Inauguration du balisage de la voie de Tours sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle
Notice
Une centaine de randonneurs se sont réunis à Saint-Paul-lès-Dax pour l'inauguration du balisage des 180 kilomètres landais de la voie de Tours menant à Saint-Jacques-de-Compostelle.
Éclairage
Le pèlerinage dit "de Compostelle" est un pèlerinage catholique apparu au Moyen Âge, au cours des Xe -XIe siècles. Étroitement lié, en Espagne, au contexte de la Reconquista [1], il gagne rapidement toute l'Europe dans le grand mouvement qui jette des milliers de chrétiens sur les chemins des croisades. Mais comment est né cet engouement ?
Vers l'an 800, un ermite espagnol, nommé Pelayo, fait un songe et, guidé par une étoile [2], se rend en Galice où il découvre un tombeau mystérieux que les autorités ecclésiastiques locales identifient aussitôt à celui de l'apôtre Jacques, frère de Jean l'Évangéliste et premier apôtre martyr de la Chrétienté. Pour les hommes d'Église, ce rapprochement n'est pas infondé : rentré en Palestine, rempli de sa mission, Jacques s'était fait décapiter sur ordre du roi Hérode Agrippa (10 av. J.-C. - 44 ap. J.-C.) et sa dépouille, recueillie par ses compagnons, aurait été déposée dans une embarcation. Passé le détroit de Gibraltar après un long périple, le frêle esquif se serait échoué, selon la tradition, sur les côtes de Galice.
Il n'en faut pas plus pour que, en 835, le roi Alphonse II des Asturies y fasse édifier une église abritant les vénérables reliques. Le toponyme Saint-Jacques-de-Compostelle émerge et les pèlerins affluent bien vite vers ce nouveau lieu saint qui n'est cependant considéré qu'en 1492 comme "l'un des trois grands pèlerinages de la Chrétienté", avec Rome et Jérusalem, par le pape Alexandre VI.
En France, les premiers pèlerins empruntent tout naturellement les routes commerciales de l'époque qui suivent généralement elles-mêmes des itinéraires tracés dès l'Antiquité. Ainsi, grâce au dernier livre du Codex Calixtinus [3], rédigé par le moine poitevin Aimery Picaud, connaît-on les routes principales qui descendent du nord de la France vers le Pays basque.
Au nombre de quatre, mais doublées par un réseau secondaire difficilement identifiable, elles convergent toutes vers Ostabat (Izura, "versant", en basque), au sud de Saint-Palais, sur la route du col de Roncevaux qui passe par Saint-Jean-Pied-de-Port. Venant de Paris, la via Turonensis se dirige, comme son nom l'indique, vers Tours et Bordeaux, tandis que Vézelay, en Bourgogne, est le point de départ de la via Lemovicensis qui traverse Limoges [4] et Périgueux ; du Puy-en-Velay part la via Podiensis [5] venant de Genève, qui rejoint les deux itinéraires précédents à Ostabat, tandis que le chemin d'Arles retrouve l'antique via Tolosana qui mène directement, à partir de Toulouse, vers Puente-La-Reina [6], en Espagne, par le col du Somport [7].
Trois de ces grands itinéraires intéressent les Landes. Si la via Podiensis ne fait qu'effleurer le département entre Aire et Pimbo, la voie venant de Vézelay et celle de Tours traversent de part en part le territoire qui compte 600 km de voies jacquaires. Suivies depuis un millénaire, mais abandonnées pendant près de trois siècles, leur tracé n'était plus guère assuré sur certains tronçons. Afin d'éviter les nuisances d'un trafic routier en permanente évolution, la voie de Tours, comme bon nombre d'autres itinéraires menant vers la Galice, recoupe donc aujourd'hui chemins de grande randonnée et pistes cyclables dans une heureuse harmonie qui rassemble pèlerins de la foi ou simples adeptes de la marche.
En 2002, l'inauguration de cette voie, qui a lieu aux environs de Dax, scelle une nouvelle alliance entre cet ancien chemin qui se déroule sur 180 km dans le département et les hommes qui peuvent désormais le suivre sans se tromper. Car, en ce début du troisième millénaire, ce sont à nouveau des milliers de marcheurs, animés d'intentions diverses, qui accomplissent leur "pérégrination" [8] vers le Finisterre espagnol. Pour ne pas se perdre, il suffit d'observer les arbres marqués du sigle de la coquille stylisée [9] qui, régulièrement, enseignent le chemin et ramènent à saint Bernard [10] qui assurait qu'on "trouvait plus dans les forêts que dans les livres".
[1] Mot espagnol qui désigne la période de "reconquête" des royaumes musulmans de la péninsule ibérique par les souverains chrétiens. Elle commence en 718 et s'achève en 1492.
[2] Cette légende est à l'origine de l'étymologie populaire de Compostelle que l'on explique traditionnellement par le latin Campus stellae, "champ de l'étoile", alors qu'il s'agit probablement d'une forme diminutive du latin médiéval compostus, "terre en jachère".
[3] Le Codex Calixtinus est un manuscrit enluminé du XIIe siècle qui réunit tous les textes du Liber Sancti Jacobi ou "Livre de saint Jacques" dont la cinquième et dernière partie est consacrée au cheminement vers le lieu saint. Nommé "Guide du pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle" depuis la traduction faite en 1938 par Jeanne Vieillard, c'est un véritable "guide du routard" destiné à ceux qui se lançaient dans l'aventure.
[4] La tribu des Lemovices a donné son nom à Limoges, nommée antérieurement Augustoritum.
[5] Du latin podium, "hauteur, puy" que l'on retrouve en Gascogne sous la forme Pouy (poi).
[6] Puente la Reina (Gares, en basque), est situé en Navarre à la jonction de la via Tolosana et du Camino francés. Le bourg médiéval doit son nom à l'épouse ou la bru de Sancho el Mayor, roi entre 1000 et 1035, qui fait ériger un pont de pierre sur le rio Arga, un siècle avant la construction de la ville neuve.
[7] Du gascon som pòrt, "sommet du col".
[8] Pérégrination est issu du latin peregrinari, "voyager à l'étranger" ; ce mot appartient au même champ sémantique que pèlerin issu du latin peregrinus, "étranger, voyageur", devenu pelegrinus à basse époque. Le gascon utilise plusieurs termes pour désigner ce voyageur particulier : pelegrin, mais aussi romiu, sent-jaquèr ou coscolhard, plus péjoratif.
(9) La coquille dite "Saint-Jacques" (latin pecten, "en forme de peigne") car abondante en Galice et devenue l'emblème du pèlerinage.
[10] Bernard de Clairvaux (1090-1153), maître spirituel de l'ordre cistercien.