Sylvia de John Neumeier à l'Opéra de Paris
Notice
Créé en 1876 dans une chorégraphie de Louis Mérante, Sylvia, chef d'œuvre musical de Léo Delibes, revient à l'Opéra de Paris en 2002, nettement rajeuni par John Neumeier. Le reportage s'ouvre sur Diane (Delphine Moussin) tirant à l'arc sur une cible, image immédiatement suivie par l'entrée des nymphes-chasseresses, corsets et casques de cuir, dans le bois sacré où au petit matin de jeunes bergers viennent se divertir. L'un d'eux, Aminta (Manuel Legris) vient à la recherche de Sylvia (Eleonora Abbagnato), la blonde chasseresse, dont il est tombé amoureux. Sylvia le vise à l'arc, mais est touchée par sa sincérité. L'Amour (Nicolas Le Riche) en casquette et salopette rouge vient pimenter l'action avec malice. Se métamorphosant en Orion maître de maison au second acte, il fait découvrir à Sylvia, en superbe robe du soir pourpre, des plaisirs jusqu'alors inconnus d'elle. Le duo final réunit plusieurs décennies plus tard un Aminta grisonnant et une Sylvia qui, abandonnant Diane, a choisi de vivre une vie de femme. Entre les extraits du ballet, Manuel Legris, Eleonora Abbagnato et Nicolas Le Riche parlent de leurs rôles.
Éclairage
Premier ballet donné au Palais Garnier un an après son inauguration en 1875, Sylvia a connu bien des aventures en plus d'un siècle, dans les chorégraphies successives de Mérante, Staats, Lifar, Aveline et enfin Lycette Darsonval en 1979, dans une production élégante et des plus traditionnelles, qui sera la première chorégraphie française remontée en Chine dans le tout nouvel Opéra de Pékin en 1980.
En juin 1997 John Neumeier imagine une chorégraphie des plus originales pour l'Opéra de Paris dans de pittoresques décors de Yannis Kokkos. Les arbres sont bleus, le ciel vert, et une porte jaune s'ouvre dans le vide. Les satyres des bois font place à de joyeux garçons torses nus et en pantalons blancs. Neumeier coupe quelques pages de Delibes pour en rajouter d'autres, non moins belles, extraites de son ballet La Source, et oublie le roman Aminta du Tasse. Diane et les chasseresses sortent du bain enroulées dans des serviettes éponge, Aminta porte pull et pantalon. L'Amour en salopette tire ses flèches de son sac à dos et le bel Endymion - ex amant de Diane qui a cédé à un moment de faiblesse - roule au sol comme un mollusque ballotté par les courants marins, condamné à un sommeil éternel. Son étrange duo, endormi dans les bras de Diane, démontre un fois de plus la poésie chorégraphique de John Neumeier.
Tout est nouveau, plaisant, logique dans cette relecture où l'Amour sous le frac du pervers Orion, s'amuse à faire goûter à la chaste Sylvia les plaisirs de ce monde, au cours d'un bal qui vire en « tournante » mondaine, animé par de superbes hommes en habits queue de pie - sortis d'un magazine de mode !- qui fument des joints...
« Le thème principal est l'évolution d'une jeune fille qui possède force et talent, mais n'est pas ouverte à l'amour » explique Neumeier « Et c'est dans un lieu symbolique, une pièce toute blanche, que livrée aux mains d'hommes sexy, elle va faire l'expérience de son extrême sensualité, et découvrir sa féminité »
Au dernier acte, dans les rigueurs de l'hiver, c'est un Aminta aux cheveux grisonnant qui retrouve Sylvia, en robe de voyage et valise à la main... avant un coup de théâtre émouvant, qui ne peut laisser personne insensible.
« Le plus important dans un ballet » estime Neumeier « c'est de créer de vrais caractères, des caractères qui dansent. Je suis touché par leur destin. Je m'identifie à tous, et il y a un peu de moi en chacun. Je dois trouver un petit coin en moi qui est ce personnage. J'essaie d'abord d'établir des êtres de chair, et à partir de cela, des situations. Je veux représenter des créatures que je comprends, des personnages véritables, pour pouvoir me dire ensuite : oui c'est possible de faire ceci et d'avoir telle réaction. Quand un personnage est authentique, le public y trouve aussi quelque chose de lui-même. Il faut atteindre la vérité pour le toucher ».
John Neumeier ne se contente pas d'actualiser l'action : il crée avec passion des personnages dont la psychologie les rend proches des sensibilités actuelles.