Les producteurs de foie gras landais
Notice
Les producteurs de foies gras se préparent à l'approche des fêtes de fin d'année. Si les petits producteurs regroupés sous l'agrément "Bienvenue à la ferme" misent sur une production traditionnelle, les grandes entreprises comme Delpeyrat imaginent de nouveaux produits très attractifs et mettent en avant l'IGP Sud-Ouest.
Éclairage
Le département des Landes est positionné depuis longtemps et durablement comme le premier producteur français de produits du "gras" [1] et de foie gras. La décennie 1990/2000 consolide ce marché dans lequel maïsculture et élevage des palmipèdes sont devenus inséparables dans le Sud-Ouest, et la France qui produisait en 1980, 2183 tonnes de foie gras en totalisait en 1992, 7322 tonnes. 50% de cette production provenait des Landes, plus précisément de Chalosse [2]. Le seul canton de Montfort-en-Chalosse amenait sur le marché un million de canards gras soit 500 tonnes de foie gras. La conséquence directe est l'apparition d'exploitations agricoles de monoculture du maïs transformé en grande partie en gras, faisant fi du vieux proverbe plein de sagesse : "Il ne faut jamais mettre tous les œufs dans le même panier". Les vignes furent arrachées, l'élevage bovin éliminé, la prospérité passagère due aux cours élevés, s'est transformée en crise, quand les cours se sont effondrés.
Comment se structure le marché du gras ?
Le premier maillon de la chaîne se situe dans la ferme où le paysan, devenu exploitant agricole, produit la matière première. 80% des canards gras sont transformés ailleurs que chez lui, dans un autre maillon de la filière. En 1990, l'autoconsommation est évaluée à 6%, l'apport sur les marchés physiques à 10%, la vente directe à la ferme de 12 à 15%, les groupements de producteurs et les entreprises privées absorbent la grande majorité de la production [3].
La valeur ajoutée, bien plus importante que la valeur première, échappe donc aux producteurs. C'est ce qu'ont compris très vite des responsables éclairés en organisant des groupements de producteurs.
Les grandes maisons du foie gras
Il est bon de rendre hommage aux maisons historiques, véritablement pionnières, complémentaires des producteurs, qui ont fait connaître le produit et contribué grandement à son essor
Elles sont toujours, au départ, des entreprises familiales, complémentaires des producteurs et ont joué un rôle essentiel pour exporter, en particulier vers la capitale, par la cuisine régionale, ce mets "haut de gamme". Sarrade à Aire-sur-l'Adour dès 1925, (auparavant au milieu du XIXème siècle dans le Gers), Labeyrie à Saint-Geours-de-Maremne fournit déjà en 1946 le restaurant Lasserre à Paris, le charcutier de tradition Dubernet à Saint-Sever, le roi de l'ortolan Lafitte à Montaut, Dupérier à Souprosse, Castaingt à Saint-Sever, Delpeyrat, Muller, Bartouilh... et quantité de petits conserveurs locaux exploitent les produits du gras et fournissent les bonnes tables. Les fermes-auberges suivront le mouvement.
La SICA Foie Gras de Saint Sever [4]
Créée en 1963 autour de Jacques Castaingt, Président de la FDSEA, (5), c'est le premier groupement de producteurs de gras, hébergé dans les locaux d'abattage du Syndicat du Poulet Jaune des Landes à Saint-Sever. Quatre femmes, membres d'un CETA, Centre d'Etudes Techniques Agricoles, qui passaient déjà des contrats avec des conserveurs ont impulsé le mouvement qui comptait déjà en 1964, 700 adhérents et s'est lancé dans la transformation en 1969. Le négociant Muller d'Hagetmau y représentait l'autre volet de la profession.
Le circuit court, la vente directe
Même si, quantitativement, ce marché compte peu, son impact sur la production et la commercialisation est loin d'être négligeable. Le panneau de bord des routes, "Vente directe à la ferme" se veut pédagogique, il est attrayant et se révèle très efficace.
Claude Pomiès, producteur individuel met haut la barre pour "un canard élevé pendant 14 semaines gavé au maïs grain entier, produit de qualité suivant la tradition". Les éleveurs comme lui, identifiés par la marguerite, (logo de "Bienvenue à la Ferme" marque détenue par l'APCA) [6] ne mettent en commun que le réseau important de communication.
Pour aller plus avant dans la collaboration, sous les conseils éclairés de Jean Caplanne, conseiller de la Chambre d'Agriculture, se sont constituées, entre 1980 et 1990, des petites structures, qui assurent des services de proximité, grâce à des ateliers d'éviscération et de transformation des canards gras.
Paysans de Haute Chalosse (Ass. Loi 1901 à Mugron), Tradition paysanne du Tursan, (CUMA de Pimbo), Privilège de ferme, (CUMA de Mugron), CUMA qualité et tradition du Gabardan [7] .Regroupant de 5 à 20 adhérents, chacun conserve son originalité, dans l'étiquetage et la vente.
Une nouvelle donne
La progression exponentielle de la production ne pouvait manquer d'intéresser certains acteurs en amont de la chaîne, en particulier les négociants en aliments. Persuadés par la firme X que l'aliment fourni par elle, serait de meilleure qualité, plus facile d'emploi, sans les inconvénients de la fabrication... l'éleveur s'est laissé convaincre quand il a atteint un important niveau de consommation. Il vendrait son maïs et achèterait désormais l'aliment complet. Le dernier verrou a sauté quand on lui a fourni l'aliment gavage sous forme de farine pour en faire une pâtée prête à l'emploi (constituée, il est vrai de maïs à 97%). Il ne restait plus au négociant ou à la coopérative, qu'à fournir à l'éleveur les cabanes pour l'élevage, l'aider à mettre aux normes sa salle de gavage, et lui apporter une assistance technique...
Ainsi sont nés dès 1990, les contrats d'intégration qui précisent avec force détails, les rôles de chacun, l'intégrateur et l'intégré. Cette économie contractuelle, très répandue en agriculture, fait du producteur un prestataire de service de la société qui l'intègre et l'éloigne définitivement du statut de paysan qu'avait son père ou son grand-père qui conservait sa liberté d'entreprise. D'aucuns ont pu parler, à cette occasion, d'une nouvelle forme de métayage, dans une région très sensible à ce propos...
Des structures commerciales regroupent aussi des éleveurs ; ainsi Excel Foie Gras à Gibret, les Eleveurs gastronomes, couvrent la chaîne, de l'abattage à la distribution
La décennie suivante verra l'arrivée sur le Marché, du grand secteur coopératif (Maïsadour propriétaire de Delpeyrat, dans les Landes), des entreprises nationales ou même internationales qui achètent, revendent, parfois des petites maisons qui n'ont pas la capacité de résister ou victimes de difficultés de trésorerie. Nous sommes dans la féroce économie de marché et du modèle productiviste, dans le gras comme ailleurs.
Le CIFOG
Comme pour les autres secteurs d'activité agricole, un comité interprofessionnel, alimenté financièrement par une taxe parafiscale, a vu le jour en 1987. Le Comité Interprofessionnel FOie Gras, se veut le garant à la fois pour le producteur et le consommateur de la qualité du produit. Soucieux aussi des critiques sur la maltraitance des canards au gavage, le CIFOG a élaboré une Charte du foie gras qui protège confort et bien être des animaux et prévoit, en conformité avec la réglementation communautaire, la suppression des cages individuelles de gavage au plus tard en 2015.
L'augmentation de la demande sociale, la démocratisation du produit "foie gras", sa présence dans la grande distribution, risquaient de banaliser ce mets "haut de gamme". Le consommateur avisé saura-t-il débusquer dans le maquis des dénominations publicitaires, "à la ferme", fermier, paysan, producteur, éleveur, authentique, terroir... le vrai du faux dans notre société de consommation qui est parfois celle des apparences.
[1] L'adjectif gras est devenu un substantif, l'usage s'est rapidement répandu de désigner par "gras" les produits issus des palmipèdes à foie gras, canards et oies gavés au maïs.
[2] Dans la boucle de l'Adour, aux confins du Béarn, la Chalosse, "pays" fertile de vigne, polyculture et élevage, reste marqué par la prédominance passée du métayage.
[3] Source, Chambre d'Agriculture des Landes, dossier IGP, 1993
[4] SICA : Société d'Intérêt Collectif Agricole, forme d'association où cohabitent producteurs et négociants
[5] Jacques Castaingt, personnalité importante du monde agricole landais de 1960 à 2000, président de la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles, de la Chambre d'Agriculture, de Maïsadour, conseiller régional...
[6] APCA : Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture
[7] CUMA : Coopérative d'Utilisation de Matériel Agricole, mise en commun de gros matériel de culture. L'originalité de ces CUMA landaises réside dans l'utilisation de matériel de conserverie.