En attendant Godot mis en scène par Luc Bondy
Notice
En attendant Godot, l'une des pièces les plus connues de la seconde moitié du XXe siècle, devenue emblématique d'un renouveau du théâtre, est reprise au théâtre de l'Odéon par le metteur en scène suisse Luc Bondy. Le reportage présente des extraits de la pièce, commentée par son metteur en scène et l'un de ses interprètes, Gérard Desarthe.
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Éclairage
Si, lors de sa première création en 1953 par Roger Blin, la pièce de Samuel Beckett (1906-1989), En attendant Godot (1950), a surpris le public, elle est, depuis, devenue une sorte de classique (voir ce document). Modèle du théâtre de l'Absurde, elle révolutionne totalement l'écriture dramatique. Beckett fait, avec cette pièce, un pari osé : écrire un drame sans drame, où il ne se passe rien. Le commentaire souligne que la pièce a « révolutionné le théâtre » ; Gérard Desarthe, quant à lui, souligne à quel point Beckett était en avance sur son temps et en rupture avec le théâtre de son époque. Le spectateur se trouve de fait dans la même situation d'attente que les personnages, face à un drame qui n'a pas lieu. Alors que, traditionnellement, le théâtre voit la résolution d'un conflit, Beckett, lui, laisse ses personnages aux prises avec le vide, l'absence – celle de Godot, mais aussi, plus généralement, l'absence de sens de leur vie. Perdus sur une route, avec un arbre, le soir, ces deux personnages sont enlisés dans une absurde aporie que le décor lui-même matérialise : partir – la route – ou rester et attendre Godot – l'arbre, et ce qu'il raconte de l'immobilité forcée, de l'enracinement des personnages.
Beckett est un auteur exigeant car d'une redoutable précision. Les didascalies, les dispositifs scéniques qu'il invente sont si minutieusement écrits qu'il devient difficile de les faire évoluer. Ainsi du décor d'En attendant Godot : la pièce reste invariablement liée à ce décor désolé, une route à la campagne – abandonnée, isolée – et un arbre, dont le texte nous apprend qu'il a l'air d'être mort. Avec de telles directives, difficile de réinventer la scénographie sans trahir les didascalies. Cet arbre, central dans la mise en scène d'En attendant Godot – parce qu'il rend tangible l'enracinement des personnages, mais aussi parce qu'ils l'utilisent, notamment pour tenter de se pendre – a donné lieu à toutes sortes de tentatives de stylisation, jusqu'à devenir parfois une forme abstraite. Luc Bondy joue de la contrainte que constitue ce décor en réinterprétant cette « route à la campagne avec arbre », sur une colline enneigée dominée par un ciel bleu, plongée dans une lumière froide, faisant de la route de campagne un tableau glacé dans sa beauté.
Mais l'apport le plus important de Luc Bondy dans sa mise en scène réside sans doute dans sa volonté de se détacher de la vision souvent sombre et pessimiste de la pièce. Bondy, en effet, met en avant à la fois le travail rythmique de Beckett sur le dialogue, mais, surtout, l'humour qui habite le texte. A ce titre, l'arrivée de Pozzo, tenant Lucky au bout d'une corde, est exemplaire : A trois reprises, Pozzo remet les valises dans les mains de son serviteur, et par trois fois, celui-ci les lâche sur les pieds d'Estragon. Beckett manie l'art du contrepoint : à situation tragique, moments comiques. L'humour, l'ironie, le disputent au désespoir de ces deux personnages qui attendent en vain. Le choix de la distribution renforce cet aspect de la pièce, puisque Bondy propose deux véritables couples de comédiens, tout en contrastes. Serge Merlin (Vladimir), nerveux, parcouru de tics et de frissons, meublant l'attente en parlant de manière maladive, à l'opposée de Roger Jendly (Estragon), lunaire, poétique et distrait ; François Chattot (Pozzo) imposant et gouailleur, la voix tonitruante, affublé d'un faux ventre, tient en laisse son esclave, Lucky (Gérard Desarthe), élégamment vêtu en costume colonial, magistralement impassible. Les contraires s'enrichissent, et du décalage naît le rire, comme il naît de la contradiction entre cet état insupportable d'attente et cette dérisoire agitation humaine.