Peter Brook à propos de La Cerisaie de Tchekhov
Notice
En 1981, Peter Brook met en scène La Cerisaie de Tchekhov aux Bouffes du Nord. Un an plus tard, il réalise pour la télévision une version filmée de la création. Entre réalisme et poésie, la pièce joue avec les contrastes. Le metteur en scène évoque dans un entretien la complexité de l'œuvre. Le reportage propose également en extrait la fin du troisième acte.
Éclairage
En 1982, Peter Brook réalise pour FR3 une version filmée de sa mise en scène de La Cerisaie de Tchekhov. Celle-ci fut créée en 1981 aux Bouffes du Nord (où elle fut reprise deux ans plus tard), dont le film reprend le cadre. Jean-Claude Carrière a adapté la pièce pour la création. La scénographie et les costumes furent conçus par Chloé Obolensky, la musique par Marius Constant. Le rythme de la mise en scène, qui dure près de deux heures, est particulièrement enlevé, contrairement à nombre d'interprétations qui jouent des pauses et des silences à l'intérieur du dialogue. Si l'ensemble du théâtre, assimilé à la vieille maison de la pièce, est investi par le jeu des comédiens, l'espace demeure dépouillé et trahit la ruine des propriétaires du domaine. Le décor consiste essentiellement en une accumulation de tapis, déjà présents dans La Conférence des oiseaux, une précédente création du metteur en scène.
L'extrait proposé par le reportage correspond à la fin de l'acte III : Lopakhine (interprété par Niels Arestrup) arrive pour annoncer qu'il vient d'acheter aux enchères la cerisaie de Lioubov Andréevna (interprétée par Natasha Parry). La fête organisée par celle-ci est interrompue. Tandis que la maîtresse des lieux demeure sidérée, Varia (interprétée par Nathalie Nell) jette à terre les clés de la maison. Cette scène marque le point d'orgue de l'ascension sociale du riche marchand, fils et petit-fils de serfs, et signe la fin symbolique d'une noblesse en pleine banqueroute. Le projet immobilier annoncé par le personnage traduit l'expansion d'une économie capitaliste au détriment de la vieille aristocratie. Dans son enthousiasme, Lopakhine oublie toute mesure mais retrouve cependant physiquement son rang d'origine lorsque, pour ramasser le trousseau, il s'assoit directement sur le tapis.
La réalisation joue avec les perspectives et la profondeur du champ. Elle prolonge la complexité et l'ambivalence de la pièce dont parle le metteur en scène et réalisateur lors de l'entretien. La contradiction des points de vue au sein de cette dramaturgie se retrouve dans l'alternance des gros plans. La façon dont Tchekhov demeure en retrait de la situation en refusant de privilégier l'un des personnages vient probablement de son expérience en tant que journaliste. Dans sa mise en scène, Peter Brook invite le spectateur à rejoindre la posture de l'auteur en substituant l'observation intime au jugement. Le public accède ainsi à toutes les dimensions d'une œuvre qui échappe aux limites du réalisme et du drame social en s'ouvrant notamment au lyrisme.
A la distribution, s'ajoutent notamment les noms de Michel Piccoli (Leonid), Anne Consigny (Ania), Maurice Bénichou (Epikhodov) et Catherine Frot (Douniacha).
La pièce reçut, en 1981, le « Grand Prix du théâtre du Syndicat de la critique ».