Georges Lavaudant sur La Mort de Danton de Büchner

01 mai 2002
04m 33s
Réf. 00059

Notice

Résumé :

En 2002, Georges Lavaudant met en scène La Mort de Danton de Georg Büchner à l'Odéon - Théâtre de l'Europe. Dans un entretien avec Philippe Lefait, il souligne le travail d'historien opéré par le dramaturge ainsi que l'importance de la parole poétique. Extrait du spectacle, au cours duquel Danton prend la parole au moment de son procès.

Date de diffusion :
01 mai 2002
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

Né en 1813 et mort en 1837, Georg Büchner était un scientifique, un médecin, un révolutionnaire, un écrivain et un dramaturge allemand. Ses écrits polémiques lui ont valu d'être poursuivi par les autorités. Il est l'auteur d'une nouvelle (Lenz) et de trois pièces (La Mort de Danton, Léonce et Léna et Woyzeck). Il a par ailleurs traduit deux pièces de Victor Hugo (Lucrèce Borgia et Marie Tudor). Au-delà du romantisme et du réalisme, entre engagement et poésie, son écriture témoigne d'une grande exigence à l'égard de l'expression artistique.

Ecrite en 1835, La Mort de Danton est un drame en quatre actes. L'action a lieu au printemps 1794 et représente la fin de l'affrontement entre Danton et Robespierre. La pièce rapporte les derniers jours de Danton, depuis son arrestation jusqu'à son exécution, en passant par son procès. Danton y est décrit comme un être qui doute et qui choisit d'aller au-devant de sa mort. Hanté par les massacres de septembre 1792, il fait de nombreux cauchemars. Le drame fait se succéder rapidement les scènes et multiplie les lieux. L'écriture alterne la reprise de discours historiques et les instants lyriques.

Dans l'émission « Des mots de minuit » (France 2) du 1er mai 2002, Philippe Lefait reçoit Georges Lavaudant à l'occasion de la création de la pièce à l'Odéon - Théâtre de l'Europe. L'entretien a lieu entre les deux tours de l'élection présidentielle, tandis que les manifestations se multiplient. Georges Lavaudant met en scène le texte de Büchner dans son intégralité et dans une traduction de Jean Jourdheuil et de Jean-Louis Besson. Le spectacle dure trois heures. La scénographie et les costumes sont conçus par Jean-Pierre Vergier. La cage de scène est vide, le plateau est recouvert de gravats, les loges à l'avant-scène ont été peintes en gris. Il s'agit du dernier spectacle avant la fermeture pour travaux du théâtre national. Au-dessus de la scène est inscrite, en néons tricolores, la devise nationale : « Liberté, égalité, fraternité ». Vingt comédiens interprètent la pièce. Parmi eux, Patrick Pineau joue Danton, Gilles Arbona joue Robespierre, Frédéric Borie joue Saint-Just, Fabien Orcier joue Camille Desmoulins, Sylvie Orcier joue Julie Danton et Julie Pouillon joue Lucile Desmoulins. Entre les scènes, le rideau tombe avec un bruit de couperet de guillotine. Devant, se jouent des intermèdes représentant les images furtives du quotidien durant la Terreur. Lors des exécutions finales, une pluie de pétales de rose s'abat tandis que les personnages revêtent leur masque mortuaire.

Au cours de l'entretien, Georges Lavaudant fait remarquer, à la suite de Jean Vilar, la rareté des pièces traitant de la Révolution française (parmi elles, notons Pauvre Bitos ou le dîner de têtes de Jean Anouilh). Le metteur en scène souligne la posture d'historien endossée par le dramaturge (qui écrit à peine quarante ans après les faits) mais également le travail d'interprétation poétique réalisé sur la parole historique. L'extrait présenté est issu de l'acte III. Il montre Danton retrouvant sa célèbre éloquence lors de son procès.

Marie-Isabelle Boula de Mareuil

Transcription

Présentateur
Alors, là vous vous attaquez à Büchner, c’est la première fois ?
Georges Lavaudant
Oui.
Présentateur
La mort de Danton, le jeune Büchner a 21 ans, on est en 1830 quand il écrit cette pièce, qu’est-ce que vous trouvez dans ce texte ? Vous qui êtes quelqu’un qui, finalement, prône, quel que soit le rapport que vous avez aux autres arts, la chorégraphie, par exemple ; presque la dictature du mot hein ?
Georges Lavaudant
Oui, oui. Enfin, il faut déjà reconnaitre, et je ne sais plus, je crois que c’est Vilar qui l’avait remarqué, qu’il y a très peu de pièces sur la révolution française. Il y en a une ou deux, mais qui sont plutôt des pièces un peu pompiers, il y en a peu. Et c’est très curieux qu’un jeune homme, un allemand, si vous voulez, écrive et s’intéresse à ce mouvement révolutionnaire. Et effectivement, ce qui m’a passionné, c’est justement, Büchner est formidable, parce qu’il est en même temps, historien, il se trompe peu sur les faits. Là il raconte, donc, très simplement la dernière semaine qui a précédé la mort de Danton. D’ailleurs, le thème de la pièce, ce n’est pas la révolution française, ce n’est pas Danton et Robespierre ; c’est vraiment, il accompagne la dernière semaine des révolutionnaires, donc, il est assez documenté. C’est des documents, on pourrait dire, de deuxième main, mais qui sont bien foutus, si vous voulez. Mais à travers ces documents historiques, lui-même en poète, si vous voulez, en écrivain tout simplement, traverse ça de manière fulgurante, transforme les citations, les décale, les met dans la bouche d’autres personnages. Parce que pour lui, l’histoire n’est pas une matière morte si vous voulez, c’est une matière vivante. Comme toujours pour les poètes, Malraux, d'autres… enfin, je ne sais pas, tous les gens qui sont formidables, qui arrivent à s’emparer de l’histoire pour la retransformer.
Présentateur
Alors, dans la présentation de cette pièce, vous dites que vous avez refusé de couper dans le texte. Et vous faites une distinction entre ce que vous appelez, la parole salvatrice, et la poésie. Donc, effectivement il y a une parole politique dans cette pièce, et par ailleurs tout ce qui la sous-tend, c’est toujours de la poésie. Est-ce que vous… est-ce qu’il faut choisir entre les deux quand on est spectateur ?
Georges Lavaudant
Non, mais à partir du moment où on est sur le terrain de l’histoire, il est sûr que les paroles historiques, si vous voulez, sont reproduites. On prend par exemple le discours de Robespierre, à la fin du second acte. Je crois qu’en gros, Büchner a pratiquement recopié, si vous voulez, la moitié du vrai discours de Robespierre. Mais toute l’idée pour nous, c’est là où l’art du théâtre est un peu compliqué : c’est aujourd’hui si vous voulez que c’est devenu historique. Je dis une blague, lorsque Danton, dans une conversation que fabrique Büchner mais qui est assez bien vue, dit... emporte-t-on la patrie à la semelle de ses souliers ? Quand il prononce cette parole Danton, il ne sait pas que c’est historique si vous voulez. C’est plus tard. Donc, il faut retrouver, j’allais presque dire, cette même naïveté et tout le travail, c’était, chaque fois qu’on était dans la parole historique de ne pas déjà la présenter comme une parole historique. Les mots qui sont prononcés aujourd’hui, je ne sais pas, de citoyens, de personnalités, on ne sait pas encore, si elles retentiront comme des paroles historiques.
Présentateur
Qu’est-ce qui en restera ; on regarde un extrait de La mort de Danton avec donc, toute la troupe de l’Odéon, ça c’est important, hein ? C’est votre tribu ? C’est une pièce qui vous a permis de la rassembler ?
Georges Lavaudant
Oui, souvent.
Présentateur
De la fédérer, les décors et la scénographie sont de Jean-Pierre Vergier. Là aussi le…
Georges Lavaudant
Le fidèle compagnon.
Présentateur
Le fidèle compagnon de toujours. On regarde un extrait de la pièce, Danton est en procès.
Comédien 1
Au champs de Mars, j’ai déclaré la guerre à la royauté. Je l’ai abattue le 10 août. Je l’ai tuée, le 21 janvier. Et j’ai lancé à tous les rois en guise de gant, la tête d’un Roi. En parcourant cette liste d’horreurs, je sens tout mon être frémir. Qui sont-ils ? Ceux qui ont besoin de presser Danton pour l’engager à se montrer dans cette journée fameuse du 10 août, qui sont-ils ? Ceux, à qui il leur empruntait l'énergie, mais qu’ils paraissent, mes accusateurs, j’ai toute la plénitude de ma tête. Lorsque je le demande, je dévoilerai ces [inaudible] coquins et je les replongerais dans le néant, dont ils n’auraient jamais dû sortir. En septembre… j’ai donné en pâture à la jeune couvée de la révolution les corps dépecés des aristocrates. Ma voix, a forgé les armes pour le peuple avec l’or des aristocrates et des riches. Ma voix était l’ouragan qui ensevelissait les satellites du despotisme, sous les vagues de baïonnettes !
Comédien 2
Danton ! Votre voix est altérée.