St severs, Landes : colloque international sur l'abbaye de saint severs
Notice
Publication du compte rendu du colloque international à propos du millénaire de l'abbaye de Saint Sever en mai 1985.
Éclairage
La renommée de l'abbaye de Saint-Sever, haut lieu de l'art roman en Aquitaine, est établie de longue date. Cependant peu d'études avaient été consacrées jusque là à ce riche sujet. Le Colloque international d'Art et d'Histoire organisé en 1985 sous la direction de l'abbé Jean Cabanot (1) et sous l'égide du professeur Charles Higounet (2) vient donc combler cette lacune.
Dans le diocèse d'Aire, de nombreux documents, riches et variés, donnaient pourtant déjà d'amples renseignements sur les circonstances de la création de cette abbaye, en 988, par Guillaume Sanche (3). Centre culturel majeur, cette dernière se développe notamment sous l'impulsion de Grégoire de Montaner, le plus illustre de ses abbés, qui rénove le réseau paroissial et fonde plusieurs prieurés à Nerbis, Mimizan, Saint-Pierre-du-Mont, Saint-Genis-des-Fontaines, Mont-de-Marsan et Roquefort.
Pourquoi donc le choix de Saint-Sever ? Ce gros bourg, également nommé Cap de Gasconha (4), est fondé sur un promontoire dominant l'Adour, le Tuc de Morlane : un point stratégique, un site défensif occupé très tôt, bien avant que les Romains n'y établissent un poste militaire et qu'un petit gouverneur n'y construise un palestrion (5). C'est là, en outre, qu'au début du Ve siècle, un ancien légionnaire, Severus, qui aurait évangélisé la Gascogne, y subit le martyre, donnant son nom au premier bourg formé autour d'une abbaye bénédictine détruite en 812.
La cité renaît ensuite, à la fin du Xe siècle, quand le duc de Gascogne fonde un monastère qui adopte la règle de Cluny. La puissance de la nouvelle abbaye s'accroît alors rapidement car elle tire des revenus substantiels de vastes domaines répartis en Chalosse et dans le Marsan. Centre spirituel et intellectuel majeur, elle abrite clercs et copistes de grande valeur comme ceux qui réalisent le Beatus (6). Plus tard, en 1190, Richard Cœur de Lion confirme les avantages que Guillaume Sanche avait accordés mais une bourgeoisie locale de plus en plus influente réduit, avec l'appui du roi d'Angleterre, la puissance de l'abbé, lors du paréage du 12 juillet 1270. La ville souffre ensuite lors des affrontements contre les Capétiens en 1295 mais se relève pour ne capituler qu'en 1442.
Une nouvelle période de prospérité s'ouvre un peu plus tard, au début du XVIe siècle, vite interrompue par le sac opéré par les huguenots de Montgomery (7) le 11 septembre 1579 et, l'année suivante, par les exactions des troupes catholiques de Blaise de Montluc. Une douzaine de religieux seulement demeurent à Saint-Sever, hors les murs, à la fin du XVIe siècle.
Viennent ensuite s'installer, dans le contexte de la Contre-Réforme, des communautés de Capucins et de moniales de Sainte-Ursule. La vie monastique reprend à l'abbaye qui adhère à la congrégation de Saint-Benoît et, sous l'Ancien Régime, la cité prospère grâce notamment au dynamisme du port sur l'Adour et à la création de la route royale menant vers Orthez.
Même si la Convention rebaptise la petite ville « Mont-Adour », dans une volonté de faire disparaître les connotations par trop religieuses de l'hagionyme, Saint-Sever ne souffre pas vraiment de la Révolution et devient même sous-préfecture jusqu'en 1926. Aujourd'hui, grâce à ce colloque international (8), la cité landaise reprend une place centrale au cœur d'un univers dont elle avait la première, dans sa mappemonde, esquissé les traits (9).
(1) Jean Cabanot, ancien professeur de Lettres classiques, chercheur au CNRS, spécialiste de sculpture romane, est co-auteur de la publication du cartulaire de Saint-Sever et du cartulaire de Dax. Il est à l'origine de nombreuses initiatives pour la promotion du patrimoine religieux dans les Landes.
(2) Charles Higounet (1911-1988) est un historien médiéviste. Professeur à l'Université de Bordeaux III de 1946 à 1979, il était correspondant de l'Institut. Spécialiste des bastides et de l'histoire de Bordeaux et du Sud-ouest, il a contribué à un Atlas historique des villes de France et s'est grandement attaché à la promotion de la géographie historique.
(3) Guillaume Sanche ou Guilhem Sanç (vers 950-996) a succédé à son frère à la tête de la Gascogne. Il aurait fondé l'abbatiale de Saint-Sever en remerciement de sa victoire sur les Normands.
(4) Le gascon cap, du latin caput, « tête », prend ici le sens de « capitale » de la Gascogne.
(5) Petit palais.
(6) On désigne sous le terme de Beatus de Saint-Sever une œuvre réalisée sous l'abbatiat de Grégoire de Montaner (1028-1072) dans le scriptorium de l'abbaye du Cap de Gasconha, par un moine nommé Stephanus Garsia. Ce manuscrit orné de magnifiques enluminures, déposé à la Bibliothèque nationale sous le numéro 8878, est communément appelé Beatus en souvenir du moine éponyme de Liebana, dans les Asturies, qui réalisa, en 786, la première transcription de l'Apocalypse de saint Jean.
L'ensemble de l'œuvre présente non seulement l'Apocalypse écrite par saint Jean de Patmos, mais aussi les évangiles, la généalogie du Christ et le Livre de Daniel. C'est le seul Beatus français sur les vingt-quatre copies réalisées dans les monastères du nord de la péninsule ibérique, ce qui témoigne du dynamisme intellectuel de la petite cité chalossaise, largement ouverte aux cultures étrangères, copte, islamique et irlandaise en particulier.
(7) Le cartulaire de Saint-Sever fut sauvé du sac de l'abbaye par l'un des deux frères de Sourdis, alors archevêque de Bordeaux, et fut publié en 1876 sous le titre Historiae monasterii Sancti Severi, trois ans après la publication par Paul Raymond du Cartulaire de Saint-Jean de Sorde. Mais il faut attendre 2004 pour bénéficier de la traduction du Livre rouge de la cathédrale de Dax (Liber rubeus), réalisée par Jean Cabanot et Georges Pon.
(8) Jean Cabanot dir., Saint-Sever, Millénaire de l'abbaye, Colloque international, 25, 26 et 27 mai 1985, 348 p., ill., Mont-de-Marsan, 1985.
La mappemonde du Beatus de Saint-Sever est la première représentation « globale » du monde ; elle représente la carte de l'évangélisation des nations de la Terre par les apôtres.