Simon Hantaï

04 juin 1981
14m 34s
Réf. 00109

Notice

Résumé :

Portrait du peintre Simon Hantaï. Dans son atelier, il montre sa peinture - déployée sur d'immenses tissus - et il évoque sa carrière, ses projets, ses théories picturales.

Type de média :
Date de diffusion :
04 juin 1981
Source :
TF1 (Collection: EXPRESSIONS )
Lieux :

Éclairage

Peintre d'origine hongroise, né en 1922, Simon Hantai est un artiste engagé qui a mené une véritable réflexion sur l'acte de peindre et la place de l'art à la fin du XXe siècle. Après avoir rejoint les surréalistes à son arrivée en France en 1949, il s'en sépare comme d'autres avant lui, face à l'inflexibilité d'André Breton. Ce dernier refuse de reconnaître le lien entre l'"action painting" de Jackson Pollock et l'écriture automatique qui visait à empêcher la raison, les idées préconçues de s'exercer par une écriture spontanée et rapide. Cette imprévisibilité du geste, le rejet des modes d'expression traditionnels, sont pourtant bien à la base des travaux de Pollock, puis d'Hantai.

Influencé par ailleurs par les aplats de Cézanne et les découpages de Matisse, Simon Hantai va mettre au point en 1960 "le pliage comme méthode". La toile, dépourvue de châssis, est pliée, nouée, puis enduite de peinture, avant d'être retendue et de se divulguer, véritable révélation aux yeux de son créateur. Au début des années 1980, alors qu'il est au faîte de sa gloire, Hantai se retire de la scène artistique pendant quinze ans, refusant de participer à la marchandisation et l'institutionnalisation des artistes. Situationniste désabusé, il déplore l'absence de sens critique de ses contemporains : "Ils travaillent tous à l'embellissement de la société. (...) L'art a été neutralisé, il est devenu quelque chose comme un service social".

Cécile Olive

Transcription

(Silence)
Présentateur
La peinture que fait actuellement Simon Hantaï a reçu de l'oeuvre de Cézanne, de celle de Matisse et de celle de Pollock, un ensemble d'impulsions décisives. L'oeuvre de Jackson Pollock a imposé à Hantaï de tenter à son tour de renouveler fondamentalement la situation du peintre vis-à-vis du champ à peindre. Pour peindre une peinture nouvelle, il faut se mettre face à de l'inconnu et faire en sorte que cet inconnu demeure aussi longtemps que possible inconnaissable, d'où le pliage inauguré par Hantaï en 1960. Pliant sa toile avant de la peindre, Hantaï s'enlève toute possibilité de savoir à l'avance ce qu'il va peindre. Il saute également l'essentiel du contrôle de l'image en train de se peindre. C'est sa façon à lui de se bander les yeux, et d'avancer authentiquement à tâtons. C'est dans le contexte de cette nuit pleinement assumée, que Simon Hantaï a entrepris d'interroger Cézanne et Matisse. Il s'est rivé à un questionnement de l'oeuvre de ces deux peintres, questionnement dont on peut dire qu'aujourd'hui encore, il n'a pas pris fin et dont il a voulu tirer les conséquences. Cézanne lui a apporté l'assurance que la voie de la peinture moderne consistait dans l'expression par la couleur. La force de la couleur peut à elle seule donner à la forme sa plénitude et rendre compte de la construction du monde. Cézanne a également apporté à Hantaï l'évidence que la voie du moderne en peinture passait par l'aménagement de blanc aussi important que les zones peintes et que l'ensemble peint et non peint pouvait et devait s'agencer en un plan respirant dont pas un point ne s'enfonce. D'où la mise en oeuvre par Hantaï d'une peinture que lui-même proclame : trouvée. Les papiers découpés sont la part de Matisse dont Hantaï s'est plus particulièrement nourri. Matisse a découpé à vif dans la couleur considérée comme l'univers, il a défini à même la couleur des formes qu'il a ensuite décalées et disséminées dans du blanc considéré comme loi du monde. Il a voulu sublimer la couleur en lumière, une lumière mentale, la seule lumière à la fois source et réponse ultime de l'inspiration. Matisse a voulu donner à percevoir quelque chose, l'essentiel qui n'était pas peint. C'est une confiance dans les choses de cet ordre, que Hantaï a puisé dans ses aînés, et c'est fort de cette confiance, qu'il s'est avancé sans citation, radicalement vers lui-même.
(Silence)
Reporter
Ces très grandes peintures pour l'espace central du CRPC à Bordeaux représente pour vous la façon la plus radicale de rentrer dans le problème de la couleur ?
Simon Hantaï
Les lits qui ont une architecture très curieuse, qui rappelle les arches des petites églises, c'est-à-dire, c'est éclairé en haut par les fenêtres,
Reporter
Oui
Simon Hantaï
Paraissent être justement une possibilité de tenter, réaliser beaucoup de projets que j'ai eu dans les temps anciens, et notamment, agrandir le, par la quantité de la couleur l'intensité lumineuse, et voir quelle modification ça produit dans les structures internes de tableaux. Et ça, et en rapport avec la question que Matisse posait que un centimètre carré est moins bleu...
Reporter
Qu'un mètre carré
Simon Hantaï
Un mètre carré. Imaginez par exemple que j'ai une surface monochrome de 12 mètres sur 9,
Reporter
Oui.
Simon Hantaï
Et je vais le remplir d'une seule couleur une fois plié. C'est-à-dire on a une expérience d'étalage des couleurs, qui a une sorte de brûlure de l'oeil qui produit en rapport à l'expérience quotidienne, une expérience limite, et là il s'agit quelque chose que la peinture occidentale n'a jamais expérimenté. Et vu que chaque, jusqu'ici toujours, la peinture était une peinture composée, il était toujours rempli bord à bord, sauf chez le dernier Cézanne, et dans toute l'oeuvre de Matisse à la fin.
(Musique)
Simon Hantaï
Tout ce que j'ai réfléchi, c'est sur la question théorique, scientifique, reste-t-il de la couleur ? La théorie de couleur tel qu'il était pratiqué, réfléchi par les peintres, jusqu'à la fin du XIXe siècle, même au XXe siècle, sauf certaines exceptions, c'est un certain secteur de la couleur, une certaine force de la couleur, notamment fortement marquée par le préoccupation de la couleur localisée dans le monde, dans la nature. Le seul où il apparaît une rupture, c'est Cézanne, il sort quelque chose qui est une cassure de l'espace rempli. Cézanne est le premier peintre qui a l'espace troué disait que j'arrive pas à terminer parce que si je laisse couler n'importe quoi sur cette toile blanche non remplie, à ce moment, en rapport de cette couleur mis, il faudra que je refasse toute l'ensemble de la toile. Il apparaissait au fur et à mesure dansson travail, quelque chose qui est, qu'il a observé la nature ex devant la Montagne Sainte-Victoire, qui est une nature tout à fait particulier. Vous avez là une sorte énorme montagne blanc délocalise totalement le paysage, et à partir moment là, toutes les objets, les arbres, les roches, tout ça, apparaissent pas comme éclairés par le soleil, ils sont là justement pour faire fonctionner la lumière décomposée qui forme une écran devant la montagne. Au fur et à mesure de ce travail là, on voit la conscience que, il faut peut-être jamais plus terminer une toile. Et peut-être là c'est le fondement même de cet basculement, là la couleur fonctionne pas comme avant. L'habitude, un rapport de, de complémentarité, tout ça, joue pas.
(Musique)
Simon Hantaï
J'ai vu chez Matisse, le grand conflit de sa vie était que il a eu un dessin séparé après il mettait les couleurs, il fallait chaque fois modifier les dessins. Jusqu'à là qu'il arrivait à un certain moment donné à sa maturité, faire une série de dessins où la ligne mis est uniquement distributeur de blanc. C'est-à-dire il fonctionne pas comme le signe de quelque chose, mais uniquement pour distribuer certaines manières de blanc et ces blancs là sont dans l'esprit de Matisse colorés. Alors si je travaille, une peinture, je mettrais là, une couleur à côté l'autre, remplie, tout ça, si bien ça faire, je m'occuperai pas de ces questions là qui étaient ouverts par Cézanne ou Matisse. Parce qu'il faut bien élargir ça, c'est-à-dire je dis beaucoup plus que Cézanne et Matisse savaient là-dessus, dans la mesure je réfléchis là-dessus.
(Musique)
Simon Hantaï
Et la couleur, de cette manière ne pouvait aborder que dans une espace décentrée et éventuellement de l'espace renversé. Mais dans cette optique là, tout est gris, d'un avant gris décoloré, Cézanne quand il regardait ça, sûrement il devenait totalement terne. Quand je peins une ou deux heures, tout est sale. Je veux dire que toute la couleur absorbe, l'intensité de coloration absorbe, disons il affaiblit l'oeil ou il tue de certaine manière partiellement. Mais il exacerbe certes la faculté que normalement on n'exerce pas, et vous supposez que ça dans un espace troué et renversé, c'est-à-dire où les distances entre les deux couleurs sont si grandes que normalement l'oeil habituellement qui lit des couleurs en rapprochement ne peut plus fonctionner. Dans cet sens, si y a pas de trou chez Cézanne, si y a pas de trou chez Matisse, sur le papier blanche, ça marche pas. La couleur là il sert pas pour se montrer, regarde moi je suis si beau, un côté l'autre, je vois je nous fais une harmonie, il est là pour disparaître au profit d'une autre chose. Voilà. Alors là, il y a une notion nouvelle de la peinture qui peut être abordée, si vous renoncez à la tactilité la beauté comme Cézanne ou Matisse renonce après pour faire le moche papier découpé, au profit d'une beauté tout à fait droite, que le tactil n'aurait pu jamais permettre. A partir du moment là, il y a cette dégradation qualitative dans le sens naturel. C'est moins beau que tactilement que tous les autres, mais c'est une autre beauté absolument supérieure si on le veut. C'est-à-dire, il vient une tout à fait une autre palette qui vient dans le champ de travail, et je sais que le jaune fonctionne d'une certaine manière, c'est-à-dire il va déborder dans les lilas, dans certaines conditions, pas dans la meilleure condition. Parce que dans les conditions complémentaires, il va fonctionner à sa manière, ou le vert va dans être dans le rosé ; voilà, etc...
(Musique)
Simon Hantaï
Quand on demande à Matisse, quel va être la futur de la peinture ? Il a dit : il est pas couleur, il est plus couleur, il est lumière. C'est-à-dire il y a là le distinction à faire que cette fonction de la couleur, c'est essentiellement liée à la lumière et pas à la matière. C'est le seul chose qui m'intéresse vu que cette perspective m'est apparue comme tout à fait éblouissante. Dans les pliages, au fur à mesure que je peignais, le blanc et le longue peinture apparaissaient, plus en plus actif, à la fin pratiquement seul actif. Tout ce que je veux savoir là-dessus c'est, c'est à la fois une histoire matérielle, à la fois une histoire optique et au même moment, surtout spirituelle ou âme, question d'âme ou quand je ne sais pas quel mot décrire poésie. C'est-à-dire, la lumière c'est, nécessairement le fondement du monde, sur le plan matériel absolu. Et il est justement le signe et le symbole d'une autre infini. Vous allez fond, nécessairement vous allez dans une trou, c'est l'ouverture. Alors bon, mais nécessairement, cette ouverture sur l'infini. Je veux dire que, c'est pas une question que je veux réponse avec lequel je m'assure de quelque chose, je veux justement aucun réponse. Je veux le absolu non réponse, c'est-à-dire l'infini.
(Musique)
(Silence)