De Gaulle et les Etats-Unis
Introduction
Le général de Gaulle est souvent considéré comme l'un des champions de l'anti-américanisme. Mais s'il estime que l'indépendance du pays est une exigence vitale, il n'en envisage pas moins les États-Unis comme les alliés naturels de la France.
L'Allié de la Seconde Guerre mondiale
Appel aux Américains
En juin 1940, après la débâcle et la signature de l'armistice, le général de Gaulle lance, sur les ondes de la BBC, ses premiers appels à la résistance. Il y conjure aussi les États-Unis à se joindre aux combats, et à jeter dans la guerre leur "immense industrie". Pour lui, l'implication de cet allié de la Première Guerre mondiale est la condition sine qua non pour vaincre les envahisseurs de la France.
De Gaulle réclame l'aide des Américains
Appel à continuer la lutte
Le maréchal Pétain vient d'accepter les exigences de l'ennemi, le général de Gaulle dévoile ce qu'elles signifient dans une allocution diffusée par la BBC. Il affirme que la France, dans ses profondeurs, ne peut que refuser un tel accord. Il appelle les militaires, les ingénieurs et les ouvriers français à le rejoindre afin de continuer la lutte.
Imposer la France Libre
Une fois les États-Unis engagés dans la guerre, il faut encore au Général imposer sa France Libre auprès des Alliés. Et Roosevelt n'a guère confiance en de Gaulle. En septembre 1940, celui-ci est d'ailleurs écarté du débarquement en Afrique du Nord. La timide reconnaissance du chef du CFLN par les Américains, devient - au fur et à mesure de l'implication des combattants français dans le conflit - inéluctable. Et à l'été 1944, peu après la libération de Paris, le général de Gaulle se rend pour la première fois aux États-Unis où il est accueilli par la population comme le grand héros de la France combattante.
Débarquement en Afrique du Nord : la marginalisation de la France Libre
Discours de l'Albert Hall
Du long (près de huit pages dans l'édition Plon du tome 1 des "Discours et Messages") et magnifique discours prononcé par le général de Gaulle le 11 novembre 1942, le document ci-joint ne présente que quelques paragraphes. Diffusés le 1er janvier 1943, c'est-à-dire après l'assassinat de l'amiral Darlan et alors que la crise ouverte par le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord est entrée dans une phase moins aigue, ces extraits rappellent l'essentiel du message martelé par de Gaulle le 11 novembre. L'homme du 18 Juin y rend hommage au combat et aux sacrifices de la France combattante. Il y affirme envers et contre tous - et notamment les Alliés ! - que "c'est dans la France combattante que toute la France doit se rassembler". En d'autres termes, seuls celles et ceux qui, dès le premier jour, en France même ou avec de Gaulle, se sont dressés contre l'occupation et contre le régime de Vichy sont habilités à donner à la France "la direction de son combat".
De Gaulle évite à la France libérée d'être gouvernée par les Alliés
6 juin 1944: "La bataille suprême est engagée"
Le général de Gaulle annonce l'engagement de la "bataille suprême" sous l'impulsion des gouvernements et des forces alliées. Mais immédiatement après il entreprend de jouer sa propre partition. Il fait de la lutte qui commence celle de la France et appelle ses compatriotes à "combattre, par tous les moyens dont ils disposent". Ce faisant, il s'oppose diamétralement au gouvernement de Vichy qui, au même moment, adjure les Français de ne pas s'engager. Plus encore, après avoir rappelé la renaissance glorieuse des armées françaises, de Gaulle invite celles et ceux qui prendront les armes à ne suivre les ordres que des "chefs français" qualifiés par le gouvernement français "à l'échelon national et à l'échelon local". L'opposition aux velléités alliées de prendre provisoirement les commandes en France est donc frontale. L'homme du 18 Juin conclut par un appel à l'unité au service de la grandeur de la France.
Hommage au peuple américain
Voeux aux Américains pour leur fête nationale
Deux jours avant de s'envoler pour les Etats-Unis, le général de Gaulle adresse quelques mots en anglais au peuple américain à l'occasion de la célébration de l'"Independance Day". Il salue l'engagement déterminant des Etats-Unis au service de la liberté du monde.
Le monde a changé
Au sortir de la guerre, si le Général parvient à hisser la France au rang des vainqueurs, celle-ci n'est pourtant ni invitée à Yalta, ni à Potsdam. Le président du Gouvernement Provisoire de la République Française accepte les décisions prises par les trois grands gagnants de la guerre, mais il n'en conçoit pas moins qu'il faille un jour, une fois la France relevée, se défaire de ce nouvel ordre mondial. Retiré du pouvoir, de Gaulle se lance dans l'aventure du Rassemblement du Peuple Français : dans ses discours, il soutient les États-Unis dans leur combat contre les menaces soviétiques, tout en affirmant, déjà, la nécessité d'une France et d'une Europe maîtresses de leurs destinées.
De Gaulle impose le GPRF comme seul maître de la France
Pour une Europe maîtresse d'elle-même, mais alliée aux États-Unis
Plaidoyer pour une Europe forte et indépendante
Face à l'expansionnisme soviétique, le général de Gaulle, dans une allocution prononcée à Nîmes, souhaite l'engagement américain pour la défense des libertés en Europe mais affirme que l'alliance ne peut se réaliser que dans le respect de la souveraineté des Etats. La France doit donner l'exemple de la fermeté, mais pour cela il lui faut un Etat qui en soit un.
1958/1969 : "La politique de la grandeur"
De retour au pouvoir en 1958, de Gaulle engage une politique où la France doit peser sur le destin du monde : elle doit retrouver son rang sur la scène diplomatique, elle doit être capable de défendre elle-même ses intérêts. Refusant la domination des deux blocs, soviétique et américain, le général de Gaulle s'applique à faire émerger la France qui, inscrite au sein d'une Europe forte, doit apparaître comme une troisième voie possible dans un monde bipolaire.
L'ami américain
Les États-Unis n'ont jamais été en guerre contre la France, et ils sont avant tout un allié : lors des dernières crises de la Guerre froide, le président de Gaulle soutient indéfectiblement les Américains face aux velléités de l'empire soviétique (affaire de l'avion-espion américain abattu en territoire russe en mai 1960 ; construction du mur de Berlin en août 1961 ; crise des fusées cubaines à l'été 1962). Au moment de la Détente, cette alliance avec le monde libre ne l'empêche pourtant pas de déployer la diplomatie française vers l'Est.
De Gaulle reçoit Eisenhower à Paris
Du côté des peuples libres
Discours à Washington
A l'occasion d'un voyage officiel aux Etats-Unis, le Président français est reçu à Washington au Capitole, par les membres de la Chambre des Représentants et du Sénat. Il prononce un discours dans lequel il célèbre l'amitié et la coopération franco-américaines, tout en rappellant les dangers d'affrontement qui menacent la communauté internationale.
La France dans la Guerre froide : l'alliée des Américains
Conférence de presse donnée à Washington
Au cours d'un voyage en Amérique, le Général donne une conférence de presse au National Press Club de Washington. Il évoque les enjeux de la Conférence au sommet de Paris qui doit se tenir le mois suivant entre les quatre pays administrateurs de Berlin.
Refus du protectorat militaire
Si de Gaulle reste un allié fidèle des États-Unis, il refuse pourtant toute idée de placer la France sous le protectorat américain. Pour lui, la primauté de l'État-nation est essentielle, et il se méfie des organisations supranationales ou des systèmes d'alliance contraignants. Or, en 1958, la sécurité de la France est tout entière placée sous la protection du "parapluie nucléaire" américain. Pour pallier cette domination, de Gaulle poursuit une double politique : sortir progressivement de l'intégration de l'OTAN, et bâtir une force de frappe nucléaire qui permette au pays de disposer d'arguments de dissuasion.
Se désengager de l'OTAN
La politique d'autonomisation poursuivie par de Gaulle conduit la France à relâcher progressivement les liens qui l'unissent à l'OTAN - placé sous domination américaine :
- Retrait de la flotte française du commandement intégré (Méditerranée en mars 1959, Manche et Atlantique en juin 1960).
- Retrait du commandement intégré de l'OTAN en février 1966 (au printemps 1967, toutes les bases américaines et canadiennes sont évacuées).
Mais ce n'est pas un abandon : la France continue de collaborer avec l'OTAN et reste en liaison avec le Comité militaire. Et en avril 69, de Gaulle reconduit le pacte Atlantique venu à expiration.
Conférence de presse du 21 février 1966
Le général de Gaulle débute la conférence de presse en annonçant les sujets qu'il compte développer. Il commence par analyser les résultats de l'élection présidentielle des 5 et 19 décembre 1965 : il se sent confirmé dans sa fonction présidentielle et approuvé dans sa politique extérieure. Le Général aborde ensuite l'affaire Ben Barka, et dément toute implication des services secrets français ou du gouvernement dans l'enlèvement et la disparition du leader marocain. Puis il développe longuement la question de l'OTAN. Il met en avant l'inadéquation de l'organisation de la défense occidentale avec le nouveau contexte stratégique mondial et avec les ambitions de la France, désormais puissance nucléaire à part entière. Il déclare qu'en conséquence, la France va continuer à modifier les clauses de son adhésion au Pacte atlantique. De Gaulle revient ensuite sur la crise européenne de la "chaise vide", crise qui s'est terminée par le "compromis de Luxembourg" le 29 janvier. Enfin, il conclut la conférence par quelques mots sur la situation au Vietnam.
Rupture avec l'OTAN
Bâtir la force de frappe française
Ces ambitions d'indépendance nationale ne peuvent être dissociées de la constitution d'une force nucléaire de dissuasion. Ainsi, à son retour au pouvoir, le général de Gaulle reprend-il à son compte les études réalisées par la IVe République depuis 1954. Dotée de la bombe atomique (février 1960), puis de la bombe à hydrogène (août 1968), et d'un arsenal militaire capable de les rendre opérationnelles (les Mirages IV, le sous-marin nucléaire Le Redoutable...), la France accède au statut de grande puissance. Cette force nucléaire lui garantit son indépendance et permet à de Gaulle de refuser la proposition de force multilatérale avancée par Kennedy en 1962.
L'indispensable force de frappe
Vision de la Défense de la France
Le général s'adresse à l'Ecole militaire à Paris, aux auditeurs de l'Institut des Hautes études de la Défense nationale et aux stagiaires de l'Enseignement militaire supérieur, pour affirmer la nécessité pour la France de disposer de sa totale indépendance en matière de défense. Cette allocution fera sensation dans la mesure où, à l'époque, une partie des forces françaises se trouve placée sous le commandement militaire intégré de l'OTAN.
Refus de la force multilatérale proposée par Kennedy
Conférence de presse du 14 janvier 1963 (sur l'entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE)
Les thèmes abordés lors de cette conférence de presse concernent la politique intérieure et extérieure : la réforme constitutionnelle récente, le développement économique, l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, les relations Est-Ouest, l'indépendance nationale en matière de défense, la conférence des Bahamas, le désarmement et, enfin, les relations Franco-Allemandes. En politique intérieure, le Général revient d'abord sur le récent référendum sur l'élection du Président de la République au suffrage universel. Il enchaîne ensuite sur la politique économique menée pour transformer la France, et insiste sur l'application du Plan qui fixe les objectifs et donne les moyens d'y parvenir. En politique extérieure, le sujet principal est l'entrée de Grande-Bretagne dans le Marché Commun. De Gaulle explique longuement pourquoi l'entrée de l'Angleterre pose "des problèmes d'une très grande dimension". Sur l'accord des Bahamas entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, de Gaulle répète, une nouvelle fois, que sans rejeter l'alliance atlantique, la France "entend avoir en propre sa défense nationale". Enfin, le Général évoque les relations franco-allemandes, et affirme la nécessaire coopération des deux pays, condition et fondement même de la construction de l'Europe.
Refus de la servitude économique et technique
De Gaulle s'affranchit de l'étalon-dollar
En février 1965, le général de Gaulle annonce sa volonté d'échanger les dollars que le pays possède contre de l'or, seule base capable de garantir l'équilibre du système monétaire international, et de permettre l'affranchissement des activités économiques de la France face aux devises américaines. L'exaspération des États-Unis refroidit alors des relations franco-américaines déjà tendues.
Le retour à l'étalon-or
Conférence de presse du 4 février 1965
Conférence de presse donnée au palais de l'Elysée le 4 février 1965. Dans le décor et avec le cérémonial habituel, le général de Gaulle prononce une courte formule de bienvenue, puis aussitôt il invite l'assistance à l'interroger. Après une boutade sur la santé du chef de l'Etat, les questions posées portent sur quatre grands chapitres : la politique des revenus, la réforme du système monétaire international, la crise de l'ONU, la question du devenir de l'Allemagne et de son éventuelle réunification, enfin les relations avec la Grande Bretagne.
L'âge d'or de la technologie française
Le président de Gaulle conduit une politique en faveur de la recherche scientifique qui doit assurer le rayonnement et l'autonomie technologique de la France : le Concorde, l'IRIS 50 - premier ordinateur français issu du "Plan calcul" - ou les innovations liées à la production énergétique doivent aider le pays à se défaire de la domination des Américains qui s'exerce aussi dans ces domaines.
Conquérir l'indépendance énergique
Allocution prononcée lors de l'inauguration de l'usine marémotrice de la Rance
Le 26 novembre 1966, le général de Gaulle inaugure la nouvelle usine marémotrice de la Rance. Une visite officielle des installations est suivie des discours de Pierre Massé, président d'EDF, et du président de la République.
Refus de l'hégémonie diplomatique
Condamnation de la guerre du Vietnam
De Gaulle a toujours désapprouvé et déconseillé l'intervention militaire au Vietnam, convaincu qu'il est impossible d'y gagner une guerre. À partir de 1963, il prend ouvertement parti pour l'indépendance et l'autodétermination des peuples d'Indochine, et en septembre 1966, il prononce au Cambodge, le retentissant discours de Phnom Penh : il y engage les Américains à évacuer leurs troupes, prédisant une lourde défaite.
De Gaulle réprouve l'intervention américaine au Vietnam
Discours de Phnom-Penh
Au cours d'un voyage officiel au Cambodge, le 1er septembre 1966, le général de Gaulle prend la parole au complexe sportif national de Phnom-Penh, devant cent mille personnes. Il déclare que le conflit engagé par les Etats-Unis au Vietnam est sans issue, il fait un parallèle avec le désengagement français en Algérie et en Indochine, quelques années plus tôt, et il affirme le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Pour une diplomatie autonome, appels aux indépendances
Le général de Gaulle refuse que la politique internationale française soit dominée par les positions américaines. Ainsi la diplomatie des Etats-Unis est-elle agacée lorsque la France reconnaît la Chine en 1964, ou quand de Gaulle, en voyage en Amérique du Sud (1964) ou au Québec (1967), lance des appels aux indépendances nationales. De plus, le Général, qui condamne l'idée d'un monde exclusivement dominé par deux blocs, déploie sa politique vers l'Est en affichant une volonté de dialogue avec les dirigeants soviétiques.
De Gaulle encourage les Mexicains à l'indépendance
Voyage au Mexique
Le 16 mars 1964, le général de Gaulle, en voyage officiel au Mexique, prend la parole en espagnol devant la population de Mexico, depuis le balcon du palais national place du Zocalo. Le lendemain et le surlendemain, la tournée triomphale du Général se poursuit : dépose d'une gerbe à la colonne de l'indépendance, visite d'une cité ouvrière, danses traditionnelles, réception et discours à la Chambre des députés, visite à la colonie française, au lycée français et à l'Université de Mexico.
"Vive le Québec libre !"
Voyage du général de Gaulle au Québec
Le général de Gaulle, débarqué du croiseur Colbert, est accueilli au Québec, à l'Anse-au-Foulon, par le gouverneur général. Il prononce un bref discours de remerciement. En remontant la "route du roy", le Général fait halte dans plusieurs villes. Il prononce un discours depuis l'Hôtel de Ville de Québec, depuis la place de Trois-Rivières, puis il lance à la foule rassemblée à Montréal le fameux "Vive le Québec libre !", qui fait couler beaucoup d'encre. Il assiste enfin à un banquet donné en son honneur, avant de regagner la France par avion.
Conclusion
De Gaulle a donc farouchement poursuivi une politique d'indépendance diplomatique, militaire, économique et technique face au géant américain, qui reste néanmoins l'allié éternel. S'il souhaite voir la France peser sur la destinée du monde, il cherche également à assurer la cohésion du peuple français, en suscitant un sentiment national de grandeur et de puissance. Après une période de dissentiments, l'arrivée de Richard Nixon à la tête des États-Unis en février 1969 inaugure le réchauffement progressif des relations franco-américaines.