Allocution radio-télévisée prononcée au palais de l'Elysée le 16 septembre 1959

16 septembre 1959
22m 52s
Réf. 00043

Notice

Résumé :

Dans l'allocution radiodiffusée et télévisée du 16 septembre 1959, le général de Gaulle dévoile son plan, longuement médité, pour une solution politique du problème "difficile et sanglant" de l'Algérie, et pose le principe de l'autodétermination. Ainsi, il appelle le peuple algérien lui-même à choisir lors d'un référendum entre trois voies : la "sécession" entre les deux pays, la "francisation", c'est-à-dire l'intégration pleine et entière de l'Algérie à la métropole, et enfin une solution intermédiaire qui laisserait une large autonomie interne au pays, à l'intérieur de la Communauté française. Le général insiste ensuite sur la nécessaire pacification du territoire algérien avant toute consultation.

Type de média :
Date de diffusion :
16 septembre 1959
Type de parole :

Éclairage

Depuis son retour au pouvoir, le général de Gaulle a poursuivi une double politique dont l'objet est de maintenir l'Algérie dans l'ensemble français : une pacification militaire que conduit désormais le Général Challe et un développement économique et social défini par le plan de Constantine, mis en oeuvre par le délégué général Delouvrier. Mais sur le plan politique, le FLN a ignoré son appel à une reddition honorable - la "paix des braves", proposée dans sa conférence de presse du 23 octobre - et rejette toute autre solution que l'indépendance, cependant que la majorité des Européens d'Algérie réclament "l'intégration" de l'Algérie à la France. Pour sortir de l'impasse, de Gaulle annonce une décision capitale : le droit des Algériens de choisir leur destin par l'autodétermination, leur donnant le choix entre trois options, la Sécession, c'est-à-dire la rupture complète avec la France, la Francisation, c'est-à-dire l'intégration totale, l'Association qui maintiendrait une personnalité algérienne, mais assurerait à l'Algérie l'appui et le soutien de la France sur tous les plans, recommandant pour sa part la troisième solution.

Serge Berstein

Transcription

(Silence)
Charles de Gaulle
Notre redressement se poursuit. Certes il ne faut pas nous vanter. Dans le domaine technique par exemple, nous n'en sommes pas encore au point de lancer des fusées dans la lune. Cependant depuis quinze mois, nos affaires ont avancé. L'Unité Nationale est ressoudée. La République dispose d'institutions solides et stables. L'équilibre des finances, des échanges, de la monnaie est fortement établi. Par là même, la condition des français et notamment celle des travailleurs industriels et agricoles échappe au drame de l'inflation et à celui de la récession. Sur la base ainsi fixée, on peut bâtir le progrès social, organiser la coopération des diverses catégories dont l'économie dépend, poursuivre la tâche essentielle de formation de notre jeunesse, développer nos moyens de recherches scientifiques et techniques. D'autre part la communauté est fondée entre la France: onze états d'Afrique et la République malgache. Enfin dans le Monde où il s'agit tout à la fois de sauvegarder la liberté et de maintenir la paix, notre voix est écoutée. Pourtant devant la France, un problème difficile et sanglant reste posé: celui de l'Algérie. Il faut le résoudre. Nous ne le ferons certainement pas en nous lançant les uns, les autres à la face, les stériles et simplistes slogans de ceux-ci ou de ceux-là qu'obnubilent, au sens opposé, leurs intérêts, leurs passions, leurs chimères, nous le ferons comme une grande nation. Et par la seule voie qui vaille, je veux dire, là, le choix que les algériens eux-mêmes feront de leur propre destin. Il faut dire que beaucoup a été fait déjà pour préparer cette issue par la pacification d'abord, car tant qu'on tire et qu'on égorge, rien ne peut être réglé. Je ne dis pas qu'à cet égard, nous en soyons au terme. Mais je dis qu'il n'y a aucune comparaison entre ce qu'était voici deux ou trois années la sécurité des personnes et des biens et ce qu'elle est aujourd'hui. Notre Armée accomplit sa tâche courageusement et habilement, non seulement en combattant l'adversaire, mais aussi en prenant avec la population des contacts larges et profonds qui n'avaient jamais été pris, que nos soldats, en particulier les 120.000 qui sont musulmans aient fléchi devant leur devoir ou que la masse algérienne se soit tournée contre la France, alors c'était le désastre. Mais comme cela n'est pas arrivé, le succès de l'ordre public bien qu'il ne soit pas encore imminent est maintenant clairement en vue. La deuxième condition d'un règlement, c'est que tous les algériens aient le moyen d'exprimer leur volonté par un suffrage vraiment universel. Jusqu'à l'année dernière, ils ne l'avaient jamais eu. Ils l'ont à présent grâce à l'égalité des droits, au collège unique, au fait que les communautés les plus nombreuses, celles des musulmans sont assurées d'avoir dans tous les scrutins une grande majorité d'élus. Ca a été là un changement de la plus vaste portée, littéralement une révolution. Le 28 septembre dernier, les algériens ont donc voté la Constitution et manifesté à ce sujet, leur intention que leur avenir se fasse avec la France. Le 30 novembre, ils ont élu leurs députés, le 19 avril, leurs conseillers municipaux, le 31 mai, leurs sénateurs, je sais bien qu'il ne manque pas de gens pour prétendre que dans la situation où se trouvent les électeurs pressés par les forces de l'ordre et menacés par les insurgés,;de telles consultations n'ont pu être sincères que dans une mesure limitée. Cependant elles ont eu lieu dans les villes et dans les campagnes avec une grande masse de votants et même lors du référendum, le concours a été général, spontané et enthousiaste. En tout cas, la voie est ouverte, à mesure de l'apaisement, elle pourrait être utilisée encore plus largement et encore plus librement. Dès l'an prochain, seront élus les conseils généraux d'où l'on pourra tirer les grands conseils, certains grands conseils économiques administratifs, sociaux, qui délibèreront auprès du délégué général du développement de l'Algérie. Car pour résoudre la question algérienne, il ne suffit pas de rétablir l'ordre et de donner aux gens le droit de disposer d'eux-mêmes. Il faut traiter un problème humain. Là végètent des populations doublant tous les trente-cinq ans sur une terre en grande partie inculte dépourvue de mines, d'usines, de sources puissantes d'énergie. Ces populations sont pour les trois-quarts plongées dans une misère qui est comme leur nature. Il faut que les algériens puissent vivre en travaillant, que leurs élites se dégagent et se forment, que leurs sols et leurs sous-sols produisent beaucoup plus et beaucoup mieux, cela implique un vaste effort de mise en valeur économique et de développement social or cet effort est en cours. En 1959, la France aura dépensé en Algérie pour ne parler que des investissements publics et des frais de gestion civile, environ 200 milliards. Elle en dépensera davantage dans chacune des années prochaines à mesure que se réalisera le plan de Constantine. Depuis 10 mois une centaine d'usines ont demandé à s'installer. 8.000 hectares de bonne terre sont en voie de distribution à des cultivateurs musulmans. 50.000 algériens de plus travaillent dans la Métropole. Le nombre des emplois publics occupés par des algériens, par des musulmans s'est augmenté de 5.000. Et quant aux écoles, l'actuelle rentrée les voit recevoir 860.000 enfants; alors que la rentrée dernière en voyait arriver 700.000 et celle d'avant 560.000. Dans 6 six semaines, le pétrole d'[Assimesaoud] arrivera à la côte à Bougis. Dans un an, celui d'[Edgelé] atteindra le Golfe de Gabes. En 1960, le gaz d'[Assirmèle] commencera à être distribué à Alger et à Oran en attendant qu'il ne soit à Bône que la France veuille et qu'elle puisse poursuivre cette vaste entreprise avec les algériens, entreprise dont seule elle est capable. Dans 15 ans, l'Algérie sera un pays prospère et productif. Grâce au progrès de la pacification, au progrès démocratique, au progrès social, on peut maintenant discerner le moment où les femmes et les hommes qui habitent l'Algérie seront en mesure de décider de leur destin une fois pour toutes, librement en connaissance de cause. Compte tenu de toutes les données algériennes, nationales, internationales du problème; je considère comme nécessaire que ce recours à l'autodétermination soit proclamé aujourd'hui. Je poserai la question aux algériens, en tant qu'ils sont des individus, car depuis que le Monde est le Monde, il n'y a jamais eu d'unité, ni à plus forte raison de souveraineté algérienne. Carthaginois, romains, vandales, byzantins, arabes de Syrie, arabes de Cordoue, turcs, français ont tour à tour pénétré le pays sans qu'à aucun moment et d'aucune façon il y ait eu un état algérien. Quant à la date du vote, je la fixerai le moment venu, mais au plus tard quatre années après la paix revenue. J'entends par là une situation telle qu'embuscade et attentat ne coûteront pas la vie de plus de 200 personnes en un an. Ce critérium permettra de commencer la période où tout devrait être remis en place où les libertés publiques et individuelles seront rétablies, où la vie normale reprendra, où les prisons et les camps seront vidés, où les exilés pourront rentrer et où la population sera en mesure de prendre conscience de l'enjeu. Je déclare d'avance que j'invite à cette consultation, à assister à cet aboutissement décisif, j'invite les informateurs du Monde entier et je leur garantis qu'ils pourront faire leur office sans entrave. Mais ce destin politique que les algériennes et les algériens auront à choisir dans la paix: quel peut-il être? Comme il est de l'intérêt de tout le Monde et comme il est dans l'intérêt de la France que la question soit tranchée sans aucune ambiguïté en regardant les choses comme elles sont. En fait de destin politique, chacun sait qu'on peut en imaginer trois. Eh bien, les trois solutions concevables feront l'objet de la consultation. Ou bien la sécession où certains croient trouver l'Indépendance. Alors la France quitterait les algériens qui auraient manifesté la volonté de se séparer d'elle. Ils organiseraient sans elle le territoire où ils habitent, les ressources dont ils peuvent disposer, le Gouvernement qu'ils souhaitent. Pour ma part, je considère qu'un tel aboutissement serait invraisemblable et désastreux. L'Algérie étant actuellement ce qu'elle est et le Monde ce que nous savons, la conséquence de la sécession serait une misère épouvantable, un affreux chaos politique, un égorgement généralisé et bientôt la dictature belliqueuse des communistes. Mais il faut que le démon soit exorcisé et qu'il le soit par les algériens. Car si par un extraordinaire malheur, il devait arriver que telle fût leur volonté, la France cesserait à coup sûr de consacrer tant de valeur et tant de milliards à une cause sans espérance. Dans cette triste hypothèse, il va de soi que ceux des algériens de toute origine qui voudraient rester français, le resteraient. Que la France réaliserait si c'était nécessaire leur regroupement et leur établissement et que toute disposition serait prise pour que l'exploitation, l'acheminement, l'embarquement, du pétrole saharien qui sont l'oeuvre de la France et qui intéressent tout l'Occident soient assurés quoi qu'il arrive. Ou bien la francisation complète telle qu'elle est d'ailleurs impliquée dans l'égalité des droits. Les algériens pouvant accéder à toutes les fonctions politiques, administratives, judiciaires, entrer dans tous les services publics bénéficiant en fait de traitement, de salaire, d'assurances sociales, d'instruction, de formation professionnelle, de toutes les dispositions prévues pour la Métropole résidant et travaillant où bon leur semble, sur toute l'étendue du territoire de la République. Bref vivant en moyenne sur le même pied, au même niveau que les autres citoyens et faisant partie intégrante du peuple français qui dès lors s'étendrait effectivement depuis Dunkerque jusqu'à Tamanrasset. Ou bien le gouvernement des algériens par les algériens appuyé sur l'aide de la France et en union étroite avec elle pour l'économie, l'enseignement, la Défense, les relations extérieures. Dans ce cas, il faudrait que le régime intérieur de l'Algérie fût du type fédéral pour que les communautés diverses, françaises, arabes, kabyles, mosabites etc., qui cohabitent dans le pays, y trouvent des garanties de leur vie propre et un cadre pour leur coopération. Mais puisque depuis l'année dernière, par le suffrage égal, le collège unique, la représentation musulmane majoritaire, il est acquis que de toute façon l'avenir des algériens est dans les mains des algériens puisqu'il est aujourd'hui proclamé solennellement et formellement qu'une fois la paix revenue les algériens feront connaître le destin qu'ils veulent adopter, qu'ils n'en auront pas d'autre et que tous quel que soit leur programme, quoi qu'ils aient fait et d'où qu'ils viennent pourront s'ils le veulent participer à la consultation, quel est le sens de l'insurrection? Si ceux qui la dirigent revendiquent pour les algériens le droit de disposer d'eux-mêmes, eh bien les voies sont ouvertes. Si les insurgés craignent qu'en cessant la lutte ils ne soient exposés à être livrés à la justice, Il ne tient qu'à eux de régler avec les autorités, les conditions de leur libre retour comme je l'ai proposé en offrant la paix des braves. Si les hommes qui constituent l'organisation politique du soulèvement entendent n'être pas mis à l'écart des débats, des scrutins, des institutions qui règleront le sort de l'Algérie et assureront sa vie politique, j'affirme qu'ils auront comme les autres et ni plus ni moins la place, l'audience, la part que leur assureront les suffrages des citoyens. Encore une fois, les combats odieux, les attentats fratricides qui ensanglantent encore l'Algérie, pourquoi continueraient-ils désormais. A moins que ne soit à l'oeuvre un groupe de meneurs ambitieux qui sont résolus à établir par la force et par la terreur leur dictature totalitaire et qui se figurent qu'un jour la République leur accordera le privilège de traiter avec eux de l'avenir politique de l'Algérie, les bâtissant par là même comme un gouvernement algérien. Il n'y a aucune chance pour que la France se prête à un pareil arbitraire. Le sort des algériens appartient aux algériens, non pas comme le leur imposeraient les couteaux et les mitraillettes, mais comme ils le diront eux-mêmes, légitimement par le suffrage universel. Avec eux et pour eux, la France garantira la liberté de leur choix. Pendant les quelques années qui s'écouleront avant l'échéance, il y aura beaucoup à faire pour que l'Algérie toute entière mesure les tenants et les aboutissants de sa propre détermination. Je compte moi-même m'y employer. D'autre part, le moment venu, les modalités de la future consultation devront être en détail élaborées et précisées. Mais la route est tracée, la décision est prise, la partie est digne de l'avance.