La production de foie gras dans les Landes et l'IGP Sud-Ouest
Notice
Les cadences s'accélèrent sur les chaînes de production de l'entreprise Sarrade d'Aire-sur-l'Adour qui réalise la moitié de son chiffre d'affaire en cette période de Noël . Par ailleurs et afin de se protéger de la concurrence, les producteurs landais ont récemment obtenu de Bruxelles l'IGP Sud-Ouest.
Éclairage
En cette fin de décennie du siècle et du millénaire, le "gras" [1] a achevé sa mutation, en passant de l'artisanat des années 1950/60, à une industrie entrée en force dans l'économie de marché. La segmentation de ses activités, de l'accouvage à l'élevage puis au gavage, à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation, s'accompagne des processus habituels de maîtrise des opérations : technicité élevée, marketing, publicité, intervention de l'industrie bancaire.
Au début était le mulard
L'extraordinaire développement de la production du foie gras dans les Landes est dû à un phénomène biologique spécifique au Sud-Ouest, le canard mulard. L'Alsace et le Périgord avaient bâti leur réputation au cours du XIXème siècle déjà, sur l'oie grasse et le foie gras d'oie. Les Landes, qui pratiquaient aussi l'élevage de l'oie, avaient développé, pour une utilisation domestique, les confits conservés dans la graisse, et dans ce but, le croisement de deux espèces de canards, plus faciles à produire.
Le canard mulard est issu du croisement des espèces Cairina moschata et Anas platyrhynchos. Le mâle canard de Barbarie [2] est arrivé du Nouveau Monde avec le maïs. Depuis au moins trois siècles, dans les fermes et les métairies, l'accouplement se faisait de façon naturelle avec la femelle, la cane commune ou cane de Rouen ou cane Pékin. Les couleurs ont évolué avec la sélection, "dans les champs de canards" que l'on aperçoit dans la campagne de Chalosse [3], les mulards sont presqu'uniformément blancs, légèrement tachetés de noir, en effet le Barbarie et la Pékin sont actuellement tous deux blancs.
Le mulard est un hybride, donc infertile et muet, ce que l'éleveur apprécie particulièrement. La production des canetons et du PAG (canard Prêt A Gaver) se prêtent tout à fait à la production de masse [4] : plusieurs centaines d'individus cohabitent dans les bâtiments d'élevage ou les salles de gavage [5].
La recherche se poursuit sur ce produit très malléable, dans le sens d'une sélection de souches permettant d'obtenir des canards à chair ferme, bien emplumés, avec des magrets suffisamment développés et des foies correctement engraissés.
Le travail à la chaîne
Le mot usine n'est plus tabou dans le secteur du gras. La chaîne sévit à l'abattoir où la saignée est précédée par l'anesthésie, et suivie du trempage, de la plumaison et de l'éviscération. Ces opérations se font en général, hors de la vue du commun des mortels. Les produits de l'éviscération à froid sont placés en salle réfrigérée. La découpe des canards s'effectue à une température maximale de 10°. Des pièces de la découpe, autrefois consommées en confits ou dans la garbure [6] ont disparu et vont alimenter les usines de fabrication d'aliments pour chiens et chats, ce sont les ailes, les pattes, les têtes, les langues qui faisaient pourtant le régal des gourmets. Le cou a trouvé grâce avec la préparation du cou farci et aussi partiellement les "chichons" [7] tartinés à l'ail à chaud ou à froid sur une tranche de pain de campagne ! Le principe de précaution sanitaire et la phobie de la graisse, imposent l'évacuation dans les stations d'équarrissage des intestins et de la masse de graisse qui les entoure.
Il y a foie et foie
Daniel Casteillan, Inspecteur à la DDCRF [8] s'insurge contre des qualifications peu scrupuleuses mentionnées sur certaines étiquettes, par exemple "foie gras des Landes qui ne veut rien dire parce qu'il pourrait être élaboré avec du foie de Vendée ou d'importation". Il y a donc lieu de défendre le produit landais et les "multiples saveurs d'un héritage à conserver, inscrit dans la mémoire collective" [5] des Landais. Il y a consensus, des producteurs et des négociants, pour distinguer par des signes de qualité irréfutables le gras du Sud-Ouest. Ce sera l'affaire de l'IGP, et du Label Rouge.
IGP, Sud Ouest, Indication Géographique Protégée
La certification IGP est le fruit de 6 années d'un labeur persévérant dû à l'Association pour la Défense du Palmipède à foie gras du Sud-Ouest qui a élaboré un cahier des charges dès 1993.
L'IGP concerne 3 régions, Aquitaine, Midi-Pyrénées et Limousin, soit 16 départements ; en 1998, 7 millions de canards mulards gavés sont concernés. Un site d'élevage ne peut contenir plus de 9000 canards. Un vide sanitaire de 8 jours est respecté après nettoyage et désinfection, celui des parcours est de 3 mois.
L'élevage avant gavage est de 81 jours minimum, et l'aliment doit contenir 70% de céréales dont 15 à 20% de maïs. Le gavage peut se pratiquer, au sol (5 sujets/m2), en parcs collectifs (7 sujets/m2) ou en cages individuelles (tolérées jusqu'en 2016). Les canards sont gavés exclusivement au maïs, pendant 12 jours soit 24 repas. Les produits crus, foie gras, magret, cuisses, aiguillettes, cœurs, manchons, gésiers, et les produits transformés, foie gras entier, foie gras, bloc de foie gras, magret séché ou fumé, confit, font l'objet de caractéristiques physiques chimiques, microbiologiques, organoleptiques bien précises. Le cahier des charges prévoit également le contrôle et les sanctions éventuelles (le retrait de l'agrément).
A la fin des années 1990, la filière gras se développe dans un environnement économique ouvert à l'exportation, à la grande distribution, à une France qui compte désormais 80 départements producteurs de ce " délice nommé foie gras" [9]. C'est justement pour éviter sa banalisation que le souci bien légitime des Landais de singulariser leur terroir, leur savoir-faire séculaire et les vertus de sa qualité, ont abouti à un signe facilement identifiable de qualité. Grâce aussi à la pression des règlements de l'Union Européenne, l'IGP, origine certifiée Sud-Ouest tranquillise à la fois les tenants d'une tradition honorable et les partisans d'un modernisme contrôlé.
[1] L'adjectif gras est devenu substantif et désigne les produits issus des palmipèdes, oies et canards gavés au maïs pour l'obtention du foie gras.
[2] Appelé aussi "marin" ou "guit marin" en gascon.
[3] Au sud du département des Landes, la Chalosse élargie comprend une dizaine de cantons situés dans la boucle de l'Adour, aux confins du Béarn, pays de petites propriétés de polyculture et d'élevages, marqué par le système du métayage encore présent dans les mémoires.
[4] Masse toute relative, on est loin en effet, des conditions d'élevage des batteries de plusieurs centaines et même milliers d'animaux élevés en claustration.
[5] Voir IGP, Produits du canard à foie gras du Sud-Ouest, 1993, Chambre d'Agriculture des Landes
[6] Garbure, soupe de légumes paysanne agrémentée d'une pièce de confit de canard et/ou d'un talon de jambon de Bayonne. Spécialité de Chalosse et Béarn.
[7] "Chichons" ou graisserons, désigne en Gascogne les débris de viande tombés au fond de la chaudière lors de la cuisson des confits.
[8] DDCRF, Direction Départementale de la Consommation et de la Répression des Fraudes.
[9] DELAUNEY, Michel , Un délice nommé foie gras. Une histoire d'Adour, Paris : les Presses du management, 1999.