Le Songe d'une nuit d'été de John Neumeier à l'Opéra de Paris
Notice
Deux extraits du Songe d'une nuit d'été de John Neumeier, filmé en mai 1982 lors de l'entrée au répertoire de l'Opéra de Paris de ce grand ballet en un prologue et deux actes. Tout d'abord le duo de la dispute entre Obéron (Jean-Yves Lormeau) et Titania (Noëlla Pontois) en présence du malicieux petit elfe Puck (Patrick Dupond). Puis la scène des artisans répétant sous la direction de Bottom (Georges Piletta) le spectacle qu'ils préparent pour les noces du duc d'Athènes.
Éclairage
John Neumeier est le plus allemand des chorégraphes américains : né à Millwaukie en 1942, il fait ses débuts comme danseur à Stuttgart en 1963, prend la direction du Ballet de Francfort à 27 ans, puis du Ballet de Hambourg en 1973 qu'il dirige depuis cette date, ce qui en fait l'homme qui a le plus longtemps dirigé la même compagnie, plus que Lifar ou Balanchine ! Il est aussi l'un des plus célèbres créateurs de grands ballets narratifs de son temps. Avec Mats Ek (né en 1945) et Jiri Kylian (né en 1947) il succède à la génération de Roland Petit (1924-2011), Maurice Béjart (1927-2007), John Cranko (1927-1973) et Kenneth MacMillan (1929-1992) qui les premiers remettent le ballet épique en deux ou trois actes à l'honneur après guerre. Les deux générations travaillent parallèlement, chacun dans son genre, contribuant par leurs créations ou leurs relectures, à un enrichissement du patrimoine classique européen sans égal dans la seconde moitié du XXe siècle.
Le Sud africain John Cranko a joué un rôle prépondérant dans ce mouvement lorsqu'il prit la direction du ballet de Stuttgart en 1961 jusqu'à sa mort accidentelle à quarante six ans. Homme généreux, auteur notamment de Onéguine, il fit du Ballet de Stuttgart le meilleur d'Allemagne, et encouragea ses danseurs doués pour la chorégraphie, leur réservant des programmes entiers. C'est ainsi qu'il permit aux tout jeunes John Neumeier et Jiri Kylian de faire leurs premiers pas et d'acquérir métier et notoriété.
John Neumeier fait sans peine cohabiter humour, lyrisme et gravité dans Le Songe d'une nuit d'été d'après Shakespeare, et d'une pièce aux multiples intrigues il donne une lecture limpide. Pour bien définir les trois univers de la comédie, John Neumeier caractérise chacun par une musique différente : Ligetti aux sonorités électroacoustiques mystérieuses pour le royaume féerique d'Obéron et Titania ; Mendelssohn pour la fastueuse cour Empire d'Hyppolite: enfin un pot-pourri d'opéras à l'orgue de barbarie pour les artisans qui répètent Pyrame et Thisbé, drame qui dans leur naïve interprétation s'avère une désopilante parodie.
Sans compliquer l'action, Neumeier fait jouer par le même danseur Obéron et Thésée, et par la même danseuse, Titania et Hippolyte, établissant ainsi un lien entre rêve et réalité. Il crée pour chaque univers un vocabulaire chorégraphique approprié : moderne pour le royaume des elfes - magnifique scène du sommeil de Titania - classique pour le divertissement des noces et pantomime burlesque pour les artisans. Sans oublier le rôle vif et plein de fantaisie de Puck, et le lyrisme des deux couples d'amoureux.
Ce Songe d'une nuit d'été, créé en 1977 à Hambourg fait sensation en 1979 au Théâtre de la Ville, avant son entrée au répertoire du Ballet de l'Opéra de Paris.
John Neumeier rajeunit la danse classique par son invention, et la justesse des nombreux personnages qu'il met en scène. On trouve la même vérité psychologique dans des ouvrages aussi différents que La Dame aux camélias, Un Tramway nommé désir ou Peer Gynt. Il donne de saisissantes relectures des grands ballets de Tchaïkovski et Prokofiev qu'il transpose avec une habileté incroyable tel son Illusions like Swan Lake où le prince Siegfried devient Louis II de Bavière. Il montre la même ingéniosité dans ses ballets purement abstraits (les Symphonies de Mahler) et atteint une humanité bouleversante dans ses créations à thèmes mystiques comme sa Passion selon Saint-Matthieu de Bach, ou sa vision du Paradis perdu dans Le Messie sur des musiques de Haendel et Arvo Pärt.
« Lorsqu'il crée, un chorégraphe parle de lui-même et il y a chez moi une vraie fascination de la religion et du sens spirituel. La danse est le langage idéal pour en parler car la technique du danseur dessine des figures qui suggèrent les aspirations spirituelles des hommes » confie John Neumeier.