Patrice Chéreau met en scène Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès

28 avril 1986
06m 37s
Réf. 00009

Notice

Résumé :

En 1986, Patrice Chéreau met en scène au Théâtre Nanterre-Amandiers Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès. Le reportage, qui s'ouvre sur les images des vieux docks de New-York, comprend les interviews de l'auteur, du metteur en scène et des comédiens Maria Casarès, Jean-Marc Thibault et Catherine Hiegel.

Date de diffusion :
28 avril 1986
Source :
FR3 (Collection: TOUS EN SCENE )
Fiche CNT :

Éclairage

Ecrit en 1985 par Bernard-Marie Koltès, Quai Ouest a été créé à Amsterdam en 1986 par Stephan Stroux. Le reportage, diffusé lors de l'émission « Tous en scène » (FR3) du 28 avril 1986, s'intéresse à la mise en scène qu'en livre Patrice Chéreau au Théâtre Nanterre-Amandiers, en coproduction avec la Comédie-Française qui avait commandé le texte. Après Combat de nègre et de chiens (créé en 1983), Patrice Chéreau collabore à nouveau avec le dramaturge qui assista aux répétitions de la pièce. Celle-ci se déroule « dans un quartier à l'abandon d'une grande ville portuaire occidentale ». Elle s'ouvre sur l'histoire de Maurice Koch qui veut en finir en faussant compagnie à sa secrétaire, Monique Pons, et en se jetant dans le fleuve. Il est repêché par Charles, dont les proches espèrent bien pouvoir profiter de ce sauvetage. La scénographie, conçue par Laurent Peduzzi, représente un no man's land portuaire inspiré des vieux docks de New-York. Toute l'intrigue repose sur des situations d'échange et de trafic où se joue l'appréhension de l'autre, des autres et de soi. Jean-Paul Roussillon interprète le rôle de Koch, Jean-Philippe Ecoffey celui de Charles. Maria Casarès joue Cécile, la mère de Charles. Rodolfe, le père de Charles et le mari de Cécile, est interprété par Jean-Marc Thibault tandis que Catherine Hiegel joue le rôle de Monique Pons, la secrétaire de Koch.

L'interview de Bernard-Marie Koltès ainsi que les témoignages des comédiens rappellent l'influence des voyages sur cette dramaturgie. Est également soulignée la façon dont la pièce traduit les enjeux du monde contemporain. Le metteur en scène exprime son « admiration » pour cette écriture dont il ne cesse de reconnaître la force et l'originalité. La création fut un échec, en raison notamment de l'imposant dispositif scénique installé dans la grande salle du théâtre. L'année d'après, Patrice Chéreau mettait en scène Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès.

Marie-Isabelle Boula de Mareuil

Transcription

(Musique)
(Bruit)
Bernard-Marie Koltès
Quai ouest, elle a pris forme, enfin, j’en ai eu l’idée à New York, sur les vieux docks de New York et je suis rentré à Paris avec une idée comme ça, assez précise d’un endroit où j’avais envie de raconter ce qui s’y passait. Mais je l’ai écrit complètement à Paris et les personnages sont des personnages d’ici.
Maria Casares
C’est une créature qui se retrouve avec sa petite famille dans une sorte de hangar, enfin tout près d’un hangar, sur un quai au bord d’un fleuve, enfin, près d’un fleuve ; et qui viennent dans une partie, dans une ville qui pourrait bien sûr être New York, mais qui pourrait être aussi une autre ville, une autre ville quelconque. Elle vient de très loin, elle vient plutôt des pays sud-américains, mettons, mais elle vient aussi de ce qui s’est passé dans les pays sud-américains, c’est-à-dire elle vient de l’Espagne, elle vient des indiens. Alors bon, c’est une immigrée, comme on dit, bon, un peu clocharde, un peu putain, mais vieille putain, elle a déjà, elle est à la retraite, et puis, quelqu’un qui cherche, malade, enfin menacée par la mort prochaine, mais qui cherche à vivre, à vivre, à vivre, à mettre toutes ses énergies à exister au milieu de tout cela ; en essayant de rester digne au milieu de toute cette espèce de boue incroyable. De rester digne, mais enfin une dignité à laquelle je ne crois pas qu’elle croie beaucoup. Elle s’y accroche, simplement.
Jean-Marc Thibault
Je pense que c’est un homme qui a dû être normal, mais la guerre, les malheurs l’ont complètement rendu… C’est une sorte de blockhaus, c’est un être sur lequel on n’a plus de pouvoir, la vie n’a plus de pouvoir. Il est déjà à demi-mort et même il fait tuer la deuxième partie de lui-même qui était représentée par un autre personnage.
Catherine Hiégel
C’est une secrétaire. C’est une secrétaire de direction qui suit son patron. Elle le suit jusqu’au bout.
Patrice Chéreau
Bernard fait se rencontrer des gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Il y a des gens qui habitent là et qui veulent à tout prix s’en sortir, qui veulent à tout prix gagner quelque chose dans la vie ; et puis il y a quelqu’un qui arrive, qui est d’un autre monde, qui est un homme qui a du pouvoir, de l’argent, comme ça, et qui, brusquement désorganise absolument tout. Parce que finalement c’est une pièce où tout le monde, je crois, veut échanger quelque chose contre quelque chose. C’est une pièce où il ne cesse pas d’avoir de l’échange, c’est-à-dire où toutes les relations sont du troc, par exemple, ou sont sur le mode du donnant-donnant. C’est une pièce où on arrive à échanger sa soeur contre les clés d’une voiture. C’est une pièce où on arrive… Et en même temps, c’est une pièce où des gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer, c’est-à-dire que, ce que dit Bernard dans la pièce, des hommes du monde et des pauvres types comme ça qui n’auraient jamais dû se rencontrer arrivent à trouver… arrivent à trouver des points communs. C’est une pièce aussi où il y a des gens qui veulent vivre des aventures. C’est une pièce sur l’ambition, un peu, aussi. Mais une ambition de maintenant, c’est-à-dire une ambition qui fait aussi la part de l’échec possible.
Maria Casares
C’est un univers que nous connaissons tous. Je crois que c’est vraiment le monde moderne et dans ce qu’il a de plus troublant et de plus mélangé, de plus ambigu et qui mêle tous et tout ; que nous connaissons sans connaître mais que nous respirons chaque jour. Seulement, voilà, il est écrit d’une manière assez extraordinaire. Alors évidemment, ça, c’est étonnant.
Patrice Chéreau
Peu de gens écrivent pour le théâtre, maintenant. Et lui, il écrit pour le théâtre, il a écrit aussi un roman, mais il écrit pour le théâtre avec toutes les doutes qu’il a sur le théâtre sur… qui sont aussi des doutes que j’ai moi aussi ; c’est-à-dire que… on ne sait pas très bien maintenant ce… on ne sait pas toujours, disons, ce que peut encore être le théâtre, disons, et la difficulté d’en faire est souvent permanente. Mais c’est de là aussi qu’on tire une force. Et lui a des doutes mais en même temps, en travaillant la pièce, là, ces jours-ci, je le vois, on réapprend, je réapprends, moi personnellement, toutes les règles, toutes les lois du théâtre. C’est-à-dire je pense que, en me souvenant de l’expérience de Combat de nègre, la première pièce que j’avais montée, je pense que si on y arrive, cette pièce, les pièces de Bernard, comment dire, donnent l’impression d’une très très grande évidence. On arrive à la fin, donc au spectacle fini, à une très très grande évidence théâtrale, une très très grande force, c’est-à-dire une force qui est fondée sur trois choses, si vous voulez. Un, sur la description d’un monde qui est le monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire pas d’il y a dix ans, pas d’il y a vingt ans mais 1985, disons. Et les figures comme ça et le tragique ou le destin de ces gens-là est vraiment typiquement le destin des gens de maintenant. Et ça c’est une chose rarissime. C’est une chose rarissime parce que le théâtre en plus quelquefois a du mal à raconter cette chose-là. Et deux, en plus c’est un auteur qui a une invention théâtrale incroyable. Moi je déborde d’admiration pour lui.