Entrée au repertoire d'En attendant Godot
Notice
A l'occasion de l'entrée d'En Attendant Godot au répertoire de la Comédie-Française, Roger Blin, qui avait créé la pièce en 1953, met en scène les Comédiens Français. Un extrait de la pièce est diffusé, entrecoupé d'une interview de Jean-Paul Roussillon, qui évoque à la fois les réactions de Samuel Beckett, qui a assisté à plusieurs répétitions, et l'impact fondamental que sa pièce a eu sur le théâtre contemporain.
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Éclairage
En attendant Godot est la première pièce publiée de Samuel Beckett. Ecrite en 1949, publiée en 1950, la pièce met en scène deux « clochards », Vladimir et Estragon, qui, seuls au bord d'une route désolée, attendent un homme nommé Godot, qui jamais ne se montre. Leur attente est trompée par l'irruption soudaine d'un homme imposant, Pozzo, traînant en laisse une sorte d'esclave, Lucky. Alors que l'attente commence à devenir insupportable, les deux hommes sont soudain avertis que Godot ne se montrera pas, mais leur demande de l'attendre à nouveau le lendemain. Le second acte se déroule à peu près de la même manière, mais tout a empiré : Pozzo est devenu aveugle, Lucky muet. L'attente semble encore plus vaine, le temps tourne en rond et perd les personnages, au point qu'ils ne parviennent plus à se souvenir s'ils ont déjà attendu Godot.
Dans cette pièce, caractéristique du Nouveau théâtre des années cinquante, souvent appelé théâtre de l'absurde, Beckett déconstruit totalement la forme dramatique : la conversation a du mal à prendre, chacun des personnages parlant plus ou moins pour lui-même, dans le vide. La situation est quasi-inexistante, se résumant à une hypothétique attente durant laquelle on remplit le temps par des paroles.
Selon le témoignage de Geneviève Latour (Compagne de Pierre Latour, qui joua Estragon à la création de la pièce), la pièce avait été refusée par trente-cinq directeurs de théâtre avant de trouver grâce aux yeux de Roger Blin, qui décida de la monter au théâtre de Babylone. A sa création, la pièce déconcerte ; dépourvue d'une véritable action, très éloignée du modèle théâtral dominant, avec des dialogues apparemment sans logique, elle reçoit un accueil mitigé. Mais la postérité de la pièce est pourtant immense (voir ce document). La pièce connaît une renommée mondiale, couronnée par un prix Nobel pour son auteur en 1969, et par une entrée au répertoire de la Comédie-Française en 1978. C'est à cette occasion que Roger Blin, vingt-cinq ans après la création d'une des pièces phares du XXe siècle, s'attelle à nouveau à monter ce texte.
C'est donc avec une troupe composée de Comédiens Français que le metteur en scène compose un nouveau Godot, sous le regard attentif de Samuel Beckett, qui, selon le témoignage de Jean-Paul Roussillon, a assisté à plusieurs répétitions, au cours desquelles il a pris des notes destinées aux interprètes. Le comédien évoque la pièce de Beckett comme l'une des plus importantes parmi les pièces contemporaines. C'est aussi, certainement, parce que la pièce de Beckett conserve, même plus de cinquante ans après son écriture, tous ses mystères. Le premier réside dans l'identité de ce personnage absent, qui est aussi, d'une certaine manière, le personnage central de la pièce : Godot. De nombreux critiques ont vu en Godot une incarnation de Dieu ; Godot, en effet, est décrit comme un vieillard à barbe blanche, il peut réaliser les désirs de Vladimir et Estragon, mais voilà, Godot n'apparaîtra jamais. Le mystère qui l'entoure, le fait qu'on le connaisse sans vraiment savoir à quoi il ressemble autant que l'espoir que les personnages mettent en lui peuvent accréditer cette idée. L'un des autres indices évoqués à l'appui de cette hypothèse est donné par le nom, qui évoque le mot God, Dieu en Anglais. La question de l'identité de Godot demeure centrale, que ce soit au sein de la pièce - les extraits choisis au cours du reportage montrent bien à quelle point l'identité de ce personnage est soumise à l'interrogation générale - que pour sa réception. Samuel Beckett, toutefois, refusait de donner la moindre explication concernant Godot, expliquant non sans malice que, s'il avait su qui était Godot, alors il l'aurait écrit dans la pièce. Que Godot soit ou non un dieu, la pièce demeure une métaphore sur la formidable propension humaine à espérer.