Dom Juan de Molière et Athalie de Racine, mis en scène par Roger Planchon au TNP de Villeurbanne

08 mai 1980
04m 03s
Réf. 00278

Notice

Résumé :

Roger Planchon propose avec ces deux pièces une réflexion sur la religion : Athalie montre les extrémités totalitaires auxquelles peuvent venir certains défenseurs de la foi, tandis que Dom Juan présente une figure d'athéisme qui interroge les religieux comme les athées. Extraits de la fin d'Athalie (acte V, scènes 6 et 8) et de la scène 3 de l'acte I de Dom Juan.

Date de diffusion :
08 mai 1980
Source :
A2 (Collection: JA2 20H )
Compagnie :
Fiche CNT :

Éclairage

Tandis que Dom Juan donne à voir le châtiment d'un athée cruel mais à la grandeur ambiguë, l'Athalie de Racine réaffirme avec force l'autorité de la religion et sa place centrale dans l'exercice du pouvoir. Si la première peut être vue comme subversive, notamment par son recours aux effets comiques et au spectaculaire des machines, la seconde est en revanche une tragédie biblique écrite à l'intention des jeunes filles pensionnaires de l'école de Saint-Cyr par un Racine soucieux de retrouver une respectabilité morale auprès des autorités jansénistes. Mais dans les deux cas, malgré un éloignement revendiqué (l'Espagne pour Dom Juan, l'Israël biblique pour Athalie), le sujet de la pièce renvoie à l'actualité religieuse complexe et agitée de la seconde moitié du dix-septième siècle, où le catholicisme encore blessé par les guerres de religion s'impose dans toutes les sphères de la société.

Si Roger Planchon choisit en 1980 de présenter les deux pièces en un même spectacle, c'est bien pour faire apparaître ce sujet commun d'une religion qui devient instrument et symbole du pouvoir. Pour Planchon, Athalie est une pièce de propagande totalitariste qui se serait retournée contre elle-même, faisant apparaître la folie de sa conquête du pouvoir ; la scénographie est dominée par une lourde coupole figurant la surveillance du Vatican, tandis que les jeunes filles du chœur vivent leur existence couventine entre leurs interventions. Le rideau tombe sur une scène presque vide où demeure un cercueil. Le décor reste le même pour Dom Juan, dont le rôle-titre devient chez Planchon un révolté en lutte contre le dogmatisme et l'hypocrisie de son temps : le propos est encore de dénoncer la domination d'une religion devenue tentaculaire, mais cette fois par le biais d'un martyr du blasphème qui défie le pouvoir religieux avec héroïsme.

Céline Candiard

Transcription

Présentateur
Notre page culturelle maintenant. Le public lyonnais a bien de la chance. Il se passe toujours quelque chose au TNP de Villeurbanne. Le metteur en scène, Roger Planchon, qui ne déteste pas la provocation, présente depuis quelques jours un spectacle en deux épisodes, sur un thème qui n’a jamais cessé d’être brûlant, celui de la religion et de l’athéisme. Deux auteurs, Racine et Molière, face à face avec les arguments d’Athalie et de Dom Juan. Alors, qu’on aime ou qu’on déteste les partis pris de Planchon, chacune de ses créations est un évènement et son explication des textes classiques ne manque pas de séduction. Georges Bégou.
(Musique)
Roger Planchon
Bien, on a réuni Athalie et Dom Juan parce qu’en définitive, ça parle du même problème : le problème religieux au XVIIème siècle. D’un côté, il y a une pièce de propagande de Racine qui dit : « vive la religion catholique ! A bas les méchants ! ». Et, dans l’autre pièce, celle de Molière, et bien, on voit un de ces méchants. Et ce méchant, c’est Dom Juan qui dit non à cette société, qui dit non à cette religion et qui n’est d’accord sur rien.
Michèle Marquais
Conforme à son aïeul, à son père semblable. On verra de David l’héritier détestable. Abolir tes honneurs, profaner ton autel, et venger Athalie.
Jean Leuvrais
Par cette fin terrible et due à ses forfaits, apprenez, roi des Juifs, et n’oubliez jamais que les rois, dans le ciel, ont un juge sévère, l'innocence un vengeur, et l'orphelin un père.
(Musique)
Roger Planchon
C’est, d’abord, une pièce complètement folle parce que Racine décrit un mécanisme politique incroyable. C’est-à-dire, c’est un système qui est montré, où on voit des gens qui sont sûrs d’eux sur le plan du Ciel et qui disent qu’il faut que la Terre marche comme ça. Et c’est un système où les gens qui sont totalitaires peuvent se reconnaître; la fin de la pièce est : tuez tous ceux qui ne sont pas d’accord, peut importe qui c’est. Ca n’a aucune importance. Ca peut être ton frère. Il faut rentrer dans le sang. Alors, évidemment, plus aucun catholique ne revendiquerait cette morale mais ce qui est sûr, c’est que beaucoup de régimes totalitaires dans le monde se basent sur cette morale. On a le droit de mentir pour faire triompher une cause. On a le droit de dire n’importe quoi, de faire n’importe quoi, pourvu que la cause triomphe. Et en ce sens là, la pièce est très actuelle.
Gérard Desarthe
Je ne vous dirais point que je suis toujours dans les mêmes sentiments pour vous. Et que je brûle de vous rejoindre. Puisque enfin, il n'est assuré que je ne suis parti que pour vous fuir.
Roger Planchon
Oui, il y a des petits loubards qui peuvent se reconnaître très bien là-dedans. Aujourd’hui, et plus que des loubards, et beaucoup de gens peuvent se reconnaître dans ce nom. Et en plus, je crois que tous ceux qui sont athées, à la fin, ça leur pose une question. Dom Juan, c'est est-ce qu’ils se reconnaissent dans ce blasphémateur ? C’est-à-dire qu’on n'a pas le droit, à mon avis, de se dire athée aujourd’hui si on ne dit pas, d’une certaine façon, le Dom Juan de Molière est mon frère. Et ceux qui se disent catholiques ou qui croient à Dieu sont obligés de trancher s'ils auraient mis Dom Juan dans un cachot ou ils l’auraient condamné à mort, comme le condamnaient à mort les catholiques d’alors. Et ce sens là, la pièce interroge vraiment et les athées et les catholiques.
Gérard Desarthe
Voudriez-vous, Madame, vous opposez à une aussi sainte pensée. Et que j’allasse, en vous retenant, me mettre le Ciel sur les bras ? Que par …
Béatrice Agenin
Oh, scélérat. C’est maintenant que je te connais tout entier. Et pour mon malheur, je te connais lorsqu’il n’en est plus temps. Et qu’une telle connaissance ne peut plus me servir qu’à me désespérer.
(Silence)
Béatrice Agenin
Mais sache que ton crime ne demeurera pas impuni et que le même Ciel, dont tu te joues, me saura venger de ta perfidie.
Gérard Desarthe
Sganarelle, le Ciel !
Philippe Avron
Vraiment ! Oui ! Nous nous moquons bien de cela ! Nous autres !