Plaidoyer pour une Europe forte et indépendante

07 janvier 1951
03m 56s
Réf. 00323

Notice

Résumé :

Face à l'expansionnisme soviétique, le général de Gaulle, dans une allocution prononcée à Nîmes, souhaite l'engagement américain pour la défense des libertés en Europe mais affirme que l'alliance ne peut se réaliser que dans le respect de la souveraineté des Etats. La France doit donner l'exemple de la fermeté, mais pour cela il lui faut un Etat qui en soit un.

Type de média :
Date de diffusion :
07 janvier 1951
Type de parole :

Éclairage

La Guerre froide a atteint en 1950 un paroxysme avec la guerre de Corée et l'internationalisation - avec le soutien financier apporté par les Etats-Unis - de la guerre menée par la France en Indochine. Ainsi, le 4 janvier 1951, une offensive viet-minh, sous la direction du Général Giap, est lancée contre Hanoi. Le sentiment de peur qui découle de ce contexte, en Europe, a provoqué une prise de conscience de l'urgence d'organiser la défense militaire de l'Europe. L'alliance militaire, créée depuis 1949 par le traité de l'Atlantique entre dix Etats de l'Ouest et les Etats-Unis, doit être renforcée, parallèlement à la mise en place de l'OTAN, par une organisation strictement européenne. Une telle réalisation nécessite le réarmement de l'Allemagne, ce qui soulève des réticences fortes, en particulier en France. L'initiative vient des Etats-Unis en septembre 1950 et aboutit à un projet d'armée européenne, élaboré par Jean Monnet et présenté le 26 octobre : c'est le projet de Communauté européenne de défense (CED). Les oppositions les plus vives émanent des communistes et des gaullistes. Ainsi, le 7 janvier - le jour où de Gaulle intervient - l'arrivée à Paris du Général Eisenhower, nommé chef des forces alliées en Europe suscite des manifestations communistes.

De Gaulle poursuit, depuis la création du RPF en 1947, ses voyages à travers la France pour présenter ses objectifs. L'enjeu est de plus en plus important au fur et à mesure que la date des élections législatives, tant attendues par le RPF, approchent (17 juin). Le discours du Général s'inscrit comme toujours dans une vaste analyse de la situation internationale qui lui sert à souligner la gravité du contexte et l'impérative nécessité d'un gouvernement fort pour tenir le cap. Il se montre, ici, très favorable à l'union de l'Europe et il souligne les liens étroits entre l'Europe et l'Amérique. Une telle position ne doit pas surprendre : ces principes, de Gaulle les a toujours affirmées. La divergence ou l'originalité gaulliste tient aux modalités de leur mise en place. De Gaulle défend l'indépendance de la politique militaire et étrangère de la France en refusant toute perte de souveraineté, qu'il s'agisse de la construction de l'Europe ou de relations avec les Etats-Unis. Les gaullistes l'ont montré en 1953-1954 en s'opposant à la CED et plus tard, en retirant la France de l'OTAN (1966).

Bibliographie :

Fondation Charles de Gaulle-Université de Bordeaux 3, De Gaulle et le RPF 1947-1955, Paris, Armand Colin, 1998.

Bernard Lachaise

Transcription

Charles de Gaulle
Le combat qui fait rage en Corée et au Tonkin incite à réveiller le monde. Les peuples discernent, en se frottant les yeux, que les rideaux sont ouverts sur la dure lumière du danger. A Washington comme à Paris, à Rome comme à Londres, à Bonn comme à Madrid, ce sommeil au bord du gouffre, cette illusion voulue, cette indifférence forcée où on se trouvait plongé quand on redoutait d'y voir clair, voici qu'il faut y renoncer. Au grand jour des événements, les jeux sans joie des partisans prennent un aspect lugubre et dérisoire. Les concessions qu'on avait prodiguées à ceux dont on craignait la menace dans l'espoir qu'en les comblant, ils s'assoupiraient, eux aussi, ces concessions paraissent ce qu'elles sont, c'est-à-dire ruineuses et inutiles. On s'aperçoit que les seules chances sont la force et la fermeté.
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
Américains, je vous dis, ici : " Défendez l'Europe. Elle a besoin de vous et vous avez besoin d'elle ".
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
"Mais, dites-vous, elle est troublée, amère, divisée". Oui, mais parmi les nations encore libres de l'ancien continent, aucune n'a encore repris son équilibre. D'accord, mais malgré le péril qui les menace toutes, il faut soulever les montagnes pour les décider à s'unir. C'est vrai, pourtant, malgré tout ce qu'il y a, dedans, d'incertain et de déroutant pour vous, l'Europe est là, pleine d'hommes et de moyens, liée à votre Amérique par les mille liens essentiels et imbriquée à la vie et à l'Amérique d'une manière profonde. Malgré toutes ces angoisses, elle est là. Bien sûr, qu'en définitive, la route que suivra l'univers sera celle qu'elle-même aura prise. Croyez-moi, [que] son sort est lié directement au vôtre.