Allocution du 30 janvier 1959

30 janvier 1959
10m 16s
Réf. 00025

Notice

Résumé :

Le 30 janvier 1959, depuis le Palais de l'Elysée, le général de Gaulle, en civil et assis à son bureau, prononce une allocution sur l'état de renouveau de la France. Il insiste néanmoins sur les efforts qu'il reste à accomplir pour atteindre le but recherché par lui et son gouvernement, à savoir sortir de la crise dans laquelle la faiblesse des institutions précédentes avait plongé le pays. En fin de discours, il évoque la situation en Algérie où, malgré les violences, la "pacification" se poursuit et où la France oeuvre pour la fraternité et le rapprochement des deux communautés, liées par un même destin.

Type de média :
Date de diffusion :
30 janvier 1959
Type de parole :

Éclairage

Président de la République depuis le 8 janvier 1959, ayant nommé le 9 janvier Michel Debré Premier ministre et constitué en collaboration avec lui un gouvernement assez proche de celui qu'il avait formé en juin 1958, le général de Gaulle s'adresse aux Français le 30 janvier 1959, au soir même de la clôture de la session extraordinaire de l'Assemblée nationale élue les 23 et 30 novembre 1958. La circonstance ne doit rien au hasard et les deux questions que le Général évoque dans son allocution sont celles qui apparaissent à ses yeux comme à ceux d'une grande partie du monde politique comme fondamentales, la nature des institutions d'une part, la question algérienne de l'autre. L'une et l'autre sont en effet au coeur du débat politique de ce début d'année 1959. Pour une bonne partie de l' Assemblée nationale récemment élue, il n'y a guère de différence, en dépit du texte constitutionnel, entre son rôle sous la IV° République et ses fonctions sous la V°, c'est-à-dire qu'à leurs yeux, il appartient aux élus de la nation souveraine de se prononcer, voire d'inspirer la politique gouvernementale. Or cette exigence est particulièrement forte concernant l'Algérie, nombre de députés ayant fortement rappelé leur volonté de voir son sort réglé selon les voeux des partisans de l'Algérie française.

Sous couvert d'un propos d'étape assez général, de Gaulle leur apporte une réponse claire sur ces deux points, tout en rappelant que le redressement national est commencé grâce à la volonté des Français et aux sacrifices consentis par eux. Sur les institutions, il réaffirme son attachement à la séparation des pouvoirs, cantonnant le Parlement à son rôle législatif et menaçant d'utiliser les armes que la constitution met à la disposition de " l'arbitre " (c'est-à-dire de lui-même), autrement dit la dissolution et le référendum, si le Parlement tentait de déborder ce cadre. Pour l'Algérie, il refuse d'indiquer d'avance la solution politique qui mettra fin au conflit, se contentant d'appeler à l'arrêt des combats (la " paix des braves " de la conférence de presse du 23 octobre 1956) et comptant sur le bulletin de vote dans un pays transformé politiquement, économiquement, socialement et culturellement par le développement pour dégager les voies de l'avenir.

Serge Berstein

Transcription

(Silence)
Charles de Gaulle
Sur le chemin du renouveau qui est celui de la France, où en sommes-nous ? Qu'en est-il des obstacles qui s'opposaient à notre marche quand nous avons pris la route ? Ce soir, je veux vous dire comment nous surmontons les difficultés dressées au dedans de nous-mêmes. Un autre jour, je vous parlerai de celles qui existent au dehors. La première barrière à franchir, c'était la confusion des pouvoirs qui paralysait l'Etat, et menait à la guerre civile. A présent, nous en sommes sortis. Un grand mouvement national et votre confiance massive m'ont permis de faire le nécessaire. Nous avons des institutions et nos affaires sont traitées. J'ai nommé un gouvernement que j'estime digne et capable de remplir sa rude mission. D'autre part, le Parlement va se consacrer à sa tâche législative. A lui aussi, je fais confiance. Ainsi les pouvoirs, séparés et équilibrés, disposent-ils de l'efficacité et de la stabilité. S'il arrivait qu'ils s'égarent, l'arbitre aurait désormais, et moyennant votre appui, les moyens de rétablir les choses. Efficacité, stabilité, c'est ce qu'il faut aux responsables qui dirigent l'effort de la Nation. Or, celle-ci est en plein changement. La chance, la belle et bonne chance que notre peuple a parfois rencontrée, voici qu'elle s'offre à nouveau. Comme moi, vous voyez grandir notre nombreuse jeunesse, vous apprenez la découverte de sources nouvelles d'énergie. Vous entendez l'appel de la technique qui retentit dans les laboratoires, les écoles, les campagnes et les ateliers. Vous sentez qu'une France toute jeune reprend le cours de l'histoire. Mais pour qu'elle trouve la base solide sur quoi construire sa puissance , nous devons mettre en ordre largement et profondément finances, monnaie, économie. Allons ! Tout le monde en est sûr. C'est ce que nous sommes en train de faire. A l'étonnement du monde entier, il va de soi qu'après beaucoup de négligences et de retards, cela exige des sacrifices. Ah, je sais bien ce qu'il en coûte à toutes les catégories, notamment aux plus modestes. Je sais bien ce que je demande à chacune, à chacun de vous. Je sais bien que c'est l'infanterie qui gagne toujours les batailles, et que la grandeur de la France n'a jamais été faite que par la masse de ses enfants. Mais je garantis que cette fois nous ne luttons pas pour rien. Et je puis dire aujourd'hui que l'entreprise est en bonne voie, malgré les désagréments subis par les uns et par les autres, malgré ce qu'ont à accepter, ouvriers, cultivateurs, commerçants, bourgeois, employés, fonctionnaires et beaucoup d'anciens combattants. La volonté du peuple français de se débarrasser de la pagaille, de l'inflation, de la mendicité, et d'éviter la grande culbute, apparaît en pleine lumière. Du coup se font voir, déjà, les signes avant-coureurs du redressement. Qu'il s'agisse de production, de rémunération, de prix, d'échange, de monnaie, d'harmonie sociale, les conditions de vie des français doivent être stabilisées avant la fin de cette année. A partir de là, la technique, l'épargne et le travail réaliseront leur oeuvre de prospérité générale.Cet ajustement peut provoquer au dedans quelques grincements, au dehors, tout le monde parie sur nous. Cependant, une lutte stérile se traîne encore en Algérie. Devant les épreuves traversées, rien n'est plus vain que de donner dans les slogans ou les rodomontades. Rien n'est absurde autant que d'afficher intransigeance et la guerre ou au contraire, de se livrer au renoncement et à l'abandon. La vérité, c'est qu'en ce moment même, le destin de l'Algérie se forge. Non pas du tout dans les mots, mais sur place et au fond des âmes. Que ce destin est essentiellement au dedans des algériens eux-mêmes. Qu'à ceux-ci pour s'exprimer, s'ouvre désormais la voie du vrai suffrage universel, la seule qui puisse être valable. Voie qui ira s'élargissant, et qui implique bien entendu la liberté et la sécurité. Que ce pays magnifique, mais écrasé par la misère et étouffé par la crainte, doit se transformer dans les domaines, politique, économique, social, culturel, pour façonner sa personnalité et se donner les moyens de vivre. Que cette grande oeuvre humaine de progrès et de pacification s'accomplisse avec la France et ne saurait s'accomplir autrement. Que toutes les Algériennes et que tous les Algériens qui ont de l'avenir dans l'esprit, et avant tout les jeunes gens ont vocation d'y concourir. A mesure que cela va se faire, on verra sans aucun doute paraître les éléments de la solution politique. Quant aux combats et aux attentats que certains s'acharnent à prolonger, ils retarderont, plus ou moins, l'évolution qui est en cours, mais ils ne pourront pas l'empêcher. Comme l'Algérie a choisi la paix, et que la France moins que jamais renonce à la lui assurer, la guerre ne peut mener à rien qu'à des misères inutiles. Il faudra bien en finir, alors pourquoi pas tout de suite ? A d'honorables conditions ainsi que je l'ai proposé. Françaises, français, nous allons de l'avant. C'est dire que nous devons passer encore des moments difficiles pour nous surmonter nous-mêmes et franchir les traverses. Nous avons des efforts à faire, mais le but est bien en vue qui nous paiera de nos peines. Après quoi, nous irons plus haut, plus fort, plus loin, mais n'est-ce pas la vie, cela ? Or nous sommes un peuple vivant, plein d'ardeur et vigoureux. Vive la République, vive la France !