle, a montré qu'elle est faite pour vivre, pour s'élever et pour rayonner. Messieurs, j'ai tenu à vous donner ces quelques indications qu'on peut qualifier de générales sur l'ensemble de la situation politique dans laquelle nous nous trouvons, et sans doute, allons nous trouver. Et ceci dit, je me livre à vous et vous demande s'il vous convient de me poser des questions auxquelles je m'efforcerai de répondre. Je vous en prie.
Journaliste 1
Après les instructions que vous avez adressées au général Salan au sujet des élections, et l'ordre que vous avez donné aux officiers de se retirer de toute organisation politique, voudriez-vous nous préciser quel rôle vous assignez à l'armée, en Algérie ?
Charles de Gaulle
Je comprends très bien, messieurs, que les circonstances étant ce qu'elles sont, c'est essentiellement sur l'Algérie qu'est éveillée la curiosité professionnelle des membres de la presse. Je ne suis pas surpris de la première question qui vient de m'être posée. Il s'agit de savoir ce qu'il se passe, ce qu'il s'est passé, ce qu'il se passe pour l'armée française en Algérie. Et bien, à mon sens, l'armée française accomplit, en Algérie, ce que la France attend d'elle. Son premier devoir, naturellement, c'est d'empêcher que l'Algérie soit perdue par les armes et sur le terrain. A cet égard, je crois que maintenant, le plus fort est fait bien que rien ne soit tout à fait fini. L'armée a aussi la mission de protéger toutes les catégories de la population en Algérie, et notamment, bien entendu, la population musulmane. Il faut savoir, en effet, que si depuis quatre ans, en Algérie, environ quinze cent civils français de souche ont été tués, c'est plus de dix mille musulmans, hommes, femmes et enfants qui ont été massacrés par les rebelles. Et presque toujours par égorgement. Dans la métropole, pour soixante quinze français de souche, à qui les attentats ont coûté la vie, mille sept cent dix sept musulmans sont tombés sous les balles ou le couteau des tueurs. Que de vies, que de demeures, que de récoltes à protéger et protège l'armée française en Algérie. Et à quelles hécatombes condamnerions-nous ce pays si nous étions assez stupides et assez lâches pour l'abandonner ? Voilà la raison, le mérite, le résultat de tant d'actions militaires, coûteuses en hommes et en fatigue, de tant de nuits et de jours de garde, de tant de reconnaissances, de patrouilles, d'accrochages. Enfin, le résultat dont je parle, si on veut l'exprimer par des chiffres, c'est sept mille deux cent officiers et soldats morts, hélas. Et hélas, c'est soixante dix-sept mille rebelles tués en combattant. La troisième mission de l'armée, celle qu'elle remplit, d'ailleurs, d'une manière brillante et émouvante, résulte du fait qu'elle est partout sur le terrain et puis qu'elle est l'armée, c'est-à-dire un corps dévoué, discipliné, désintéressé. Alors, elle a voulu et elle a pu prendre le contact humain de cette communauté musulmane qui, trop souvent, et depuis trop longtemps, se trouvait reléguée dans ses mechtas, ses devoirs et ses peines. Officiers et soldats, de leurs mains, de leur coeur, de leur ingéniosité, ne se bornent pas à protéger la population mais ils l'aident de toutes les manières. Il faut voir sur place ce qu'ils savent faire pour ce qui concerne le ravitaillement, la santé, les logements, les écoles. Et il faut mesurer la valeur des rapports humains qui s'établissent jour après jour. D'ailleurs, si le référendum a été ce qu'il fut, en Algérie, en particulier, si on a assisté à cet empressement émouvant des musulmans, c'est tout simplement la preuve de cette fraternité confiante et réciproque dont l'aurore a paru sur ce sol malheureux. Quels que soient les résultats acquis, l'armée continue sa mission. Il faut qu'elle poursuive la pacification. Il faut qu'elle prête son concours actif à la tâche de mise en valeur de l'Algérie qui est entreprise. Et puis, il faut qu'elle travaille à ce rapprochement des âmes qui est la condition de l'avenir. En présence des prochaines compétitions électorales et politiques, l'armée devait prendre sa distance et sa hauteur. Elle l'a fait et sur mon ordre. La France est fière des services que son armée, commandants en chef, Etats-majors, cadres et troupes, lui ont rendus, lui rendent, lui rendront en Algérie. Et moi, très haut et très fermement, je lui adresse mon témoignage. J'espère que je vous ai satisfait. Je vous en prie.
Journaliste 2
Mon général, quelles est l'attitude de votre gouvernement à l'égard ce qui à l'air d'être des ouvertures de paix du FLN faites au cours de ces dernières semaines ?
Charles de Gaulle
L'organisation dont vous parlez a, d'elle-même, déclenché la lutte. Elle la poursuit depuis quatre ans. Je laisse à l'avenir le soin de déterminer à quoi cette lutte aura pu servir. Mais en tout cas, actuellement, elle ne sert plus vraiment à rien. Bien sûr, on peut, si on veut, continuer des attentats, dresser des embuscades sur des routes, jeter des grenades dans des marchés, pénétrer, la nuit, dans des villages pour y tuer quelques malheureux. On peut se réfugier, chercher refuge dans des grottes de montagne. On peut aller en petit groupe de djebel en djebel. On peut cacher des armes dans des creux de rocher pour aller les chercher et les utiliser à l'occasion. Mais l'issue n'est pas là. Et elle n'est pas non plus dans les rêves politiques et dans l'éloquence de propagande des réfugiés qui se promènent à l'étranger. En vérité et en toute conscience, l'issue est, maintenant, tracée. Elle est tracée par le fait que les forces de l'ordre maîtrisent peu à peu le terrain. Mais surtout, elle est tracée par la manifestation décisive du 28 septembre. Et cependant, je dis sans embarras que pour la plupart d'entre eux, les hommes de l'insurrection ont combattu courageusement. Que vienne la paix des braves ! Et je suis sûr que les haines iront en s'effaçant. J'ai parlé de la paix des braves. Qu'est-ce à dire ? Tout simplement ceci. Que ceux qui ont ouvert le feu le cessent. Et qu'ils retournent sans humiliation à leur famille et à leur travail. On dit : " Mais comment peuvent-ils faire pour arranger la fin des combats ? ". Je réponds, là où ils sont organisés pour la lutte, sur place, il ne tient qu'à leur chef de prendre contact avec le commandement. La vieille sagesse guerrière utilise, depuis très longtemps, quand on veut que se taisent les armes, utilisent le drapeau blanc des parlementaires. Et je réponds que dans ce cas, les combattants seraient reçus et traités honorablement. Quant à l'organisation extérieure dont nous parlions, tout à l'heure, et qui, du dehors, s'efforce de diriger la lutte, je répète tout haut ce que j'ai déjà fait savoir. Si des délégués étaient désignés pour venir régler avec l'autorité la fin des hostilités, ils n'auraient qu'à s'adresser à l'ambassade de France à Tunis ou à celle de Rabat. L'une ou l'autre assureront leur transport vers la métropole. Là, leur sécurité entière sera assurée, et je leur garantis la latitude de repartir. Cette paix, je le répète, puisse-t-elle venir au plus vite. Alors, certains disent : " Mais quelles sont les conditions politiques dont le gouvernement français accepterait que l'on débatte ? ". Moi, je réponds le destin politique de l'Algérie, il est en Algérie-même. Ce n'est pas parce qu'on fait tirer des coups de fusil qu'on puisse en disposer. Quand la voie démocratique est ouverte, quand les citoyens ont la possibilité d'exprimer leur volonté, et bien, il n'y en a pas d'autre qui soit valable. Or cette voie est ouverte en Algérie. Le référendum a eu lieu, les élections vont avoir lieu, le mois prochain, les élections législatives. Au mois de mars, ça sera les élections aux conseils municipaux. Au mois d'avril, ça sera les élections pour les sénateurs. Quelle sera la suite ? Moi, je dis que cela est une affaire d'évolution. De toute manière, une immense transformation a commencé en Algérie. Bien sûr, la France, parce que c'est son devoir et parce qu'elle est seule à pouvoir le faire, la France met en oeuvre cette transformation. Au fur et à mesure du développement, les solutions politiques se dessineront. Moi, je crois, je l'ai déjà dit, que ces solutions futures auront pour base, parce que c'est la nature des choses, auront pour base la personnalité courageuse de l'Algérie et son association étroite avec la métropole française. Et cet ensemble complété par le Sahara, et bien, je crois qu'un jour ou l'autre, il se liera pour le progrès commun avec les libres Etats du Maroc et de Tunisie. Voyez-vous, à chaque jour suffit sa lourde peine. Mais quand je me demande qui gagnera, en définitive, je réponds, très convaincu : en définitive, ça sera la fraternelle civilisation. Je vous en prie.
Journaliste 3
A New York, la délégation française aux Nations Unies a adopté une attitude négative vis-à-vis des projets d'arrêt des expériences nucléaires. Pourriez-vous nous en indiquer les raisons ?
Charles de Gaulle
Oui, c'est un grave débat qui est quelque peu extérieur à celui que nous venons d'évoquer, mais tout se tient. Dans le monde d'aujourd'hui, la terre est ronde et l'univers est petit. Il y a deux groupes mondiaux, celui des anglo-saxons et puis celui des soviétiques qui, depuis des années, fabriquent, accumulent des armements atomiques. Et à l'heure qu'il est, l'un ou l'autre de ces deux groupes est en mesure de déchaîner, en un instant, sur l'univers, un cataclysme gigantesque. Je ne dis pas, d'ailleurs, et je ne pense pas que les responsabilités soient égales de part et d'autre dans le fait que, jusqu'à présent, ces deux groupes n'ont pas pu parvenir à un accord sur le désarmement et sur le contrôle. Je suis, pour ma part, convaincu que l'Occident désarmerait tout de suite si l'Est voulait le faire. Mais je constate que les choses étant ce qu'elles sont, chaque jour, à chaque instant, la mort est suspendue sur l'univers. Vous savez que devant ce péril mondial, la France a toujours voulu jouer le rôle d'apôtre, de champion du désarmement. Nous n'avons pas cessé, nous ne cessons pas de presser russes, américains et britanniques de renoncer aux fabrications, même de liquider leur stock de bombes atomiques et de consentir à ce que soit établi un effectif contrôle international. Et cette position que nous avons prise, nous croyons devoir nous y tenir d'autant plus que c'est le seul résultat qui puisse être positif. S'il était atteint, la fameuse question des expériences disparaîtrait immédiatement. Et si ce but n'est pas atteint, alors, à ceux qui continuent d'accumuler des bombes, à quoi pourrait bien importer la suppression des expériences ? Leur puissance n'en serait absolument pas changée et le péril mondial n'en serait pas diminué d'une ligne, bien au contraire. Car ce serait donner le change au pauvre monde. Si les trois Etats dont il s'agit prenaient cette position, qu'en suspendant les essais, on fait progresser la sécurité, d'abord, ils tromperaient l'univers. Et puis, ils se donneraient, chacun à soi-même, un alibi pour ne pas désarmer. Du reste, c'est ce que les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France avaient en commun reconnu au mois d'août de l'année dernière. Vous savez, sans doute, qu'à cette date-là, les trois Etats occidentaux avaient fait une déclaration formelle disant que le but à atteindre, c'était la limitation et le contrôle de tous les armements, en particulier, bien entendu, des armements atomiques. Et que ce serait ajouter un risque à beaucoup d'autres que de faire dévier le débat sur le garage, le garage fallacieux de la suspension des essais. Il se trouve, je crois que c'est dommage, il se trouve que nos alliés ont cru devoir, à New York, récemment, modifier leur position. Mais la France, elle, n'a aucun motif d'avoir changé d'avis. Et c'est ce qu'a dit très nettement son délégué à New York. Indépendamment, donc, des raisons générales qu'elle a de s'en tenir à ce qui était convenu entre occidentaux, elle a, aussi, c'est vrai, une raison qui lui est propre. Tout le monde sait que nous disposons, maintenant, des moyens de nous assurer d'armement nucléaire. Et le jour approche où nous procéderons, à notre tour, aux expériences. Peut-être cette circonstance a-t-elle compté dans le fait que Moscou, Washington et Londres ont simultanément pensé que, vraiment, la suspension des expériences était soudainement capitale. Je ne me mêlerai pas de l'apprécier, mais je dis que la France, du moment que les trois autres restent, pour leur compte, sur-armés, la France ne consent pas du tout à une infériorité chronique et gigantesque. D'ailleurs, quand nous serons une puissance atomique, ce qui ne tardera plus guère, nous aurons d'autant plus de moyens pour faire sentir notre action dans les domaines qui nous sont chers et qui sont utiles à tous les hommes, c'est-à-dire la sécurité mondiale et aussi le désarmement. Je vous en prie.
Journaliste 4
[inaudible] quelles sont grandes lignes de la politique extérieure à la mesure de vos intentions [inaudible] de la communauté française qui est en train de [inaudible]
Charles de Gaulle
Je crois que votre question, comme son sujet, est d'une ampleur extrême. La politique, c'est, avant tout, l'interprétation des réalités, l'utilisation des réalités pour atteindre un certain but. Si c'est ce but que vous me demandez d'indiquer, il est très clair. Je crois que moi-même, j'ai eu bien souvent l'occasion de le préciser. C'est ni plus ni moins la sécurité et la fraternité du monde. Quant aux moyens, permettez au gouvernement de s'en servir suivant les circonstances. Vous conviendrez peut-être avec moi que pour l'instant, c'est ce qu'il s'efforce de faire, non sans peine, peut-être avec quelques résultats. Je vous en prie.
Journaliste 5
Vous avez dit : " Dès maintenant, une [la France] précise sa position à l'égard des français installés en Guinée".
Charles de Gaulle
En Guinée ? Autrement dit, je n'ai aucun embarras, aucune difficulté à préciser de nouveau quelle est l'attitude actuelle du gouvernement de la république française à l'égard des événements, de l'événement qui s'est produit en Guinée qui était, d'ailleurs, attendu, et auquel, comme nous l'avions promis, nous n'avons pas fait le moindre obstacle. L'actuel chef du conseil de gouvernement de la Guinée a pris l'attitude que l'on sait au moment du référendum. C'était son droit, tout au moins vis-à-vis de nous. Et pour l'instant, c'est sur cette base, je le crois, tout au moins, qu'il agit et même qu'il parle. Pour nous, la Guinée, c'est un devenir. Nous observons ce qu'elle va être sous son actuel conseil du gouvernement. Nous observons ce qu'elle va être au point de vue de ses relations extérieures, au point de vue de ses tendances, au point de vue, surtout, de ses capacités, capacités d'Etat, si elle en établit un définitivement. Et nous établirons nos rapports avec cette Guinée nouvelle en fonction de ce que nous verrons dans ces différents domaines, sans aucune acrimonie, bien entendu, avec la plus complète loyauté. Mais sans avoir l'absolue certitude que ce qui est aujourd'hui sera encore demain. Quant aux Français qui sont en Guinée, et dont, jusqu'à présent, nous savons que, fort heureusement, leur vie et leurs biens ne sont pas en cause, nous ne voyons aucune raison pour qu'ils cessent d'habiter ce pays où ils ont établi leurs affaires. Naturellement, il ne s'agit pas des fonctionnaires et des techniciens que l'Etat français fournissait à la Guinée dans le système de la loi-cadre ou qu'il lui aurait fourni dans le système de la communauté. Mais qu'il ne peut pas lui fournir dans le système dit de " l'indépendance ". Il en est de même, du reste, des fonds, des concours financiers que l'Etat français pouvait prêter, prêtait au développement de la Guinée, et que, pour le moment, tout le monde comprend qu'il ait cru bon de cesser de les prêter dans les circonstances présentes. Voilà ce que je peux vous dire. La question ne me paraît pas de celles dont la dimension est si grande qu'elle doive occuper, permettez-moi de vous le dire, autant de colonnes que les journaux lui en consacrent. Mais enfin, peut-être je me trompe, et nous verrons bien. Oui ?
Journaliste 6
Monsieur le Président, je m'excuse de revenir à l'Algérie, mais le gouvernement [inaudible] une multiplicité [d'élites] en Algérie. J'aimerai savoir si le gouvernement compte prendre des dispositions pour assurer matériellement aux divers candidats la possibilité de faire connaître leur profession de foi et notamment si certaines mesures permettront à ces candidats d'avoir, à leur disposition, une presse et des imprimeries.
Charles de Gaulle
Le gouvernement assure, en Algérie, assurera, en Algérie comme dans la métropole, la possibilité aux candidats de faire connaître leur profession de foi, d'afficher ces professions de foi, de faire, bien entendu, distribuer leur bulletin, et même, au besoin, leur photographie. Mais il n'y a pas de doute là-dessus. Les ordres qui ont été donnés sont, du reste, très nets. Je ne peux pas me dissimuler, ni vous non plus, que dans des circonstances un peu particulières où se trouve, encore, hélas, l'Algérie, il puisse y avoir quelques difficultés d'interprétation par-ci, par-là. Je m'en rends parfaitement compte. Le gouvernement a établi, sur place, une commission de contrôle extrêmement sérieuse, extrêmement compétente avec tous les pouvoirs voulus pour remédier à la situation lorsque quelques difficultés pourront se produire. Tout ce que nous pouvons faire, nous le faisons. Voilà ce que je peux vous dire. Et quant à notre intention de voir paraître en particulier en ce qui concerne l'élément musulman, de voir paraître dans le Parlement français de demain, des hommes qualifiés, valables, quelle que soit leur opinion - il ne s'agit pas, bien entendu, de criminels -, quelle que soit leur opinion sur le destin de l'Algérie et sur celui de la France et sur tout autre sujets, nous souhaitons ardemment que cela se fasse. Et c'est d'ailleurs littéralement une des bases de notre politique, que l'Algérie se révèle politiquement. Cela durera, d'ailleurs, je le crois, assez longtemps. Ca ne se fera que pas à pas. Mais comme je le disais tout à l'heure, la voie est ouverte. Il faut la suivre. Et il n'y en a pas d'autre. Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre aimable attention. J'espère avoir éclairci les sujets qui vous préoccupaient essentiellement. Beaucoup d'autres pourraient être abordés. Tout cet ensemble est un tout. Il n'est pas douteux qu'à l'heure qu'il est, toutes les préoccupations, tous les soucis des Français où qu'ils soient sont concentrés sur le destin de leur propre pays qui va, en partie, se jouer aux élections de novembre. Et d'autre part, sur le terme que tout le monde espère, de la fin du drame algérien. Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre aimable attention.
(Silence)